Electro acoustique qu'est ce que c'est?

15 mai 1968
39m 03s
Réf. 00211

Notice

Résumé :

Le GRM en mai 68...!

Type de média :
Date de diffusion :
15 mai 1968
Thèmes :
Autres lieux :

Éclairage

Au cours d'une conférence à la maison de la radio clôturant la semaine de la recherche du groupe de recherches musicales, puis dans les studios du GRM, François BAYLE, Bernard PARMEGIANI, Guy REIBEL et Pierre SCHAEFFER tentent d'apporter une réponse à la musique expérimentale en dévoilant leur démarche et leurs oeuvres.

Pierre SCHAEFFER définit la recherche musicale à partir des notions d'écoute et de typologie, puis la musique expérimentale à partir de la notion d'étude à la fois oeuvre d'expression et matériau de recherche rigoureuse.

Pour lui, la musique expérimentale n'est pas différente de la musique traditionnelle. On a remplacé les notes par des objets sonores. François BAYLE et Guy REIBEL nous montrent la naissance de quelques-uns, qu'ils agencent ensemble, découpent et composent en véritables "alchimistes des sons".

Pierre SCHAEFFER aborde aussi le problème de l'objet sonore, lui-même structuré et pris dans une autre structure.

François BAYLE fait écouter "l'oiseau chanteur", composé sans aucune règle de départ, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y ait pas d'ordre : le compositeur commence par entendre la musique, et c'est l'oreille qui choisit et décide.

Enfin Bernard PARMEGIANI exécute lui-même au pupitre, devant le public, "l'instant mobile".

Transcription

(Musique)
Pierre Schaeffer
Non seulement il n'y a pas de règle de composition, mais il n'y a même peut-être pas de musical dans les éléments. D'où une double difficulté telle que, on a renoncé, moi j'ai renoncé pour la vie à chercher les règles de structuration et de composition des objets, estimant que vingt ans de travail assidu a été à peine suffisant pour dégager le premier stade qui est la qualification musicale des objets composants. Je crois qu'on peut quand admettre qu'il y a un langage assez simple, il est à peine structuraliste. Disons qu'il y a des machins qu'on pourra appeler des objets et que d'autres appellent des notes, quand ils sont au conservatoire, on met ces notes ensembles et ça fait de la musique. Eh bien, on prend des machins qui sont des sons, on les met ensemble et ça fait, si ça se trouve, de la musique. Enfin bref passons. Disons que nous ne suivons que des trajets, jamais nous n'avons vécu un dixième de seconde, mais sur le plan expérimental, on peut isoler un vingtième, un dixième de seconde de temps. En remarquant que ce dixième-là, si on l'écoute, ce n'est pas naturellement la même chose que lorsqu'il est englué dans sa continuité, il ne faut pas croire que, je n'entre pas dans les détails. Disons que ce qui bouge à travers l'écoute, par définition, nous l'appelons forme. Et que si ça ne bouge pas du tout comme dans un son d'harmonium, nous disons qu'il n'a pas de forme puisqu'il ne bouge pas, et qu'à ce moment-là, nous entendons une matière. Ce que vous entendez, vous et moi, on ne saura jamais, parce que vous entendez, vous, une chose et moi une autre ce même machin. Si vous êtes très bon musicien et conditionné par plusieurs années de conservatoire, vous direz que ça c'est un mi bémol grave de tel numéro. Et si vous êtes zoulou, vous dites, oh la la, c'est du zèbre. Comment faire, il est évident que celui qui dit, ça me paraît désordonné, c'est qu'il a déjà une conception de l'ordre. Alors, il faudrait qu'il fouille en lui par rapport à quoi il a établi cette conception de l'ordre et est-ce que c'est la seule conception possible. Pour écouter la musique contemporaine, faut-il renier à un passé culturel qui nous a préparé à un certain sens de l'ordre ? En effet, ce sens de l'ordre dont on pourrait penser, loin de vouloir s'en affranchir, qu'il est l'héritage précieux d'une tradition musicale encore vivante.
(Musique)
Pierre Schaeffer
La musique dite expérimentale n'a absolument rien de différent. Alors c'est là où je récuse en bloc toutes les différences que vous avez apportées, rien de différent avec la musique traditionnelle. La seule différence, c'est que, au lieu de prendre un registre d'objets connus qui sont les notes, do, ré, mi, fa, sol qui sont les instruments, elle prend les objets sonores d'une généralité plus grande, qui ne sont pas joués par des instruments de musique, qui ne portent pas le nom de notes, et qui disent souvent autre chose, qui disent do, ré, mi, fa, sol aussi comme ils peuvent et bien d'autres choses. Mais à part, si vous voulez, la généralité des éléments qu'on emploie, je récuse toute différence. C'est-à-dire que, d'un côté, on a toujours deux pôles, on a une approche des objets élémentaires, qui peut revêtir un certain côté expérimental d'objet par objet, de caractériologie, de typologie, qui ne relève pas du talent, du moins du talent et du compositeur, qui relève du talent de l'expérimentateur, de la finesse de l'oreille, et de l'assiduité d'un groupe d'observateurs à reconnaître ensemble qu'ils entendent dans un objet sonore ceci ou cela. Voilà la classe de solfège, voilà le chercheur en solfège, c'est exactement comme le chimiste, mais à condition de transposer cette métaphore sur le plan de la psychologie et de la perception qui cherche des cailloux et qui les casse et qui dit, ça c'est du carbonate de calcium, ça il y a une trace de fer, etc. Ce n'est pas avec ça qu'on fait des sculptures ni des maisons. Je pense que Schaeffer a eu la grande astuce dans la recherche musicale sur laquelle il nous a lancé.
François Bayle
De compter pour cette recherche, qu'elle serait bien faite si on la confiait à des gens d'expression, et non pas à des scientifiques. Et je crois que c'est ça qui est très passionnant et très particulier, c'est de placer des gens d'expression dans une discipline, dans le cadre d'une discipline, dans le cadre d'une action disciplinée, et non pas le contraire. Parce que, habituellement, la recherche est confiée à des chercheurs qui se méfient de leur, qui se méfient de tous les pièges de l'expression. De l'autre côté, un autre profil, le chercheur qu'on appelle alors compositeur qui est un créateur d'ensembles, qui ne procède pas d'une façon rationnelle, qui ne procède pas par psychologie expérimentale, qui n'est pas en groupe au départ.
Pierre Schaeffer
Mais qui a derrière, dans son environnement, un groupe dont il espère se faire comprendre et qui représente à ses côtés la présence de la société. La présence du groupe culturel dont il va espérer, avec lequel il va espérer avoir des échanges, soit pour s'en faire comprendre, soit pour en avoir des applaudissements, soit pour le bluffer, soit le ridiculiser, soit pour le traumatiser, enfin tous les motifs bien connus de l'art contemporain. Il est bon celui-là, je vais essayer de faire quelques manipulations supplémentaires avec filtrage.
Inconnu
Ne nous y trompons pas, nous n'assistons actuellement ni à une représentation, ni à une improvisation.
Inconnu
Guy Reibel et François Bayle sont actuellement à la recherche de sons originaux dont ils font la patiente cueillette. Ces sons seront les éléments d'une étude à venir, ils subiront de nombreuses métamorphoses avant de s'intégrer à une composition d'ensemble.
(Musique)
Inconnu
Chaque son recueilli est isolé, identifié, classé, il faudra pouvoir le reconnaître, le définir aussi sûrement qu'une note de la gamme pour pouvoir le transformer, le séparer de ses scories, le rendre parfois méconnaissable mais riche encore de sous ses caractères d'origine. Chaque son conserve une structure complexe qui compliquera la composition expérimentale de nuances infinies. Lorsqu'on parle alors d'objet sonore, ce n'est pas pur artifice de langage ni pour nier la diversité des caractères de chaque objet ainsi isolé. C'est la base du solfège et c'est le solfège traditionnel.
Pierre Schaeffer
Je vous rappelle qu'on n'apprend pas ça en solfège traditionnel mais ce sera un peu compliqué et que le do, ré, mi, fa, sol est comme un donné divin. Mais à partir du moment où on généralise le solfège traditionnel de ce que nous appelons le solfège expérimental, on ne peut pas ne pas dire de blague. Ou bien on est devant un objet qui se détache sur un fond, un objet isolé, on analyse, alors l'objet lui-même a une structure. Je voudrais alors redire ça qui est à la base qui est le pont aux ânes de tout. Prenons ce que nous avons devant, nous avons trois micros, ça c'est providentiel d'ailleurs il fallait s'y attendre, enfin ça va, non. Je regarde ce machin-là. Par définition, je l'appelle objet parce que je le prends comme unité de perception. Je dis, sur ces Messieurs qui sont en train de me cinématographier, qui forment un bruit de fond, excusez-moi, je considère que c'est juste des tâches. Vous êtes le fond, voici la forme, je distingue cet objet, définition de l'objet. Définition maintenant plus fine de l'objet, en fait ce n'est pas un objet grossier, c'est un objet dès que je m'en approche, je suis en train de l'analyser. Cet objet aussitôt devient structure parce que je décompose cet objet, et je le perçois non plus comme se détachant sur ce fond, j'ai tout oublié, je suis en train de comparer ses différents éléments c'est-à-dire les petits et les micro-objets qui composent ça et qui le forment, c'est une structure. Le mot objet vient de se voir substituer le mot structure. Inversement, je m'éloigne un peu, j'oublie cette microstructure. Je remarque que ce micro est environné de deux autres micros. J'oublie tous les détails et je dis, bon je ne vais pas me tromper, do, mi, sol parce que c'est un peu plus grand, un peu plus petit et encore plus petit. Je ne retiens plus à ce moment-là qu'un caractère, par exemple, ici la grandeur. J'oublie tout le reste et je dis, ces caractères forment structure, ce n'est pas sorcier. Je dis ça pendant six cent pages, j'aurais aimé qu'on m'ait compris parce que c'est quand même le b a ba. Alors si on ne veut pas admettre ça, il n'y a rien à faire, ce n'est pas la peine de faire de la musique. Je prétends avoir les mêmes exigences que le professeur de solfège qui dit aux sales gosses mi bécarre, alors l'autre c'est mmm, non mi bécarre, alors l'autre c'est mmm, non mi bécarre. Voilà, nous en sommes là. Alors je dis objet, en dessous de l'objet on découvre une structure, l'objet est pris dans deux objets, restructure, voilà. Aucune espèce de magie des mots, les mots n'ont aucune importance mais il faut remarquer que tout à coup le même machin s'appelle soit objet, objet dans une structure, objet sur un fond, ou tout à coup ce n'est plus un objet, c'est lui-même une structure faite de micro-objets. Quand on a compris ça, on est sauvé, on peut tout faire. C'est un objet pour lequel on ne s'interroge plus sur la cause ou sur l'instrument qui la produit.
François Bayle
On ne cherche pas à savoir aussi quelles sont les différentes notes qui apparaissent à l'intérieur de cet accord. On le prend comme il est, en bloc, mais on va dire ça global, et il nous intéresse par cette espèce de profil qu'il a, qui s'ouvre comme un éventail et qui ensuite se referme. Et c'est ça qui est séduisant et est intéressant et captivant d'emblée dans ce sens.
(Musique)
François Bayle
C'est un son qui a l'intérêt d'être mince. Pourquoi mince, parce qu'il n'encombre pas tout le spectre audible, ce n'est pas un son qui va du très grave à l'aigu, il reste dans la région d'aigu comme une espèce de ruban et il a également un trajet mélodique. Il vaudrait mieux en rester là d'ailleurs pour le décrire parce que comme ça, ça nous permettra de l'utiliser des compositions sans faire absolument aucune espèce d'hypothèse.
(Musique)
Guy Reibel
Puisqu'on parle de musique après tout, on est confronté quand même en tant que compositeur à des problèmes de faire des oeuvres, faire de la musique et on pourrait peut-être dire deux mots là-dessus. On a fait des sons, n'est-ce pas, on les a fait à côté en déployant un maximum d'inventions justement pour recueillir des choses intéressantes, passionnantes et sans idée préconçue. Ce qui est intéressant c'est de conjuguer un aller-retour permanent entre des intentions qui s'élaborent et s'affinent au fur et à mesure que le matériau lui-même s'élabore, s'affine et se travaille. Et c'est cet aller-retour incessant entre un matériau en perpétuelle transformation et une intention elle-même qui s'affine que naît la musique. On ne peut pas savoir clairement au début tout ce que l'on va faire, tous les gestes que l'on va être amené à effectuer, il faut donc choisir, à un certain moment prendre des partis pris, il faut oser des choses aussi. On est donc dans une situation où il faut à la fois oser, où il faut à la fois remettre en question perpétuellement et je crois personnellement que c'est ça qui fait l'intérêt de la composition expérimentale. Et petit à petit s'ébauchent un certain nombre de séquences, les sons finalement s'assemblent, l'intention du musicien se précise et on en arrive à l'étape finale où tout s'associe, tout s'assemble ensemble et, éventuellement, tout se justifie.
(Musique)
Guy Reibel
Aucune hypothèse de départ, règles souples liées à l'écoute, comment dépasser l'invention et l'ingéniosité et prétendre à une véritable composition musicale ?
Inconnu
Au-delà du désir de surprendre, comment convaincre et séduire ? Comment rendre expressive et communicable une expérience qui, redoutant toute référence traditionnelle, va alors prouver à chaque instant qu'elle n'est pas un jeu gratuit au gré du caprice et de l'improvisation ?
(Musique)
François Bayle
Toute oeuvre d'art est faite pour surprendre mais cette musique-là n'est pas faite pour surprendre spécialement les autres musiques. Qu'est-ce que tu en dirais Guy ?
Guy Reibel
Et bien moi, je reprendrai ce que tu viens de dire en disant que même cette musique est faite pour être entendue et tellement qu'elle est entendue constamment par le compositeur qui l'a faite qui est perpétuellement le premier auditeur. Puisque précisément la technique dont on se sert pour faire cette musique est celle qui consiste à écouter sans relâche les fragments que peu à peu, petit à petit on assemble. On travaille au studio, on ne travaille pas par l'intermédiaire des signes, on ne travaille pas abstraitement sur une partition mais on travaille sur les sons. On assemble les sons un à un et c'est l'oreille. C'est l'écoute finalement qui accepte ou refuse, continue ou remet le travail en cause. C'est l'oreille qui juge, qui choisit donc on ne peut pas esquiver le problème principal. On est donc obligé de laisser de côté tout ce qui pourrait donner bonne conscience et tous les faux-fuyants comme en particulier la musique écrite. Nous, nous sommes convaincus d'une seule chose, c'est que la musique que nous faisons peut être bonne ou mauvaise mais la méthode de travail que nous empruntons pour cela, elle est assurément la seule. Je dis que l'expérience peut avoir lieu de deux façons et c'est là où je reprends mes deux approches de la musique, soit par une attitude rationnelle qui n'est pas proprement sociologique, qui est un groupe d'observateurs qui étudient l'objet et qui essaient de se mettre bien d'accord sur ce qu'ils entendent ensemble, c'est le solfège.
Pierre Schaeffer
Et puis une autre affaire qui est une liaison entre le phénomène musical et la société qui passe par le crâne et l'intuition, et les astuces de notre compositeur qui crée des évènements musicaux. Alors je crois qu'actuellement les compositeurs créent surtout des évènements musicaux et ils auraient bien tort de ne pas appeler ça des expériences parce que s'il y a une justification à ce qu'ils font en ce moment, c'est bien l'expérience. C'est de savoir si par exemple en faisant faire des courbettes à deux violoncellistes ou en jouant 333 fois le même paquet de machin, une salle peut tenir sur ses nerfs. C'est une expérience d'endurance des sociétés aux stimuli sonores. Alors si on appelle ça comme ça, je trouve que c'est intéressant et que la définition d'oeuvre c'est série d'expériences socioculturelles sur l'endurance psychologique des foules. Puis il n'y a qu'à mettre des baromètres et des compteurs de tours sous le coude des gens, et là on fait du travail de recherche. Je trouve que ça mérite ce langage-là. Alors s'il y a des gens qui sont assez culottés pour dire ben on ne sait jamais si par hasard notre chemin ne nous conduirait pas à de nouvelles constructions sonores qui mériteraient, qui seraient intelligibles, qui apporteraient à l'homme sûrement pas les mêmes bonheurs que la musique de Bach. Ça je crois qu'il faut y renoncer d'avance mais d'autres choses peut-être dans une austérité plus grande, peut-être alors dans ce que j'appelle le sport spirituel mais, excusez-moi, sûrement pas physique.
Pierre Schaeffer
Parce que quand vous dévoyez, si j'ose dire ma pensée, quand je dis sport spirituel et quand vous me dites ça veut dire qu'on veut entendre physiquement, je vous tuerai. Parce que si j'ai pris la métaphore de sport pour l'appliquer à l'esprit, c'est pour dire que dans cette époque de fous où on a mis tout son espoir dans le corps et dans des performances aussi bêtes que de sauter un millimètre de plus que le voisin, ou de marcher à cent à l'heure au risque de se péter tous les tibias par le ski, vous n'imaginez pas comme c'est dangereux. Et bien je trouve que les foules qui se passionnent à ça pourraient bien se passionner à ce que j'appelle à un sport spirituel qui n'est pas physique. Ce n'est pas parce qu'il entre par les yeux et les oreilles qu'il est physique. Il est aussi physique dans la mesure où, vous admettrez avec moi en tant que philosophe, que l'être est un univers. Si vous le voulez bien, maintenant nous allons passer à l'audition de l'Etude en quatre pistes.
(Musique)
Pierre Schaeffer
Alors qu'est-ce que c'est donc une oeuvre ? Une oeuvre appelée étude ?
Pierre Schaeffer
Dans la période de redécouverte, c'est de la part du compositeur un acte instinctif qui partant du pôle opposé à celui du solfégiste, du chercheur d'objets musicaux par de l'intuition qu'il a, qu'avec ces objets sonores que lui donnent les machines, il peut faire une construction qui a un certain intérêt, lequel intérêt est tout à fait indéfinissable et pourra peut-être se définir un jour lorsque le langage se découvrira peu à peu. Que la musique traditionnelle dit do, ré, mi, fa, sol, majeur, mineur, etc, etc, par conséquent part d'un code de notes, part de toutes sortes de règles et de syntaxes, et établie par rapport à ces règles ou aux infractions à ces règles, a un certain, disons, langage musical parce que tout ce qu'on entend se réfère à non seulement un code de note, de dièse, de bémol, de modulation, mais toute une tradition d'oeuvre et par conséquent se différencie. Bien au contraire, à chaque fois que le musicien expérimental fait une oeuvre de matériau nouveau qu'on n'a peut-être pas encore employé mais tranquillisez-vous, on les emploiera bientôt, il y a cent exemplaires partout dans le monde, donc rapidement il va y avoir aussi des oeuvres, il va y avoir aussi un répertoire. Mais disons que celui qui l'emploie pour la première fois, comment ce pauvre garçon pourrait-il prétendre faire une oeuvre d'expression ? Il y a là encore une ambigüité, ambigüité profonde parce que les musiques traditionnelles sont expressives si on le veut bien dans la mesure où la tradition, le conditionnement, les habitudes sociales et peut-être le compositeur lui-même après tout y a caché une valeur d'expression. Mais qui vous dit que le compositeur contemporain n'attache pas leurs oeuvres à une valeur d'expression ? Alors, enlevons le mot expression qui a l'air de dire je veux dire ceci par l'intermédiaire de ces sons et je me fais parfaitement comprendre, ce qui n'est pas sûrement le cas.
Pierre Schaeffer
Prenons plutôt un terrain plus solide qui est le terrain de la construction de l'agencement des objets, des règles d'assemblage qui sont en musique classique bien connues, y compris les perversions jusqu'au dodécaphonisme, destruction du système, et qui en musique expérimentale ne sont par définition pas connues. Disons que ce sont alors des essais qui, cette fois, ne cherchent plus à caractériser les objets mais cherchent à les assembler pour que ça fasse quelque chose. Et alors qu'est-ce que disent les gens du compositeur à l'auditeur ?
Pierre Schaeffer
Et bien moi, je pense qu'il faut simplement retenir cette expression et dans le meilleur des cas ils disent, ça marche.
Pierre Schaeffer
Qu'est-ce qui marche ?
Pierre Schaeffer
Et la musique étant intermédiaire entre la culture et la nature, tout progrès musical authentique dans la construction et la communication de ces messages marque un double progrès de l'homme sur l'homme et de l'homme dans sa compréhension de la nature.
Pierre Schaeffer
Puisqu'il y a incontestablement dans la musique des fractions trois demis, des logarithmes et autres machins qu'on a bien tort de vouloir confier aux ordinateurs comme des brutes. Ce qui est intéressant ce n'est pas que ce soit trois demis ou que ça passe par l'ordinateur, ce qui est intéressant c'est que trois demis fassent pleurer ou rire.
François Bayle
Merci.