Denis DUFOUR, Terra incognita

1998
02m 23s
Réf. 00039

Notice

Résumé :

De la découverte à l'exploration, de l'exploration à la conquête et de la conquête à l'asservissement, il y a des étapes que Schaeffer s'est par moments refusé de franchir, défricheur pourtant d'une des terres inconnues les plus réellement nouvelles de la musique du XXème siècle.

Type de média :
Date de diffusion :
1998
Personnalité(s) :
Autres lieux :

Éclairage

Durée totale : 26'15

1. De inventione : 5'33

2. De quaestione : 8'30

3. De imperio : 7'00 (extrait entendu)

4. De servitute : 4'00

De la découverte à l'exploration, de l'exploration à la conquête et de la conquête à l'asservissement, il y a des étapes que Schaeffer s'est par moments refusé de franchir, défricheur pourtant d'une des terres inconnues les plus réellement nouvelles de la musique du XXème siècle.

"Notre royaume n'est pas de ce monde" : comme les musiciens dont parle Hoffmann, Pierre Schaeffer ne se satisfait pas du donné ni de l'acquis, ni de l'habitude. Lui aussi cherche l'Inde, et en portant l'aiguille affolée de sa boussole dans de drôles de champs magnétiques, il atteindra le Nouveau Monde. Un monde fait de "remonte pentes, d'autochenilles, d'attaches kandahar, d'alliages ultra légers" pour des explorateurs "chaussés de chrome, gantés d'amiante et vêtus de nylon...". Un monde qui tire ses paradigmes plus de l'observation des explorateurs que des choses explorées. Une jungle, oui, mais une jungle de machines, de signes et de signal, reflet extrapolé – et presque anticipé – de la prolifération technologique d'aujourd'hui. Une jungle peuplée à partir du désert de quelques tourne-disques, instruments qu'à la manière de l'apprenti sorcier de "Fantasia" il souhaita multiplier sans fin, espérant qu'un orchestre finirait par surgir de cette miraculeuse division, sans trop y croire. Car cette volonté brute, ce jeu "dont les jeunes animaux eux-mêmes donnent l'exemple : courses, étirements, luttes feintes, essais, libre exercice des muscles...", c'est elle qui guide notre explorateur, lancé dans ces univers qu'il invente à mesure, les yeux fermés. Au monde fantôme qu'il voit se créer chaque jour, à ces robots qui vont jusqu'à offrir des caresses Pierre Schaeffer réplique par une "musique de Néandertal", s'il est vrai que "la nécessité d'un retour aux sources authentique a été, précisément, affirmée par les musiciens les plus modernistes".

Des "trois impasses de la musicologie" (celle des notions musicales, celle des sources instrumentales et celle du commentaire esthétique) il veut s'extraire, extraire le monde musical et la perception, par le retour à des archétypes qui refondent une perception nouvelle, et pourtant immémoriale, enfin débarrassée de l'encombrante prothèse de l'étude : celle des morphologies (plutôt que celle des formes) celle des parcours (plus que celle des hauteurs) celle des timbres (plus que celle des instruments). Ce primitivisme, c'est sa manière à lui d'inscrire la musique de l'après guerre dans sa nouveauté définitive. Suivi de quelques sauvages expérimentateurs – et habiles inexpérimentés – il va donc dégoter des "claquettes, des noix de coco, des klaxons, des trompes de bicyclettes, une gamme de trompes, des gongs, des appeaux".

L'œuvre de Denis Dufour (qui fut son élève au CNSM de Paris de 1974 à 76) fait écho à cette hésitation sauvage et entêtée, à cet art primitif réinventé au cœur des villes. Car s'il y eut des maîtres dans la révélation (Gurdjieff en fut un pour Schaeffer) Schaeffer fut lui même un maître dans la trouvaille, ce qui n'est pas plus mal, et qui a le mérite de laisser au disciple l'initiative de la "généralisation" , comme il dit. La Terre inconnue se transforme ici en jungle progressivement peuplée de créatures plus improbables que celles de l'Ile du docteur "More" (une presqu'île, en fait) à partir d'un craquement initial, un bon vieux craquement de disque de cire, comme la fin passée à l'envers d'un rêve de Nerval (dans "Aurélia"). Fission fondatrice comme le fut la séparation du fameux son de cloche de son attaque. Dansée en quatre époques (reprenant les quatre étapes de notre parcours : découverte, exploration, conquête et asservissement) elle déroule ses pas sur le matelas peu sûr de l'aventure, s'engouffrant tour à tour dans les rapides, les canyons, et les culs de sacs et débouchant parfois sur une vallée heureuse. Comme venus d'une bibliothèque en orbite, défilent quelques échos