Habanera, histoire des danses cubaines

17 juin 2003
07m 24s
Réf. 00706

Notice

Résumé :

Iliana Garcia interprète une contredanse de Mozart pour démontrer les similitudes rythmiques avec la habanera

Type de média :
Date de diffusion :
17 juin 2003
Personnalité(s) :

Éclairage

Ce très beau documentaire donne l'essence de cette danse, qui est aussi une musique, un rythme et tout une culture. Nous en sommes toujours à observer un système de deux fois trois pas, en alternance droite et gauche. Reste à écouter la musique, et les explications données par la pianiste sont particulièrement précises.

Sans compliquer les nôtres, rappelons que le premier rythme qui combine deux durées différentes est l'anapeste des Grecs : le fameux « vite-vite-lent ». C'est la base de la polka, qui s'exporta, évidemment, elle aussi. Ce rythme est facile à observer dans la habanera. Du point de vue de la musique, c'est plus délicat, car les deux sons dits « vite » n'ont pas la même durée, il y a là un manifeste « métissage » du rythme simple de polka, en jouant sur les deux « vite », comme déjà une façon de « swinguer ».

La pianiste fait très bien entendre un rythme qui fait : « pom, ti-ti, pom », appelé, par les théoriciens, rythme de milonga [scander : mi, lon-ga, (et)]. Tandis que son petit frère, le rythme de habanera fait : « ti-ti, ti-ti, pom » [scander : ha-ba, ne-ra, (et)].

Polka :

Milonga :

Habanera :

Samba :

On comprend aisément que tous ces schémas rythmiques, si proches, se soient croisés, compris, échangés et enrichis les uns les autres, et bien malin celui qui pourrait situer son origine exacte dans le temps et l'espace. Il sera ainsi très facile de les identifier dans d'autres pays. Car, bien évidemment, ces formes de pas et ces rythmes ont voyagé, par exemple avec les marins des Caraïbes, et ont migré d'abord vers le Brésil, donnant le rythme caractéristique de la samba en se mêlant à d'autres typiquement brésiliens ; puis, à Buenos Aires, où eurent lieu d'autres mélanges que nous verrons plus loin.

Enfin, il n'est pas possible de parler de cette grande famille de rythmes afro-cubains sans dire un mot de la clavé, mot qui désigne à la fois un instrument, un ensemble de deux petits cylindres de bois, et le rythme favori que les Cubains tirèrent de lui. Privés de possibilités de faire de la musique, les esclaves des ports s'approprièrent des chevilles de bois qui permettaient l'assemblage des caisses de bois, pour « les faire chanter ». C'est ainsi que naquit la clave, par couple : la clave mâle et la clave femelle, la femelle ingénieusement lovée au-dessus du creux de la main qui fait alors caisse de résonance ; et la clave mâle qui la fait « chanter » en frappant délicatement dessus. Malgré sa petitesse, cet instrument peut se faire entendre de très loin. Et il est extrêmement caractéristique.

N'en finissant jamais de créer des rythmes avec ces deux bouts de bois, les Cubains utilisèrent évidemment les rythmes de habanera et de milonga, et en créèrent d'autres, qui firent le tour du monde. En particulier, le rythme de clave le plus connu, qui n'est qu'une évolution du rythme de milonga-habanera, dans le sens où deux sons sont regroupés pour créer une syncope, mais sur deux mesures : la première mesure provoque la sensation particulière de la syncope, tandis que la seconde calme le rythme en reprenant tout simplement celui de polka. Et se sont répandus plusieurs variantes de ce rythme de clave basique.

Rythme clave  :

Nous pourrions enfin citer un autre « enfant » de milonga-habanera, tel le rythme appelé le cinquillo :

Le danzõn fut la danse nationale de la Havane dès 1880, jusqu'à ce que le son ne le détrône à la fin des années 1920. Et il ne fut aucune fête importante sans qu'un danzõn ou un son ne soit créé pour l'occasion.

Enfin, et d'un point de vue d'une histoire très mal connue, il ne faut pas oublier qu'un Français, « Monsieur Pierre » (Zurchir-Margolle) et sa partenaire anglaise Doris Lavelle se sont distingués dans les recherches françaises sur les danses cubaines en milieu de XXe siècle. Ils ont travaillé à Cuba avec Pepe et Suzy Riviera, célèbres danseurs, et ont rapporté en Europe la technique des danses telles que la rumba et le cha-cha-cha. C'est là-bas qu'ils ont nommé les figures les plus répandues, figures qui portent toujours le même nom dans les cours de danse aujourd'hui.

Note importante : ce que les Européens appellent « rumba », comme les Américains qui sont les initiateurs de cette terminologie (ils l'écrivirent même : « rhumba »), n'est que, du point de vue de la danse : du son cubain ; et du point de vue de la musique, du boléro. Cela ne serait pas grave si les Cubains n'avaient pas dans leur culture une danse, pour ne pas dire des danses, qui portent ce nom. En effet, on trouve à Cuba trois types principaux de rumba : la cumbia, le guaguanco et la columbia. Et aucune d'entre elles n'est ni une danse de couple fermé, ni une danse de salon ! Là, chacun peut faire la différence entre le métissage et la récupération commerciale, ce que toute l'Europe a aussi connu en 1989 avec la lambada.

Christian Dubar

Transcription

(Musique)
Journaliste
La Havane, elle a été la capitale du nouveau monde. Une ville européenne immense, riche et aristocratique. C’est ici qu’a eu lieu, au XIXème siècle, cette première rencontre, qu’est née la première musique métisse.
(Musique)
(Bruit)
Journaliste
Palais des capitaines généraux de l’Ile de Cuba, le siège du pouvoir. Cuba n’a pas été qu’une colonie espagnole mais une province de l’Espagne, la plus riche et la plus aimée. A la capitale, alors que les hommes font la guerre et des affaires, les femmes s’ennuient. Dans ce paradis où l’aristocratie espagnole trouve une terre de jeux, le temps passe lentement et laisse de la place pour le rêve et la vie sentimentale.
(Silence)
Journaliste
Et malgré les différences de classes et de races, les rapprochements se font naturellement.
(Silence)
Journaliste
L’amour de la musique et de la danse y sont pour beaucoup. La société coloniale est riche et ne pense qu’à se divertir et donne l’occasion à des musiciens noirs, fils d’esclaves affranchis, d’entrer dans son monde.
(Silence)
Journaliste
Un voyageur français raconte les fastes de La Havane en 1844. Il arrive le jour où Isabelle II, Reine d’Espagne, donne un bal.
(Musique)
Journaliste
Il y avait là plus de 30 généraux en costume, des grands d’Espagne, des amiraux, des chambellans, des diplomates, des comtes, des marquis, des ducs. Je n’avais jamais vu réunis autant d’uniformes. L’or, l’argent, les pierreries ruisselaient sur les collets.
(Musique)
Journaliste
Des décorations qui rappelaient encore les courtisans de ces monarques dans les Etats desquels le soleil ne se couchait pas.
(Musique)
Journaliste
Il semble observer ce luxe comme s’il n’avait déjà plus cours ailleurs, comme si l’ancien monde était venu mourir ici. Il est surtout subjugué par le bal et la musique qu’on y joue.
(Musique)
Journaliste
Ce n’est pas là non plus la contredanse française ou le fandago d’Espagne. Plus originale que l’une, moins fougueuse que l’autre, cette danse est parfaitement en harmonie avec le caractère de la jeune havanaise.
(Musique)
Journaliste
C’est un doux mélange de mouvements tour à tour passionnés et lents, mais ce qui frappe le spectateur, c’est la grâce idéale avec laquelle la havanaise varie en les recommençant, toujours ce petit nombre de figures.
(Musique)
Journaliste
La musique havanaise, composée de soupirs, de mouvements vifs, de refrains tristes, offre un singulier mélange de gaîté ou de mélancolie. Les airs de danse sont pleins de fraîcheur, mais hérissés de syncopes et de mesures à contretemps qui les rendent d’une difficulté inouie. Le célèbre violoncelliste Bohrer m’a confessé avoir essayé inutilement de déchiffrer une partie de contrebasse exécutée tous les soirs par un nègre qui ne connaissait pas une seule note. Ce nègre, entre guillemets, qui ne savait pas lire la musique, a été le père d’un nouveau genre musical. Il a transformé une musique européenne classique en une musique créole.
(Silence)
Iliana Garcia
Je vais vous jouer un exemple d’une contredanse de Mozart, venue d’Europe, où nous trouvons déjà quelques éléments de la contradanza cubaine.
(Musique)
Iliana Garcia
Cette contredanse de Mozart, nous la retrouvons à Cuba dans une contradanza créolisée du XIXème siècle, sur laquelle on dansait. Elle était interprétée par un groupe d’instruments à vents qui lui donnaient une autre saveur, un certain humour, une autre allure. Nous identifions plus clairement le rythme de la habanera dans ce passage, par exemple…
(Musique)
Iliana Garcia
Dans la deuxième partie.
(Musique)
Iliana Garcia
Le caractère est différent, le sens aussi, peut-être plus humoristique, le rythme est mieux défini, le temps fort devient plus doux ; et cela crée une espèce de sensualité dans le mouvement, de dynamisme et la musique devient plus intéressante, parfois même plus érotique. Quand la contradanza devient instrumentale, une musique de salon, elle commence à alterner des mouvements rapides et lents, cadencés et sensuels où l’on voit le mélange de l’Africain et de l’Européen.