L'Afrique en France 1967

03 septembre 1967
08m 57s
Réf. 00804

Notice

Résumé :

Extrait d'un documentaire évoquant la situation des hommes immigrés du Sénégal, Mali et Mauritanie venus travailler à Paris. Pour échapper à leurs dures conditions de vie, dans leurs foyers de banlieues de l'est de la capitale, ils se regroupent, témoignent de leurs expériences et tentent comme ils le disent "d'oublier leurs efforts par la danse".

Type de média :
Date de diffusion :
03 septembre 1967
Thèmes :

Éclairage

En 1967, l'Afrique n'est plus française mais l'hexagone découvre, entre inquiétude et curiosité, cette France africaine qui s'est installée chez elle, en banlieue.

L'heure n'est pas encore à la crise, les politiques migratoires hexagonales incitent l'afflux massif de migrants africains peu qualifiés et bon marché, pour nourrir les besoins industriels d'une économie française vivant les Trente Glorieuses. Alors que les institutions métropolitaines qualifiaient de françaises ces populations quelques années plus tôt, elles les considèrent désormais comme une force de travail éphémère qui retournera bientôt chez elle. En 1967, ils sont plus de 60 000 à travailler entre Paris, Marseille et Bordeaux. Une minorité difficilement invisible qui s'entasse dans les logements devenus insalubres de la SONACOTRA.

Cette première génération de migrants économiques d'Afrique sub-saharienne qui arrive dans les années 60 est tout aussi convaincue que sa présence n'est que temporaire. Ils ont généralement suivi les pas ou les récits de leurs anciens venus par deux fois aider la puissance coloniale aux prises avec l'ennemi. Les promesses d'un enrichissement rapide dans une Europe en pleine croissance et l'euphorie des indépendances en Afrique leur font espérer un retour rapide au pays.

Mais la réalité sur place est bien différente. Faute d'alphabétisation, d'un manque de qualification, et d'une demande industrielle changeante, une majorité de ces nouveaux arrivants sont au chômage, vivant sur place de la solidarité de leurs communautés. Eux qui n'étaient venus que dans une perspective économique se retrouvent à devoir s'acculturer progressivement : apprendre une langue, comprendre les usages d'une économie industrielle, d'une société capitaliste, vivre à l'occidentale... Cette perte de repères spatiaux, sociaux et culturels, dont le migrant fait l'expérience, accroît son besoin de se replier dans un environnement familier, sa communauté. Par des pratiques culturelles, artistiques ou sociales, le migrant recrée l'univers qu'il a quitté. Les premières images nous montrent des hommes et des femmes performant une danse d'Afrique de l'Ouest (certains pas rappellent le jeu de jambe du Pinguiss), accompagné d'instruments et de vêtements traditionnels de leurs pays, dans un environnement que l'on suppose être celui du parc Beaumont, à Montreuil. Cette nouvelle contextualisation permet au migrant, comme l'explique Dioncounda Bathily, de supporter la réalité de son déplacement.

Ce documentaire, un des premiers du genre, a été réalisé en 1967 alors que le mouvement des droits civiques des noirs-américains est au plus fort de l'autre côté de l'Atlantique. Il fait suite au scandale né du refus de certains bars parisiens de servir les clients “de couleur”. L'opinion française se réveille face à cette Afrique des banlieues qu'elle ne peut plus ignorer. Comment considérer ces populations nouvellement immigrées qui pourraient prolonger leurs séjours dans un hexagone de plus en plus hostile ?

Thomas Jacques Le Seigneur

Transcription

(Musique)
Intervenant 1
Après une dure journée ou une dure semaine de travail, et revenir danser des danses comme vous venez de voir est très difficile. Mais avec la volonté de se faire connaître et de trouver, de retrouver notre Afrique dont nous sommes, nous sommes si loin, nous a encouragés à danser. Et quand nous dansons, nous nous trouvons tout de suite en Afrique, et nous oublions beaucoup de nos difficultés et de nos soucis par les danses.
(Musique)
Pierre Brassers
Les travailleurs africains que l’on rencontre dans la région parisienne et qui sont entre 16 et 18000, on en trouve 30000 en France, viennent effectivement du Mali, de Mauritanie et du Sénégal, et principalement de cette boucle du Sénégal où l’on rencontre de nombreux sarakolé. La plupart sont, en effet, des sarakolé, des toucouleurs, des peuls et des bambaras. Notre service s’occupe donc de tous ces travailleurs et son action s’inscrit très exactement dans le cadre général de la mission qui est impartie au préfet de police et qui se concrétise par le triptyque protection, prévention et, si besoin est, bien entendu, répression.
(Musique)
Jean Schmidt
Ce qui choque le plus l’africain lorsqu’il débarque en France, c’est la perte totale de la vie communautaire telle qu’il l’a vécue au village.
Intervenant 1
Quand je voyais chacun aller de son côté, des amis qui passent sans se serrer la main, sans que l’autre quitte, l’autre va pour retrouver l’autre pour lui serrer la main,
(Musique)
Intervenant 1
Quand j’ai vu des jeunes gens s’embrasser dans les coins des rues, cela m’a fortement impressionné car des choses comme ça ne se passent pas en Afrique. Moi, je crois que les choses comme ça sont réservées à la maison ! Mais quand j’ai vu cela dans les coins des rues, ça m’a fortement choqué. Et depuis lors, j’ai cru que, j’ai su que vraiment, j’ai quitté l’Afrique, je suis dans un autre continent que, je ne sais pas, que je n’ai jamais vu.
Inconnu 1
Vous voyez le camion, on arrive à Paris là, on ralentit.
Intervenant 2
Ah ? C’est là Paris ?
Inconnu 1
Bientôt, oui.
(Musique)
Jean Schmidt
D’un seul coup, voilà que le monde occidental l’éclabousse. Ce pays où l’on ne s’arrête pas pour souhaiter le bonjour à chacun, où l’on ne se préoccupe pas de l’enfant des autres, comme si c’était le sien. Où l’homme aux cheveux blancs doit travailler à l’usine pour vivre car ses enfants ont perdu le respect des anciens. Ce pays, il doit l’affronter sans transition.
(Musique)
Jean Schmidt
Isolé, perdu, le migrant sert entre ses mains la lettre du grand frère qui l’a fait venir.
(Musique)
Jean Schmidt
Sénégal.
Intervenant 1
Non, Sénégal, non.
Jean Schmidt
Mali ?
Intervenant 1
Oui.
Jean Schmidt
Cette civilisation nouvelle, l’africain ne comprend ni les signes, ni les interprétations. Elle demeure l’objet d’un choix qu’il n’aura jamais le temps de faire durant les deux ou trois ans que durera son séjour. Pour lui, la ville lumière, la France dont les anciens parlent avec tant de fierté deviendra le dédale des petites rues désuètes de la banlieue industrielle nord-est.
(Musique)
Jean Schmidt
Là, pour survivre à l’isolement, à l’hostilité de ce monde inconnu, il réinventera au fond d’un hangar de Saint-Denis, d'une cour de Montreuil, l’Afrique nostalgique des banlieues. Comme sur le cora du village, les chefs de communautés disent en langues vernaculaires la sagesse ancestrale.
Intervenant 3
Quand un homme voyage, il est appelé à tout voir. Nous venons de loin, nous sommes dépaysés, le français lui-même sait que nous ne sommes pas pareils. Mais au fond, nous sommes tous pareils, d’autant plus que nous sommes chez eux. Nous sommes en minorité et nous sommes absorbés par la population française. S’ils pouvaient comprendre tout simplement qu’on est tous pareils, on est humains, c’était son seul désir. Mais hélas, on est appelés à encaisser beaucoup de choses, beaucoup d’injustice.
Jean Schmidt
Celui qui voyage est appelé à voir beaucoup de choses, il a suffi que Doumba Bongo mette son costume traditionnel, qu’il prenne le métro avec ses frères pour qu’il prenne aussi sa première leçon de vie sociale.
Doumba Bongo
Alors maintenant, ces rires, franchement, ça ne passait pas. Les camarades étaient obligés de réagir. Alors maintenant, ils disaient qu’ils étaient des singes habillés, que cela n’allait pas du tout, leur costume. Ben, ce qui m’a choqué, c’est que ils se sont explosés, c’est un rire moqueur, on le sentait. Alors, nous avons tout de suite su que c’était une discrimination raciale voilée, c’est parce que nous étions nègres. Alors, nous avons aussitôt demandé des explications. Alors, ils nous ont dit qu’à un moment, c’est, comme ils disent singes habillés, ce sont les nègres ! Alors, je sais bien que on n’a rien à nous dire, on n’est pas pareils. Alors, on est traités de dégueulasses et de ne pas s’asseoir près d’eux, on les salit. Nous avons dit que Monsieur, ne nous traitez pas de dégueulasses et puis de ce qui se suit, mais tout simplement, nous avons des éducations différentes parce que nous, nous vous trouvons très incorrects aussi. La preuve en est que vous êtes assis avec des jeunes filles, vous embrassez, ce n’est pas correct. Chez nous, ça ne se fait pas aussi. Alors maintenant, on ne peut pas en vouloir à ceux-ci parce qu’on n’a pas la même civilisation. Alors que ici, par exemple, en France, messieurs et dames mangent ensemble à table, alors que chez nous, ce n’est pas pareil. Alors maintenant, eux, ils trouvent, ces messieurs trouvaient aussi que manger à la main n’était pas correct. Alors maintenant, eux aussi, ils ne peuvent pas comprendre, ils trouvent que le français est sale de bouche. Puis aussi, ceux qui m'avançaient que le plus souvent, nous sommes des illettrés, il nous est très difficile de vivre en France et de trouver du travail dans l’immédiat.