Conférence de presse du 25 mars 1959

25 mars 1959
52m 31s
Réf. 00030

Notice

Résumé :

Lors d'une conférence de presse donnée le 25 mars 1959 à l'Elysée, le général de Gaulle aborde plusieurs thèmes. Il évoque d'abord la crise de Berlin, qui exacerbe les tensions entre les Soviétiques et les Occidentaux. Il parle ensuite de l'Algérie et de son devenir, qu'il imagine se faire en association étroite avec la France. Le général en vient ensuite aux questions économiques, et souligne que malgré ce qui en est parfois dit dans les médias, la situation s'améliore constamment. Puis vient une question sur l'Alliance atlantique, à laquelle le Général répond en justifiant le retrait à l'OTAN du commandement de la flotte française de Méditerranée.

Type de média :
Date de diffusion :
25 mars 1959
Type de parole :

Éclairage

Le début de l'année 1959 qui voit la mise en oeuvre des mesures de rigueur du plan Pinay-Rueff n' a pas été une période facile pour le général de Gaulle et ceux qui le soutiennent dans la mesure où les élections municipales des 8 et 15 mars 1959 ont enregistré le mécontentement de l'opinion qui a permis à l'opposition de remporter quelques succès. En convoquant le 25 mars 1959 une conférence de presse consacrée à la situation internationale, de Gaulle signifie en fait qu'il se situe à un autre niveau que celui des élections municipales, événement strictement électoral qui concerne les partis et dont il fait savoir qu'il ne s'en est pas mêlé. Au demeurant, il attribue les revers de la majorité au fait que la presse a mis en évidence les sacrifices demandés aux Français et non les avantages que le pays en a retiré ni les contreparties sociales accordées.

Mais le long exposé liminaire qui ouvre la conférence a trait aux pressions exercées depuis l'automne 1958 par le gouvernement soviétique sur les occidentaux concernant le statut de Berlin, dont il juge que la situation d'occupation quadripartite n'a plus de raison d'être, menaçant d'entraver la libre circulation entre Berlin-Ouest et la République fédérale d'Allemagne et de transmettre ses droits de puissance occupante aux autorités de la République démocratique allemande, contraignant ainsi les Français, les Britanniques et les Américains à reconnaître cette entité. Or le général de Gaulle prend une attitude extrêmement ferme sur ce point, épousant le point de vue de la République fédérale qu'il considère comme la seule Allemagne, avec laquelle la France a noué des liens d'amitié et qui a vocation à réunifier l'Allemagne tout entière, puisqu'il s'agit d'un Etat démocratique alors que l'Allemagne de l'Est n'existe que par la volonté soviétique et au prix d'une implacable dictature. De même rejette-t-il avec énergie la proposition soviétique de neutralisation de l'Allemagne qui découvrirait la frontière française face aux Soviétiques. Enfin, s'il n'est pas hostile à l'ouverture de négociations entre grandes puissances, il juge qu'elles seraient plus pertinentes si elles avaient pour objet d'améliorer le sort des deux tiers des habitants de la terre qui vivent dans la misère car "la seule querelle qui vaille est celle de l'homme".

La fermeté française face aux exigences soviétiques permet de ramener à sa juste mesure le retrait engagé quelques jours plus tôt de la flotte française de Méditerranée du commandement intégré de l'OTAN. Justifié par le général de Gaulle au nom des intérêts stratégiques français au Moyen-Orient, en Afrique, en mer Rouge, à Madagascar, zone non couverte par les forces de l'OTAN, il ne signifie en rien un renversement des alliances, mais un acte de souveraineté qui implique que la France puisse à la fois coopérer avec l'OTAN et gérer indépendamment de celle-ci ses propres affaires.

Serge Berstein

Transcription

(Silence)
Charles de Gaulle
Bonjour mesdames et messieurs. Merci, messieurs les photographes, de vos bons offices. Mesdames, messieurs, je me félicite de vous voir une fois de plus dans des circonstances importantes, dans un cadre qui a pu, quelque peu, changer. La crise ouverte à propos de Berlin par la Russie soviétique plonge l'univers dans une lourde inquiétude. Trois questions étroitement liées sont posées par Moscou. Eventualité de mesures qui porteraient obstacle au mouvement des éléments militaires américains, anglais, français entre Berlin Ouest et la zone occidentale. Destin du peuple allemand qui se trouverait mis en cause par la séparation formelle de l'Allemagne en deux Etats et par le fait que l'ancienne capitale du Reich serait incorporée au territoire placé sous dictature autoritaire et totalitaire, ou bien serait soumise à des conditions qui l'amèneraient à cette servitude. Enfin, désarmement en Europe d'une zone englobant essentiellement l'Allemagne. Ajoutons que le gouvernement soviétique, en pressant les occidentaux d'entamer des négociations sur le sort à faire à Berlin et sur un traité de paix à conclure avec les deux Allemagnes, a fait connaître qu'il envisageait de transmettre au système de Pankow les droits et les responsabilités qu'il exerce en ce qui concerne la ville. Dans cette hypothèse, les occidentaux verraient, pour leurs allées et venues de troupes, peut-être l'obligation de reconnaître ce système de Pankow. Et si ces occidentaux voyaient barré le passage de Berlin et qu'ils voulaient l'ouvrir de force, et bien, les troupes soviétiques stationnées en Allemagne orientale auraient à faire aux occidentaux. Et ces troupes, nous a-t-on déclaré, " ne sont pas là pour jouer aux billes ". Cela étant, on pourrait concevoir que la France, se joignant à l'entreprise de scission engagée vis-à-vis du peuple allemand, que la France cherchât à tirer parti de la crise pour s'attribuer, aux dépends de l'Allemagne, des avantages parallèles à ceux que les soviétiques paraissent vouloir obtenir de leur côté. Il y a là, une politique que d'autres ont pu pratiquer à l'égard d'un voisin malheureux. Ce n'est pas notre politique. Si l'Allemagne actuelle nous paraissait dangereuse, alors, sans doute, la mémoire des épreuves subies de son fait et la volonté d'en prévenir le retour susciteraient-elles nos exigences ? Mais l'Allemagne actuelle ne nous menace nullement. Nous considérons même qu'avec ses capacités, son énergie, ses ressources, elle constitue un élément essentiel de la vie et du progrès de l'Europe et du monde entier. Et puis, comme il est naturel pour deux adversaires qui, après avoir longtemps combattu, ont renoncé à s'entre-détruire, la France et l'Allemagne sont décidées à coopérer. Sur ce point, la politique du chancelier Adenauer coïncide avec la nôtre. Et tout récemment, monsieur Segni m'a confirmé que telle était aussi la politique de l'Italie. Aussi, ne nous prêterons-nous à rien qui puisse porter le peuple allemand au désespoir ou bien compromettre son pacifique avenir, ou bien ruiner l'espérance qui, après tant de chocs et de larmes, s'est levée des deux côtés du Rhin. On pourrait concevoir, d'autre part, que la France jugeât à propos de ne pas se mêler de la querelle faute d'avoir les moyens d'action, c'est-à-dire de destruction que possèdent les Américains et les Russes, et de pouvoir, par conséquent, prétendre imposer sa politique. La France pourrait chercher à se distraire de l'actuel conflit et éventuellement de la guerre. Pour la France, cela reviendrait à perdre les raisons de vivre pour tâcher de garder la vie. Et puis, ce serait anéantir l'alliance atlantique qui n'existe que parce que la France en fait partie. Dès lors que l'alliance atlantique n'existerait pas, rien ne pourrait empêcher la dictature soviétique, la domination soviétique de s'étendre sur toute l'Europe et sur toute l'Afrique, et à partir de là, de couvrir le monde entier. Rien excepté, bien sûr, la guerre atomique générale. Et bien, la France préfère maintenir l'alliance atlantique jusqu'au jour où l'avenir de la paix serait réellement assurée. Voilà pourquoi nous pensons que les Etats-Unis, la Grande Bretagne et la France ne doivent pas accepter que qui que ce soit barre le passage à leurs troupes de Berlin. Si quelqu'un, si certains voulaient s'opposer au passage qui est notre droit en vertu de la victoire et des arrangements, d'ailleurs, conclus avec l'Union soviétique, si certains voulaient s'opposer au passage, ceux-là et tous autres qui viendraient les soutenir commettraient un acte hostile à l'égard des occidentaux. Ils seraient, par conséquent, responsables des chocs qui pourraient s'ensuivre. Et quant au sort de la ville elle-même, nous constatons que ceux de ses habitants qui ont la possibilité de s'exprimer librement sont unanimes à vouloir qu'elle reste occidentale. Pour cette raison et aussi pour d'autres, nous n'admettrions pas que Berlin fut livré au système de Pankow. D'ailleurs, ce système, nous ne sommes pas disposés à le reconnaître comme un Etat souverain et indépendant, car il n'existe qu'en raison de l'occupation soviétique et en vertu, si j'ose dire, d'une implacable dictature. Nous ne considérons pas sur le même plan, au point de vue des relations extérieures de la république française, nous ne considérons pas sur le même plan, d'une part cette organisation arbitraire, et d'autre part la république fédérale allemande dont tous les citoyens disent, écrivent, entendent ce qu'ils veulent, vont et viennent à leur gré, désignent en toute liberté leurs représentants et leur gouvernement. La réunification des deux parties actuellement séparées de l'Allemagne en une seule Allemagne qui serait entièrement libre nous paraît-être le but, l'objectif, le destin normal du peuple allemand, à condition qu'il ne remette pas en cause ses actuelles frontières de l'ouest, de l'est, du nord et du sud et qu'il se destine à s'encadrer, le jour où ça sera possible, dans une organisation contractuelle de l'Europe pour la coopération de toute l'Europe, pour la coopération, pour la liberté et pour la paix. Mais en attendant que cet idéal puisse être atteint, nous pensons que les deux parties de l'Allemagne devraient pouvoir multiplier entre elles les relations et les liens dans tous les domaines pratiques, les transports, les postes, l'activité économique, les arts, les lettres, les sciences, les allées et venues des personnes, etc, pourraient, nous semble-t-il, donner lieu à des arrangements qui rapprocheraient les Allemands à l'intérieur de ce que j'appellerai la "chose allemande", et qui, après tout, leur est commune à tous, quels que soient les régimes et les différences des conditions. Et quant à ce qui est du désarmement de l'Allemagne, et bien, ce dégagement ou désengagement, comme on voudra, en lui-même, ne nous dit rien qui vaille. Si le désarmement s'appliquait à une zone qui n'approcherait pas de l'Oural autant que de l'Atlantique, la France, comment serait-elle couverte ? En effet, nous ne voyons pas qui, dans cette hypothèse, pourrait empêcher, en cas de conflit, à un adversaire éventuel de traverser d'un bond ou d'un vol le glacier germanique non défendu. Et puis, qu'est-ce qu'il resterait comme bande de territoire entre la Meuse et l'Atlantique, pour y disposer et y mettre en action les moyens des occidentaux ? Assurément, nous sommes partisans déterminés du contrôle et de la limitation de toutes les armes de guerre. Mais ces dispositions apparemment humanitaires ne sauraient conduire à notre disparition. C'est dire que le désarmement, il faudrait qu'il s'appliquât à une aire assez large et assez profonde pour que la France en soit couverte, et non point, au contraire, exposée. Sur ces points-là et peut-être sur d'autres, je ne vois, pour ma part, aucune objection de principe à ce que des négociations s'engagent. Monsieur Couve de Murville se rendrait donc à une éventuelle conférence des ministres des Affaires étrangères. S'il arrivait que cette conférence, après examen approfondi des problèmes, put dégager des éléments d'un accord sur des points importants, alors, moi-même, ayant à mes côtés le premier ministre, monsieur Michel Debré, je pourrais, prendre part à une réunion des personnes qui portent les responsabilités suprêmes des grands Etats. Evidemment, les débats d'un pareil aréopage devraient être préparés. Et cet aréopage-là ne pourrait délibérer que dans un climat apaisé. Sur ce point, je me sens entièrement d'accord avec ce qu'en a récemment dit le président Eisenhower. Dans cette grave occurrence, la France se sent qualifiée pour parler lucidement et sereinement. D'abord parce qu'aucune concurrence, aucune animosité ne l'inspire à l'égard du peuple russe. Au contraire, elle n'a, pour lui, qu'une amitié réelle et traditionnelle. Ensuite, pour cette raison, qu'en ce qui concerne l'Allemagne qui est l'enjeu de la crise, la France a dépassé ses griefs d'antan. Et que compte tenu des changements qui y ont été opérés, elle considère cet adversaire d'hier comme son associé d'aujourd'hui et de demain. Et puis, enfin, parce que la France, elle, n'a pas encore de bombe atomique et que, par conséquent, elle n'est pas comme les trois autres, en proie à la hantise de lancer, le cas échéant, ces bombes avant que celles de l'adversaire n'aient pu accomplir leur oeuvre. C'est pourquoi, une fois encore, je dis que la France envisage la crise actuelle à sa manière et avec impartialité. Et c'est pourquoi aussi, en le disant en son nom, je suis sûr d'exprimer la pensée de deux milliards d'êtres humains en raison et en comparaison des risques courus par notre espèce et puis des immenses tâches humaines que nous pourrions, que nous devrions accomplir tous ensemble. Nous pensons que toute mise en demeure qui serait adressée aux occidentaux en vue d'obtenir des abandons par la voie de l'intimidation serait odieuse et absurde. Dès lors que dans un camp comme dans l'autre, tout est agencé pour que des moyens de destruction capables d'anéantir des continents soient déclenchés en l'espace de quelques secondes, créent un état de tension tel que n'importe quelle erreur ou n'importe quel incident pourrait déclencher le cataclysme. Ce serait un défi inexpiable porté à la vie de l'humanité. Et puis, étant donné que la grande majorité des hommes sur la terre mènent une existence misérable et que certains peuples ont ce qu'il faut pour le progrès de tous, que viennent faire les histoires de Berlin ouest, de Pankow et du désengagement allemand ? En vérité, en notre temps, il n'y a qu'une seule querelle qui vaille. Et cette querelle, c'est celle de l'Homme. C'est l'Homme qu'il s'agit de sauver, de faire vivre, de développer. Nous autres qui vivons entre l'Atlantique et l'Oural, nous autres qui sommes l'Europe disposant avec l'Amérique, sa fille, des sources et des ressources principales de la civilisation, nous autres qui avons de quoi manger, nous vêtir, nous loger, nous chauffer, nous autres qui possédons des mines et des usines en pleine activité, des campagnes bien cultivées, des chemins de fer où passent des trains nombreux, des routes encombrées de voitures, des ports remplis de bateaux, des aérodromes couverts d'avions, nous autres dont tous les enfants apprennent à lire, qui construisons force universités et laboratoires, qui formons des armées de techniciens et d'ingénieurs, qui pouvons voir, entendre, lire ce qui est de nature à satisfaire la pensée, nous autres qui avons assez de médecins, assez d'hôpitaux, assez de médicaments pour combattre la souffrance, pour soigner les malades, pour assurer la vie de la plupart des nouveaux-nés, que ne dressons-nous tous ensemble l'organisation fraternelle qui prêterait concours aux autres ? Que ne mettons-nous en commun un pourcentage de nos matière premières, de nos objets fabriqués, de nos produits alimentaires ? Une fraction de nos techniciens, de nos scientifiques, de nos cadres économiques ? Une part de nos camions, de nos navires, de nos avions pour vaincre la misère, pour développer les ressources et pour aider le travail des peuples qui sont moins développés ? En comparaison de cela, que valent, je le demande, les prétentions idéologiques, les ambitions impérialistes, les exigences territoriales qui mènent l'univers à la mort ? Voilà, semble-t-il, un point capital qui devrait être inscrit à l'ordre du jour des éventuelles conférences Est-Ouest. Si on tombait d'accord sur le principe, il faudrait, évidemment, dresser en commun un plan d'organisation et de réalisation. Au cas où il y aurait une conférence au sommet, je serai prêt à parler de cela à mes amis, messieurs Eisenhower et Macmillan, et j'espère que monsieur Khrouchtchev, que j'ai, naguère, rencontré à Moscou, dans l'entourage de Staline, et qui a fait quelque chemin, depuis, voudra y prendre intérêt. Messieurs, vous ayant parlé de l'ensemble de la situation internationale, je me livre à vous pour répondre, dans la mesure où je le pourrais, aux questions que vous voudrez me poser sur des points particuliers.
(Silence)
Journaliste 1
Mon général, voici exactement cinq mois, vous avez lancé l'offre de la paix des braves aux rebelles algériens. Comment jugez-vous que la situation ait évolué en Algérie depuis lors ?
Charles de Gaulle
Il y a cent trente ans que durent les incertitudes algériennes. Et depuis quatre ans et plus, les combats et les attentats ne cessent pas. Nous vivons à une époque où, sur la terre, une colossale entreprise s'oppose partout à l'occident, tandis que l'occident néglige souvent de se soutenir lui-même. Nous assistons au bouillonnement qui, à l'intérieur du monde musulman, oppose maints pays arabes à des peuples étrangers, et même des Etats et des fractions à d'autres Etats et fractions de même race et de même religion. Et même des tribuns à d'autres tribuns qui, comme eux, et pourtant contre eux, se disent les champions de l'unité. Dans ces conditions-là, je me demande si quelqu'un n'a jamais pu se figurer que la paix et la prospérité allaient venir tout à coup à l'Algérie, ou qu'il suffirait de crier dans la fièvre obsidionale un slogan contre d'autres slogans pour que toutes les causes intérieures et extérieures de la guerre actuelle disparaissent comme par enchantement. Cela, je ne le pense pas, et je ne le dis jamais. Mais je crois et je dis que le destin de l'Algérie dépend d'une oeuvre immense qui durera, qui sera une oeuvre de longue haleine. Et avant que les questions ne soient décidément tranchées, peut mettre en cause l'effort de toute une génération. Je crois et je dis que ce dont il s'agit, c'est que l'Algérie se révèle à elle-même et qu'elle s'ouvre au monde tel qu'il est. Je crois et je dis que cette oeuvre-là est inimaginable sans la présence et sans l'action de la France. Je dis que la France a pris ses résolutions et qu'elle a un plan net et ferme, qu'elle suit ce plan et qu'il s'agit, pour elle, avec les Algériens, d'obtenir la transformation de l'Algérie de telle sorte que s'y révèle la personnalité nouvelle de ce pays. Pour cette transformation, qu'a-t-on fait ? Et bien, depuis huit mois, voici ce qu'on a fait. Au point de vue politique, la voie est ouverte. Pour la première fois et pour toujours, au suffrage égal et universel de tous les Algériens qui disposent, ainsi, du moyen, pour aujourd'hui et pour demain, d'exprimer leur volonté. Des mesures irréversibles ont créé un collège unique pour toutes les femmes et touts les hommes de toutes les catégories et de toutes les communautés. Et des mesures ont attribué aux musulmans la proportion la plus forte, et de beaucoup, dans les élus de toutes les consultations. C'est sur cette base que s'est fait le référendum de septembre qui a montré, d'une manière éclatante, que la masse immense du peuple algérien, excusez-moi, me faisait confiance pour lui donner la paix, la liberté et la dignité, et ainsi, faire en sorte que l'Algérie soit liée à la France. Des élections législatives ont eu lieu. Le mois prochain, les communes algériennes éliront leurs conseils municipaux. Un peu plus tard seront élus les conseils généraux. Sans doute dit-on que la situation de la guerre influe plus ou moins sur l'objectivité de ces diverses consultations. Il n'en est pas moins vrai qu'elles ont lieu et que tous les Algériens savent qu'ils ont, ainsi, le moyen de disposer d'eux-mêmes à mesure de l'apaisement, que les représentations n'ont plus aucun rapport avec ce qu'elles étaient naguère. Bref, qu'une révolution a été faite en Algérie, si tant est qu'il n'y en ait jamais eu une. Au point de vue du développement économique et du salut social de l'Algérie, tout le monde a pu prendre connaissance du commencement de réalisation du plan industriel et agricole de Constantine. Et le Premier ministre, pas plus tard qu'hier, en mettait une fois de plus en lumière les données. Comme il arrive que quelquefois, la France et le progrès, aient, ensemble, de la chance. Il se trouve que la mise en exploitation du pétrole et du gaz saharien apporte justement, au moment voulu, les moyens du démarrage. J'ai dit aux Algériens : " Regardez votre pays tel qu'il est, aujourd'hui, matériellement, et je vous réponds que bientôt, il sera très différent ". Au point de vue de l'instruction, c'est par centaine de milliers que s'est accru, l'année dernière, que s'accroît cette année, que s'accroîtra chacune des années prochaines, l'effectif des écolières et des écoliers algériens. Si bien qu'avant dix ans, tous les enfants, et il y en a beaucoup, tous les enfants iront en classe. Et en même temps se développe un effort de formation de cadres administratifs, techniques, professionnels, militaires. Et pour combien faut-il compter les liens, les relations qui vont se multipliant entre la France toute entière et l'Algérie toute entière, et dans lesquelles ou l'armée, où, je le dis en passant, servent cent dix mille musulmans, l'armée joue un rôle capital ? Intellectuellement, socialement, moralement, l'Algérie est en pleine gestation. Il s'y forme une jeunesse, y compris ceux qui ont combattu dans les deux camps, une jeunesse qui voudra voir naître et grandir une Algérie nouvelle, c'est-à-dire moderne et fraternelle. Cette transformation, je le répète, la France a commencé de l'accomplir avec les Algériens. C'est là une oeuvre magnifique qui exige l'effort de tous les Algériens et l'effort des Français de France. En comparaison, les combats et les attentats acharnés paraissent, chaque jour, plus absurdes. Ils perdent toute justification possible. Ils ne conduisent à rien qu'à la misère, à la haine, à la mort. Au fur et à mesure que l'Algérie nouvelle se dessinera, elle paraît... son destin politique paraîtra dans l'esprit et dans les suffrages de ses enfants. Je n'en préjuge pas mais je suis sûr que les Algériens veulent et voudront que le sort de l'Algérie soit lié à celui de la France, et je suis sûr que la France le voudra elle aussi, parce que c'est conforme à la simple nature des choses, au bon sens et au sentiment. Voilà ce que je peux dire sur ce qui s'est passé en Algérie au cours des derniers mois, et qui, même si on ne l'aperçoit pas de Paris tous les jours, en réalité, est en train de se produire. Oui ? On m'aveugle avec les caméras, je vous vois mal. Je vous en prie.
Journaliste 2
Je m'excuse de vous ramener à des problèmes intérieurs et bassement matériels. Nombre de Français [inaudible] Leur déception s'est peut-être exprimée dans certains des résultats des élections municipales. Pouvez-vous nous dire votre sentiment là-dessus ?
Charles de Gaulle
Vous savez, moi, je ne me mêle absolument pas de la conjoncture électorale. Ca ne m'empêche pas de la juger. Et à ce titre-là, je ne crois pas qu'on puisse vraiment comparer, par exemple, les résultats du référendum avec ceux des élections municipales. En septembre, l'enjeu, c'était le changement de régime et les élections législatives avaient pu paraître confirmer cela. Mais pour les élections municipales, il n'en était pas du tout de même. Il n'y avait pas de grand intérêt national qui fut en jeu immédiatement. Et quant à moi, je m'étais tenu dans une totale impartialité. Dans ces conditions, il n'est pas très étonnant qu'un certain nombre d'électeurs soient retournés à la rubrique qu'ils pratiquaient précédemment. Cependant, je sais bien que dans la presse, on dit volontiers que ce qui s'est passé tient d'abord à la conjoncture financière et économique, et cela est vrai en grande partie, et puis aussi, au fait que les pouvoirs publics n'informent pas suffisamment les citoyens du pourquoi et du comment des choses. Sur le premier point, il est parfaitement vrai que nous sommes dans une opération très difficile et capitale de redressement financier et économique du pays. Ce redressement, je crois, et vous aussi, qu'il est en train de réussir. Mais évidemment, hélas, cela ne peut aller sans atteindre les intérêts particuliers, même tels ou tels intérêts qui sont modestes, parfaitement justifiables et parfaitement respectables. Alors la mélancolie a pu, en effet, s'exprimer de la manière que vous dites. Quant au second point, c'est-à-dire le fait que le public ne serait pas très bien informé, je constate que même quand les choses sont très claires, excusez-moi, messieurs les journalistes, même quand les choses sont très claires, elles ne sont pas toujours très bien mises en vedette, en général, par les informateurs. Car enfin, tout de même, nous pouvons, maintenant, faire face à toutes les dépenses publiques sans aucune espèce d'inflation. Il y a vingt ans que ce n'est pas arrivé. La valeur de notre monnaie est incontestée sur toutes les places du monde. Un quadragénaire français n'a jamais vu ça. Nous avons abaissé de 17 % le taux du change de notre franc, et en l'espace de trois mois, les prix n'ont pas monté de 4 %, alors que depuis Poincaré, toutes les dévaluations étaient suivies d'une hausse massive des prix et d'une nouvelle rupture d'équilibre. Nous avons libéré à 90 % nos échanges extérieurs. Et cependant, la balance commerciale et la balance des comptes sont en ordre. Ce qui constitue, n'est-ce pas, une étonnante innovation ? Au lieu de quitter la France, les capitaux viennent s'y employer. En dix semaines, plus de trois cent milliards de francs. Si bien que nous n'avons plus besoin de demander des secours à d'autres, et même, nous payons nos dettes. Il y a, là, me semble-t-il, des points essentiels qui pourraient, c'est mon avis, être mis mieux en valeur et qui sont tout à fait notoires. Et puis, je constate qu'on insiste volontiers sur les côtés pénibles de l'entreprise, comme par exemple la non-indexation prononcée des produits agricoles ou bien l'abattement de 3000 francs sur les remboursements de la sécurité sociale, ou bien le non-paiement de leur retraite aux anciens combattants qui ne sont ni invalides ni économiquement faibles, etc. Mais on ne parle que très rarement des mesures qui sont prises en contrepartie, comme par exemple l'augmentation des prix d'objectif agricole, l'augmentation du salaire minimum garanti, l'augmentation de 4 % des traitements et de salaires de la fonction et des services publics, l'augmentation de 5200 francs de la retraite des vieilles gens, l'effort accompli pour la construction... l'effort supplémentaire accompli pour la construction de logements, pour l'aménagement des localités, pour la destruction des taudis, etc. On insiste beaucoup et souvent sur une certaine récession qui se fait sentir dans quelques branches d'activités et qui suscite des inquiétudes. Il y a, là, un fait mondial moins sensible chez nous qu'ailleurs, vous le savez, mais cependant, très pénible pour beaucoup et auquel le gouvernement doit appliquer toutes les dispositions possibles. Mais justement, le gouvernement applique ces dispositions-là. Et peut-être pourrait-on les faire valoir un peu mieux, car enfin il est parfaitement vrai que l'Etat a accru de plus de 25 % cette année le total des sommes qu'il consacre aux investissements. Il y a eu une impulsion qui a été donnée à l'intéressement des travailleurs à la marge des entreprises. Il y a une organisation qui a été instituée, commune aux syndicats et au patronat pour la garantie de l'emploi et pour le paiement, le cas échéant, d'une indemnité complémentaire de chômage. Tout cela, encore une fois, pourrait être (je vous livre ma pensée) mis en valeur un peu mieux dans nos journaux. La liberté d'écrire et de publier est un droit. A ceux qui en prennent la responsabilité, il est loisible, je le proclame, de suer le fiel ou de cracher le vinaigre tout autant que de distribuer le lait ou de répandre le miel. Cependant, je dois, puisque l'occasion m'en est offerte, je dois attirer l'attention sur un point. Le plan de redressement économique qui est en cours, on ne pourrait pas facilement le modifier, même au cas où on le voudrait. C'est qu'en effet, il résulte d'une ordonnance qui a été prise en vertu des pleins pouvoirs délégués par la nation et qui a promulgué le budget de 1959. Pour remettre en question l'ensemble de ce budget, il faudrait donc remettre en cause la délégation elle-même, c'est-à-dire procéder à un référendum ou à des élections nouvelles. Je ne vois pas quelle autre procédure pourrait justifier cette modification profonde de l'ordonnance dont j'ai parlé et qui résulte, encore une fois, d'une délégation expresse et formelle et directe du peuple français. Sous cet angle-là comme sur beaucoup d'autres, il me paraît qu'il vaut beaucoup mieux que le plan réussisse. Et bien, justement, c'est ce qui est en train de nous arriver.
(Silence)
Journaliste 3
Mon général, pouvez-vous nous commenter la décision de garder la flotte française en Méditerranée sous commandement national en temps de guerre, et aussi de nous expliquer un peu en général les idées du gouvernement français sur la réhabilitation éventuelle de l'alliance Atlantique ?
Charles de Gaulle
Monsieur, je vous dirai que ça ne me paraît pas être le moment ni le lieu d'expliquer, dans son ensemble, la façon dont la France juge que doit être organisée la sécurité mondiale et l'alliance Atlantique. Et je me borne à vous répondre sur un point particulier qui a été évoqué dans l'opinion publique, celui de la France reprenant la disposition de sa flotte de la Méditerranée pour le temps de guerre. Je peux observer que la zone d'action éventuelle de l'OTAN ne s'étend pas au sud de la Méditerranée. Le Moyen-Orient, l'Afrique du Nord, l'Afrique Noire, Madagascar, la Mer Rouge, etc., n'en font pas partie. Tout le monde sait cela. Mais on ne peut pas contester que la France puisse avoir, à un moment ou à un autre, et à quelque moment que ce soit, à agir dans ces contrées. Et comment le ferait-elle dans le cadre de l'OTAN ? Et d'autre part, comment le ferait-elle si elle ne disposait pas de sa flotte ? Comment, sans sa flotte, pourrait-elle mener quelque action que ce soit dans les pays dont je viens de parler ou pour les défendre ? J'observe, d'ailleurs, que pour des raisons évidemment analogues, les deux autres grandes puissances de l'alliance, c'est-à-dire l'es Etats-Unis et la Grande Bretagne ont pris leurs dispositions pour que la plus grande part de leur force navale ne soit pas intégrée dans l'actuelle OTAN. Et en outre, elles gardent... ces deux puissances gardent dans leurs seules mains l'élément essentiel de leur force, c'est-à-dire les bombardiers atomiques. Quant au fait que la France ait repris la disposition de la flotte, je ne crois pas du tout que ça puisse l'empêcher, le cas échéant, d'engager la flotte dans la bataille commune en Méditerranée. Et je ne vois pas que l'alliance atlantique en soit affaiblie. Et je crois même le contraire. Parce qu'il me semble que cette alliance sera d'autant plus vivante et d'autant plus forte que les grands Etats qui en font partie s'uniront sur la base de la coopération où chacun porte sa charge, plutôt que sur celle de l'intégration où les Etats et les peuples et les gouvernements se voient, dans la matière sacrée de leur propre défense, dépouillés peu ou prou de leur rôle et de leurs responsabilités. Je vous en prie.
Journaliste 4
Vous avez dit, tout à l'heure, que le gouvernement français envisagerait comme un acte d'hostilité toute interdiction de passage des troupes occidentales à Berlin. Pouvez-vous préciser votre pensée sur ce point et nous dire si vous croyez qu'un tel conflit puisse rester localisé, ou au contraire, donner naissance à un conflit généralisé ? Quelle serait l'attitude de la France au cas où les alliés [inaudible] ?
Charles de Gaulle
Moi, je ne cherche pas à rassurer personne. Je vois les choses comme elles sont. Je crois que si dans l'état actuel du monde, des actes hostiles s'engageaient, on ne voit pas trop comment il serait possible de les limiter. En tout cas, c'est une aventure. Il vaut peut-être mieux se dire les uns aux autres : " Parlez-moi d'amour ".
Journaliste 5
Général, est-ce que vous pouvez donner votre point de vue sur les questions de coopération et intégration au sein de l'OTAN ? Est-ce que vous pourriez dire si vous envisagez de faire la même chose que vous avez fait dans la Méditérranée avec les unités de l'armée de terre ou de l'armée de l'air ?
Charles de Gaulle
Mais vous le verrez bien ! Pour ce qui est de la flotte, je viens de vous expliquer où en sont les choses et quelles en sont les raisons. Et dans le cas où il se produirait d'autres changements, vous en seriez certainement informés. Je vous en prie.
Journaliste 6
Il est question, depuis quelques jours, d'une rencontre éventuelle entre vous, mon général, et le roi du Maroc. Est-ce que vous pourriez nous dire ce qu'il y a de vrai, ce qu'il y a de fondé dans cela ?
Charles de Gaulle
Et bien, vous avez pu voir comment Sa Majesté, le roi du Maroc, a exprimé, publiquement d'ailleurs, l'idée qu'il y aurait un avantage pour les deux Etats à une rencontre éventuelle des deux chefs d'Etat. Je puis vous dire, ce n'est pas un mystère, que je suis, dans l'ensemble, dans un sentiment identique à celui de Sa Majesté le roi du Maroc. Alors quant au moment, quant aux modalités, quant au sujet de cet éventuel entretien, vous comprendrez que je ne puisse pas vous répondre, mais ce que je peux dire, c'est que de part et d'autre, les choses sont envisagées dans un sentiment de sincère et profonde amitié.
Journaliste 7
Mon général, est-ce que le gouvernement accepte le principe de négociation directe avec le FLN ?
Charles de Gaulle
Qu'est-ce que vous appelez une négociation directe ?
Journaliste 7
Une négociation pour faire cesser le feu, faire cesser les combats.
Charles de Gaulle
Monsieur, je l'ai répété de la façon la plus formelle et la plus solennelle, hier et avant-hier, en Algérie, que l'offre que j'avais faite pour le cesser le feu au mois d'octobre était toujours valable intégralement. Je ne crois pas qu'il soit utile que je le redise une fois de plus. C'est bien clair et bien certain. J'ajoute qu'à mon sens, pourquoi n'en reviendrait-on pas là, puisque de toute façon, d'une manière ou d'une autre, c'est comme ça que ça finira ? Et bien, messieurs, je suis heureux de vous avoir vus. J'espère avoir satisfait à l'essentiel de ce qui est votre curiosité et votre souci d'information. Je vous remercie de m'avoir prêté votre aimable attention. Au revoir, mesdames et messieurs.
(Silence)