Allocution du 8 mai 1961

08 mai 1961
19m 45s
Réf. 00072

Notice

Résumé :

Après l'échec du coup de force militaire à Alger dans la nuit du 25 au 26 avril, le général de Gaulle s'adresse aux Français le jour anniversaire de la victoire de 1945. Il revient sur les événements du 22 avril et des jours suivants, et il se félicite de la réaction de la Nation tout entière. Il rappelle ensuite les circonstances de son arrivée au pouvoir en 1958 et loue la solidité du nouveau régime, avant de parler de la fonction publique et de son rôle au service de l'Etat. Il évoque ensuite la question algérienne, sa nécessaire résolution, et annonce les rencontres d'Evian à venir, sans préjuger du résultat des négociations quant à l'avenir de l'Algérie. La dernière partie de l'allocution montre la place cruciale que le Général accorde à l'économie planifiée dans sa politique de développement général de la France.

Type de média :
Date de diffusion :
08 mai 1961
Type de parole :

Éclairage

Ramené au pouvoir en juin 1958 par l'impuissance de la IV° République à résoudre la guerre d'Algérie, le général de Gaulle sait que la solution du conflit constitue une attente prioritaire pour les Français. Après avoir en vain proposé aux combattants du FLN de déposer les armes, il prend conscience que la paix en Algérie ne saurait résulter de la seule action militaire, même assortie d'un développement économique proposé par le " Plan de Constantine ". Aussi a-t-il dans son discours du 16 septembre 1959 proposé aux Algériens l'autodétermination, c'est-à-dire le droit de choisir leur destin, leur offrant trois options, la sécession, la francisation ou l'association.

Plus d'un an après le discours de septembre 1959 sur l'autodétermination, la solution de la question algérienne paraît toujours aussi lointaine. Aussi dans son allocution du 4 novembre 1960 de Gaulle a-t-il franchi une étape supplémentaire, en évoquant, au grand dam des partisans de l'Algérie française une " République algérienne ", laissant entendre qu'il est prêt à surmonter de possibles oppositions par le recours au référendum. De fait, consultés par référendum le 8 janvier 1961 les Français ont approuvé à 75% la politique d'autodétermination en Algérie. Pour les partisans de l'Algérie française, le spectre de l'indépendance algérienne se précise dangereusement et ils jugent urgent de passer à l'action.

Le 22 avril 1961, Alger est le théâtre d'un putsch militaire. Quatre généraux de haut rang, dont deux anciens commandants en chef en Algérie, Challe et Salan, l'ancien chef d'état-major général de l'armée de terre, Zeller et le Général commandant de l'aviation Jouhaud, appuyés par des unités de la Légion étrangère et des parachutistes s'emparent du pouvoir, arrêtent le délégué général Jean Morin, le commandant en chef en Algérie, le Général Gambiez et le ministre des Travaux publics Robert Buron, présent sur place. Il s'agit d'empêcher la politique d'autodétermination que 75% des Français ont approuvée en janvier. Le 23 avril, après consultation du Premier ministre, des présidents des deux assemblées et du Conseil Constitutionnel, le général de Gaulle décide de prendre des pouvoirs exceptionnels en vertu de l'article 16 de la Constitution. Son message du 23 avril, prononcé en uniforme, sur un ton autoritaire est une condamnation sans nuances du putsch, l'expression d'un profond mépris pour l'étroitesse de vue de ses auteurs, un ordre formel aux militaires comme aux civils de demeurer dans l'obéissance au pouvoir légal et le rappel qu'il n'est d'autre légitimité que celle que la nation lui a conférée. Cette fermeté et le refus des militaires du contingent de suivre les putschistes provoque l'effondrement de cette tentative de pronunciamento militaire qui n'a d'ailleurs trouvé aucun répondant en métropole où la quasi-totalité de l'opinion a soutenu le pouvoir légal. De Gaulle peut donc tourner la page, laissant la justice régler le sort des coupables. Cette allocution destinée à célébrer le 16 anniversaire de la victoire de 1945 est résolument tournée vers l'avenir, même si, au passage, il rappelle avec force la nécessité pour les agents de l'Etat de servir celui-ci avec loyauté.

L'avenir, c'est d'abord la solution de la question algérienne dans le cadre de l'autodétermination, solution qui doit être examinée avec les représentants du GPRA lors des prochaines rencontres d'Evian, le Général plaidant une nouvelle fois pour l'association, menaçant d'ailleurs, si la sécession était choisie, de regrouper les populations fidèles à la France sur une partie du territoire.

Mais l'avenir c'est surtout le développement de la France dans tous les domaines et l'amélioration des conditions de vie des Français, objectifs à réaliser sous le contrôle de l'Etat dans le cadre de l'ardente obligation du Plan.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
En ce seizième anniversaire d'une victoire que la France atteignit à travers un océan de douleurs mais qui lui rouvrit l'avenir, c'est d'un coeur ferme et confiant que je m'adresse aux Français. Non que je ne ressente amèrement comme vous tous, ce qu'il y eut de Dieu de stupide dans le pronunciamiento perpétré en Algérie, mais je suis sûr que cet incident ne retardera aucunement la marche en avant de la France. Car à peine l'insurrection s'était-elle dressée qu'elle s'effondrait devant l'autorité de l'Etat, l'unité nationale et sur place le loyalisme de l'ensemble de l'armée et du corps administratif. En même temps dans notre peuple, un immense mouvement d'adhésion des esprits et des coeurs se levait à mon appel. Du coup, la patrie et la République ont évité une fois de plus des déchirements désastreux. À présent, pour débarrasser la force de l'ordre et la fonction publique des éléments qui se sont montrés infidèles à leur devoir et pour punir ceux qui les y poussèrent et qui se firent leurs complices, les sanctions voulues sont prises ou en cours de l'être. Quelques tristesses que puissent causer à ceux qui ont à le faire, et pour commencer à moi-même, le châtiment des égarés. Quant aux principaux coupables, c'est la justice qui va passer sur eux. Un régime nouveau a pris en main, il y a trois ans, les affaires de la France, quand elle était au bord de la guerre civile, sur le point de rouler aux abîmes de l'inflation engagée en Algérie dans une lutte dont personne n'osait vouloir l’issue. Considérée par le monde entier comme un pays malade et qui ne pouvait tenir que grâce à ses grands alliés. Maintenant, ce régime, on vient de le voir, assure le salut public et l'unité nationale, procure à l'économie, à la monnaie, au travail et à la vie des bases stables et solides, dirige une expansion croissante ; Réalise maints progrès sociaux, entame la création d'une force moderne de défense, rétablit notre pays à son rang dans l'univers. Par là s'explique l'adhésion ardente et réfléchie qu'il trouve dans la masse des Français. Et cependant, comme l'éclair de l'orage, fait apparaître tout à coup des objets entourés d'ombre ainsi l'événement récent, a soudain mis en lumière des réalités nationales que beaucoup distinguaient mal. Aujourd'hui, tout le monde discerne qu'il doit être remédié, non seulement à la secousse que nous venons de subir, mais aux causes qui nous rendent vulnérables. C'est dans ce but que sont mises en oeuvre des dispositions exceptionnelles justement prévues par notre Constitution. Il s'agit d'abord de mieux établir l'autorité de la République sur ceux qui ont fonction de la servir. On vient de vérifier une fois de plus dans notre histoire, que l'Etat, quand il est l'Etat, est le guide et le rempart de la nation. Mais pour qu'il soit efficace, il faut que les instruments par lesquels le pouvoir légitime agit dans tous les domaines fassent corps avec lui, à tous moments et en tous lieux. Cela est vrai évidemment, d'abord, de son bras séculier c'est-à-dire de l'armée, de la police, de la justice, pour lesquelles l'accomplissement rigoureux de leur devoir constitue un impératif catégorique, autant que magnifique. Mais cela est vrai aussi, quoique dans des conditions différentes, pour les autres organismes auxquels l'Etat délègue une part de son autorité. D'autant plus qu'en l'époque moderne, la vie même du pays dépend de la fonction publique. La manière dont celle-ci remplit ses charges touche donc la France au plus profond et revêt à tous les yeux ou bien un caractère de l'exemple, ou bien celui du scandale. Nul n'est contraint de faire carrière au service de l'Etat. Mais pour ceux qui s'y consacrent, ce service est une noble et stricte obligation. Faire en sorte que cette obligation soit observée dans tous les cas, voilà qui est nécessaire. En même temps, il nous faut régler l'affaire algérienne. Ce qui vient de se passer a contribué à démontrer que la seule voie pratiquée digne de la France, c'est celle qui a été choisie par le Gouvernement, adoptée par le Parlement, approuvée par la Nation. Aux populations algériennes de prendre en main leur destin. À elles de décider si l'Algérie sera demain un Etat souverain, au-dedans et au dehors. À elles aussi de décider si cet Etat sera associé à la France. Ce que la France pourra accepter, moyennant une contrepartie effective à son concours et la coopération organique des communautés, quelle tâche féconde peut s'offrir dans ces conditions aux Algériens de souches françaises. De tout mon coeur, je leur demande au nom de la France, et le jour même où nous commémorons une victoire à laquelle ils ont pris tant de part, je leur demande de renoncer aux mythes périmés, aux agitations absurdes d'où ne sortent que des malheurs et à tourner leur courage et leur capacité vers la grande tâche à accomplir. Si au contraire, les populations algériennes se laissaient entraîner lors de l'autodétermination à une situation de sécession ou de rupture ; la France n’y ferait pas obstacle parce qu'elle ne tient pas du tout à maintenir sur elle de force une responsabilité qui serait sans issue, ni à prodiguer pour elle des concours qui ne signifieraient plus rien. Mais alors, comme en toute hypothèse, elle ne saurait renoncer à ses propres enfants et qu'elle a du reste les moyens nécessaires pour les protéger, elle regrouperait ceux des Algériens qui voudraient rester Français. Elle renverrait de son territoire ceux qui ne le voudraient pas et elle cesserait de consacrer à des populations qui l'auraient rejetée ses efforts, ses hommes et son argent. L'avenir de l'Algérie et les moyens de l'ouvrir par le suffrage, c'est ce dont nous entendons discuter à fond avec les tendances algériennes, notamment ceux qui nous combattent. C'est essentiellement cela que nous comptons aborder dans les prochaines rencontres d'Evian. Oui, mettre en pleine clarté devant les populations de quoi il retourne, et entre quoi elles ont à choisir, régler en toute occurrence les conditions dans lesquelles aura lieu le référendum. Il est réglé avec les éléments algériens, y compris bien entendu les chefs des rebelles. Etablir si c'est possible, avec les mêmes éléments, une solution d'association constructive de la France et de l'Algérie, afin que l'autodétermination s'effectue dans un esprit de paix et d'espoir. Qu'ensuite l'Algérie puisse s'édifier par elle-même avec l'aide et l'appui de la France et que la France ait des raisons de lui donner son aide et son appui. S'il devait s'avérer qu'en fin de compte, aucune entente n'est réalisable avec les dirigeants de la rébellion, ni au sujet du scrutin ni au sujet de l'avenir. Alors hâtez et développez sur place l'accession des Algériens à toutes les responsabilités, y compris celles de leur gouvernement, afin que se bâtisse malgré tout l'Algérie nouvelle. De toutes manières, aboutir à la libre consultation qui décidera de tout, c'est la politique de la France. Mais si indispensable que soient les sanctions prises ou à prendre à la suite de l'insurrection, si pressant que soit l'affermissement de l'Etat par rapport à ses propres services ; Si importante que puisse être la solution du problème algérien, la condition qui domine tout l'avenir de la France, c'est que ses enfants se rassemblent pour une grande tâche nationale. Aujourd'hui, comme il en fut toujours, c'est par l'ambition collective que nous vaincrons nos divisions et trouverons la foi et l'espoir. C'est évident, quelle tâche et quelle ambition ? Eh bien, celles que nous dicte le caractère du temps et du monde où nous sommes. Que nous dictent les nécessités de la vie de notre peuple ? Que nous dicte l'impulsion profonde qui s'y fait jour déjà ? Et que va multiplier l'entrée en ligne d'une nombreuse jeunesse ? Le développement de la France. C'est l'entreprise immense qui nous offre la puissance, la fraternité et qui nous offre la grandeur. Alors il est vrai que déjà beaucoup est en train de se faire. Sous l'égide de la science et de la technique, nous assistons jour après jour à une vaste transformation de notre pays. Industrie, agriculture, défense nationale, écoles, maisons, transports, voyages, moyens d’information, télécommunications, etc... En même temps s'élève la condition des Français quant à leur niveau de vie, à leur sécurité sociale et familiale, à l'instruction de leurs enfants, à leur santé, à leurs loisirs. Mais ce n'est qu'un commencement par rapport à ce qui est possible et par conséquent nécessaire. Il faut que le plan de développement national qui, déjà depuis seize ans, oriente vers le progrès l'activité de la France. Il faut que ce plan devienne une institution essentielle, plus puissante dans ses moyens d'action, plus ouverte à la collaboration des organismes qualifiés de la science, de l'économie, de la technique et du travail. Qu'elle soit plus populaire quant à l'intérêt que son oeuvre doit susciter dans le peuple tout entier. Il faut que les objectifs à déterminer par le plan pour l'ensemble du pays et pour chacune de ses régions ; Que les buts à fixer pour l'amélioration corrélative de la condition de toutes les catégories, et d'abord des plus modestes ; Que les investissements publics et privés à décider pour que le rythme aille en s'accélérant ; Il faut que tout cela soit, pour tous les Français, une ardente obligation. Bref, il faut que cet immense et gigantesque renouvellement devienne la grande affaire et l'ambition capitale de la France. En vérité, qu'il s'agisse de nos institutions, de notre vie nationale, de notre action internationale, de l'évolution rapide et profonde que nous avons commencées et liées aux grands mouvements qui emportent tout l'univers. À ceux qui veulent survivre et grandir, notre siècle commence. Le rendement, la cohésion, le renouveau. Or, la France veut survivre et grandir. Elle l'a prouvé en prenant sa part après de grands malheurs à la victoire qui termina la Guerre mondiale. Elle l'a prouvé récemment en se donnant des pouvoirs capables d'agir et en mettant en oeuvre sa propre transformation. Elle l'a prouvé pas plus tard qu'hier en pulvérisant un complot qui tendait à la diviser, par conséquent à l'affaiblir. Maintenant, c'est de son essor que dépend tout son destin. Peuple français, en avant !