L'élection du président de la République au suffrage universel

20 septembre 1962
18m 26s
Réf. 00080

Notice

Résumé :

Le 22 août 1962, le génral de Gaulle est victime d'un attentat manqué au Petit-Clamart, fomenté par le colonel Bastien-Thiry. C'est en réaction à cet acte qu'après le Conseil des ministres du 12 septembre, de Gaulle décide que dorénavant, le Président de la République sera élu au suffrage universel. Il soumet ce projet à l'approbation des Français par voie de référendum. Cette modification de la Constitution provoque aussitôt l'opposition de la plupart des formations politiques. Le général s'adresse directement aux Français pour leur expliquer les raisons et la portée de cette réforme importante. Après un rappel de la situation en 1958, il donne une description de la France, depuis l'instauration de la nouvelle Constitution. Il parle ensuite de la fonction présidentielle, et de la nécessaire continuité de l'Etat et du fonctionnement des pouvoirs. Bref, il répond de la République. Pour porter ces responsabilités suprêmes, il faut au Chef de l'Etat des moyens qui soient adéquats.

Type de média :
Date de diffusion :
20 septembre 1962
Type de parole :

Éclairage

Depuis la conclusion en mars 1962 de la paix en Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance le 3 juillet, une page de l'histoire de la Vème République est tournée. De Gaulle n'ignore pas que, la guerre d'Algérie terminée, les forces politiques sont décidées à le chasser du pouvoir pour restaurer la toute-puissance du Parlement. Au cours des mois de juin et juillet, l'alliance de fait entre une gauche hostile au régime de la Vème République et une droite au sein de laquelle les nostalgiques de l'Algérie française ont un poids considérable prive virtuellement de majorité le gouvernement formé au printemps par Georges Pompidou. C'est d'extrême justesse qu'une motion de censure a été évitée en juillet.

Aussi de Gaulle est-il résolu à reprendre l'initiative. Il y est poussé par un attentat de l'OAS dirigé contre lui le 22 août 1962 au Petit-Clamart, au cours duquel il échappe de justesse à la mort. Après le Conseil des ministres du 29 août, le Général annonce son intention de proposer une révision constitutionnelle pour assurer la continuité de l'Etat et on apprend le 12 septembre qu'il s'agit de proposer un référendum disposant que le Chef de l'Etat sera désormais élu au suffrage universel, ce qui provoque un tollé de toutes les formations politiques à l'exception des mouvements gaullistes.

Le discours prononcé le 12 septembre a pour objet de justifier devant l'opinion la révision proposée. Après avoir rappelé les multiples difficultés et menaces qui marquaient la situation de la France au moment de son retour au pouvoir en 1958, il dresse le tableau du redressement qui s'est opéré depuis la fondation de la Vème République et il en attribue le mérite à la solidité des institutions. Or, rappelle-t-il, la clé de voûte de celle-ci est un président de la République en charge du destin national et il détaille les multiples fonctions que la constitution lui attribue et les armes constitutionnelles dont il dispose pour les exercer.

Toutefois, un pouvoir aussi important exige à ses yeux une autorité incontestable émanant du peuple français. De Gaulle estime que son rôle historique la lui assurait en 1958 et qu'il n'a pas jugé nécessaire dans ces conditions de demander au peuple un plébiscite en sa faveur. Toutefois, la situation serait différente pour un successeur qui n'aurait pas son passé et sa stature. Aussi estime-t-il nécessaire que le prochain président de la République, pour disposer de l'autorité indispensable à l'exercice de sa charge, soit élu par le peuple au suffrage universel. En outre, il défend la procédure choisie pour réaliser la réforme en réponse aux critiques explicites des forces politiques, mais aussi des juristes qui considèrent que la révision constitutionnelle exige en vertu de l'article 89 de la constitution, préalablement à tout référendum, un vote en termes identiques des deux assemblées. Or de Gaulle qui doute de pouvoir obtenir l'accord des assemblées où il ne dispose plus de majorité leur oppose l'article 3 de la constitution qui stipule que la souveraineté appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants ou par la voie du référendum et que le président peut soumettre à référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics.

Le discours du 20 septembre annonce donc le prochain référendum et ouvre la crise entre de Gaulle et les forces politiques traditionnelles

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Depuis que le peuple français m'a appelé à reprendre officiellement place à sa tête, je me sentais obligé de lui poser un jour une question qui se rapporte à ma succession. Celle du mode d'élection du chef de l'Etat. Des raisons que chacun connaît m'ont récemment donné à penser qu'il pouvait être temps de le faire. Qui donc aurait oublié quand, pourquoi, comment fut établie notre Constitution ? Qui ne se souvient de l'échéance mortelle devant laquelle, en Mai 1958, se trouvaient le pays et la République ? En raison de l'infirmité organique du régime d'alors, dans l'impuissance des pouvoirs apparaissaient tout à coup l'imminence des coups d'Etat, l'anarchie généralisée, la menace de la guerre civile, l'ombre de l'intervention étrangère. Comme tout se tient, c'est au même moment que s'ouvrait devant nous le gouffre de l'effondrement monétaire, financier, économique. Enfin ce qu'il y avait d'absurde et de ruineux dans le conflit algérien après la guerre d'Indochine et à l'annonce de graves déchirements dans tout l'ensemble de l'Afrique Noire, imposait la nécessité de changer en coopération de pays indépendants les rapports de la France et de ses colonies. Tandis que le régime tâtonnant et trébuchant des partis se trouvait hors d'état de trancher ce qui devait l'être et de maîtriser les secousses qu'une pareille transformation allait forcément susciter. C'est alors qu'assumant de nouveau le destin de la patrie, j'ai, avec mon gouvernement, proposé au pays l'actuelle Constitution. Celle-ci, qui fut adoptée par quatre-vingt pourcents des votants, a maintenant quatre ans d'existence. On peut donc dire qu'elle a fait ses preuves. La continuité dans l'action de l'Etat, la stabilité, l'efficacité, l'équilibre des pouvoirs ont remplacé, comme par enchantement, la confusion organique et les crises perpétuelles qui paralysaient l'ancien système quelle que put être la valeur des hommes. Par là même, portent maintenant leurs fruits le grand effort et le grand essor du peuple français. La situation de la France au-dedans et au dehors a marqué des progrès éclatants reconnus par le monde entier. Sans que les libertés publiques en aient été aliénées. Mais aussi a été notamment réglé le grave et pénible problème de la décolonisation. Certes, l'oeuvre que nous avons encore à accomplir reste immense car pour un peuple, continuer de vivre ça veut dire continuer d'avancer. Personne ne croit sérieusement que nous pourrions le faire si nous renoncions à nos solides institutions. Et personne au fond ne doute que notre pays serait très vite jeté à l'abîme si par malheur nous le livrions de nouveau au jeu péril et dérisoire d'autrefois. Or, la clé de voûte de notre régime, c'est l'institution nouvelle d'un Président de la République désigné par la raison et par le sentiment des Français pour être le chef de l'Etat et le guide de la France. Bien loin que le Président doit comme naguère rester confiné dans un rôle de conseil et de représentation, la Constitution lui assigne à présent la charge du destin de la France et de celui de la République. Suivant la Constitution, le Président est en effet garant, vous entendez bien, garant, de l'indépendance et de l'intégrité du pays ainsi que les traités qui l'engagent. Bref, il répond de la France. D'autre part, il lui appartient d'assurer la continuité de l'Etat et le fonctionnement des pouvoirs. Bref, il répond de la République. Pour porter ses responsabilités suprêmes, il faut au Président des moyens qui soient adéquats. La Constitution les lui donne. C'est lui qui désigne les ministres et d'abord choisit le premier. C'est lui qui préside leur conseil. C'est lui qui, sur leurs rapports, prend par décret ou par ordonnance, toutes les décisions importantes de l'Etat. C'est lui qui nomme les fonctionnaires, les officiers, les magistrats, dans les domaines essentiels de la politique extérieure et de la sécurité nationale, il est tenu à un rôle direct. Puisqu'en vertu de la Constitution, il négocie et conclut les traités puisqu'il est le chef de l'armée, puisqu'il préside à la défense. Par-dessus tout, s'il arrive que la patrie et la République soient immédiatement en danger, le Président se trouve investi en personne de tous les devoirs et de tous les droits que comporte le salut public. Il va de soi que l'ensemble de ces attributions permanentes ou éventuelles amènent le Président à inspirer, à orienter, à animer l'action nationale. Il arrive qu'il ait à la conduire, comme par exemple je l'ai fait dans toute l'affaire algérienne. Certes, le Premier Ministre et ses collègues, sur la base ainsi tracée, ont à déterminer à mesure la politique et à diriger l'administration. Certes, le Parlement délibère et vote les lois, contrôle le gouvernement et a le droit de le renverser. Ce qui d'ailleurs marque le caractère parlementaire du régime. Mais pour maintenir en tous les cas l'action et l'équilibre des pouvoirs et pour mettre en oeuvre, s'il le faut, la souveraineté du peuple, le Président dispose en permanence de la possibilité de recourir au pays. Soit par la voie du référendum, soit par celle des élections, soit par l'une et l'autre à la fois. En somme, comme vous le voyez, un des caractères essentiels de la Constitution de la Cinquième République c'est qu'elle donne une tête à l'Etat. Autant moderne où tout est si vital, si rude, si précipité, la plupart des grands pays du monde : Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne, Allemagne, etc... en font autant, chacun à sa manière. Nous la faisons à la nôtre, qui est d'une part démocratique et d'autre part conforme aux leçons et aux traditions de notre longue histoire. Mais, pour que le Président puisse porter et exercer effectivement une charge pareille, il lui faut la confiance explicite de la nation. Permettez-moi de dire qu'en reprenant la tête de l'Etat en 1958, je pensais que pour moi-même et à cet égard, les événements de l'histoire avaient déjà fait le nécessaire. En raison de tout ce que nous avons ensemble voulu et réalisé à travers tant de peine, de larmes et de sang, mais aussi avec tant d'espérance, d'enthousiasme et de réussite ; Il y a entre vous, Françaises, Français et moi-même, un lien exceptionnel qui m'investit et qui m'oblige. Je n'ai donc pas attaché alors une importance particulière aux modalités qui allaient entourer ma désignation, puisque celles-ci étaient d'avance prononcées par la force des choses. D'autre part, tenant compte de susceptibilités politiques dont certaines étaient respectables, j'ai préféré à ce moment-là qu'il n'y eut pas à mon sujet une sorte de plébiscite formel. Bref, j'ai consenti à ce que le texte initial de la Constitution soumît l'élection du Président à un collège relativement restreint d'environ quatre-vingt mille élus. Mais si ce mode de scrutin non plus qu'aucun autre ne pouvait fixer les responsabilités à l'égard de la France, ni exprimer à lui seul la confiance que veulent bien me faire les Français ; Il n'en serait pas de même pour ceux qui, n'y ayant pas reçu les événements à la même marque nationale, viendront après moi, tour à tour, prendre le poste que j'occupe. Cela pour qu'il soit entièrement en mesure et complètement obligé de porter la charge suprême et qu'ainsi notre République ait une bonne chance de rester cohérente, populaire et efficace en dépit des démons de nos divisions. Cela, dis-je, il faut qu'il en reçoive mission de l'ensemble des citoyens, sans qu'il y ait à changer les droits respectifs, ni les rapports réciproques des pouvoirs exécutifs, législatifs, judiciaires, tels que les fixe la Constitution. Mais pour maintenir et pour affermir dans l'avenir nos institutions face à toutes les entreprises factieuses, de quelque côté qu'elles viennent ; Et aussi aux manoeuvres de ceux qui, de bonne ou de mauvaise foi, voudraient nous ramener au funeste système d'en temps ; Je crois devoir faire au pays la proposition que voici. Quand sera terminé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l'interrompait avant le terme, le Président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel. Par quelle voie, sur ce sujet qui touche tous les Français, par quelle voie convient-il que le pays exprime sa décision? Je réponds. Par la plus démocratique, par la voie du référendum. C'est aussi la plus justifiée. Car le peuple français, qui détient la souveraineté nationale, la détient aussi évidemment dans le domaine constituant. D'ailleurs, c'est du suffrage de tous les citoyens que procède l'actuelle Constitution où demeurant, celle-ci spécifique, le peuple exerce sa souveraineté soit par ses représentants, soit par le référendum. Si le texte prévoit une procédure déterminée dans le cas où la [INAUDIBLE] aurait lieu dans le cadre parlementaire. Il prévoit aussi, de la façon la plus simple et la plus claire, que le Président de la République peut proposer au pays, par voie de référendum, tout projet de loi. Je souligne, tout projet de loi concernant l'organisation des pouvoirs publics. Ce qui englobe, bien évidemment, le mode d'élection du Président. Le projet que je me dispose à soumettre au peuple français le sera donc dans le respect de la Constitution, que sur ma proposition il s'est à lui-même donné. Françaises, Français, en cette périlleuse époque et en ce monde difficile, il s'agit de faire en sorte, dans la mesure où nous le pouvons, que la France vive, qu'elle progresse et qu'elle assure son avenir. En vous proposant avant peu dans le domaine de nos institutions nationales de parfaire un point dont demain tout peut dépendre, je crois en toute conscience bien servir notre pays. Mais, comme toujours, je ne peux et ne veux rien accomplir qu'avec votre concours, comme toujours. Je vais donc bientôt vous le demander. Alors, comme toujours, c'est vous qui en déciderez. Vive la République ! Vive la France !