Allocution du 3 décembre 1965

03 décembre 1965
10m 54s
Réf. 00250

Éclairage

Le 19 novembre 1965 débute la campagne officielle pour l'élection présidentielle qui doit se dérouler les 5 et 19 décembre 1965, première élection du Chef de l'Etat au suffrage universel en France depuis 1848. Cinq candidats se présentent contre le général de Gaulle qui a attendu le début du mois de novembre pour faire connaître sa candidature à sa propres succession, manière pour lui de marquer sa différence avec ses adversaires dont les trois principaux, François Mitterrand, Jean Lecanuet et Jean-louis Tixier-Vignancour ont été désignés par les forces politiques traditionnelles.

Cette même volonté de se distinguer des hommes des partis pour se présenter comme "l'homme du pays" explique qu'il dédaigne de conduire une campagne à l'image de celle de ses concurrents, négligeant la possibilité de se faire entendre durant deux heures par semaine sur les ondes de la radio et de la télévision. Mais si, jusqu'à la mi-novembre, les sondages d'opinion lui promettent la victoire au premier tour qu'il escomptait, la seconde quinzaine de novembre met en évidence la possibilité d'un ballottage. Aussi se décide-t-il tardivement à faire campagne, prononçant le 30 novembre une allocution radio-télévisée pour définir les enjeux du scrutin. Or, contrairement à son attente, cette intervention ne renverse pas la tendance puisqu'un sondage effectué les 1 et 2 décembre ramène à 43% les intentions de vote en sa faveur au premier tour. Aussi intervient-il une seconde fois le 3 décembre, avant-veille du scrutin.

L'allocution du 3 décembre reprend en les dramatisant les thèmes qui avaient déjà fait l'objet de celle du 30 novembre, de Gaulle opposant sa personne et son action à celles des partis qui avaient conduit la IVème République à la faillite. Il résume son bilan en rappelant qu'il a réglé cinq problèmes qui semblaient insolubles : la stabilité des institutions, la décolonisation, la paix, l'inflation et l'indépendance nationale. Il propose donc aux Français de construire l'avenir à partir de cette base en fonction des objectifs économiques et sociaux du cinquième plan, en continuant et élargissant la construction européenne, en développant l'entente et la coopération entre tous les peuples du monde.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
[Préparation] Françaises, Français, la décision que par votre vote vous allez prendre après-demain, engagera sans doute pour toujours le destin de notre pays. C'est donc une décision d'ensemble et qui implique un jugement d'ensemble sur la République nouvelle ainsi que sur le Français qui a l'honneur de la présider. Il y a sept ans, où en étions-nous ? La situation d'alors se résumait comme ceci. Le régime des partis épouvanté par sa propre faillite abdiquait une fois de plus ses responsabilités et laissait place à notre République. Je suis, comme vous le savez en mesure de le dire en complète connaissance de cause. C'est pourquoi me paraissent d'autant plus outrecuidantes les leçons que prétendent donner des candidats qui, quoi qu'ils disent, ne s'inspirent que du régime d'antan et qui, héritant des mêmes divisions, procédant des mêmes combinaisons, abusant des mêmes illusions, ne demandent qu'à recommencer. Et maintenant où allons-nous ? Cinq problèmes essentiels, que jadis on dissimulait sous des tas de faux-semblants et d'équivoques, faute d'être capable de les résoudre, sont effectivement réglés. Les institutions, faites naguère pour l'impuissance, alors qu'aujourd'hui il y a, avec le chef de l'Etat, un gouvernement qui dure et qui gouverne, un parlement qui exerce efficacement et dignement, son pouvoir législatif. La décolonisation qui divisait les Français, nous aliénait l'univers et agitait notre armée et qui est réalisée. La paix que depuis un demi-siècle ou à peu près nous n'avions jamais vraiment connue et que nous avons retrouvée. L'inflation qui rongeait l'économie, les finances, la monnaie, et qui au point de vue social entretenait une constante insécurité et de perpétuelles injustices, elle est désormais jugulée. L'indépendance reprise alors qu'on l'étouffait sous un amas de mythes mensongers. Eh bien, c'est à partir de cette base indiscutable que nous avons marché et que nous marchons de l'avant dans beaucoup d'autres questions très graves. L'adaptation et l'expansion de l'industrie, de l'agriculture, des échanges, le niveau de vie réel, et puis l'équipement et puis le logement et puis la recherche scientifique et l'enseignement, et puis les retraites, les sports, les hôpitaux etc. Et quant à l'étape nouvelle, elle est déjà tracée, c'est la loi du cinquième plan, la loi du progrès social qu'a décidé notre République et qui fixe pour cinq ans le but, la route et les moyens de la marche à la prospérité de notre pays tout entier et de chacun de ses enfants. Cette charte de notre prospérité et de notre progrès, il s'agit de la mettre en oeuvre et de la réaliser tout en préparant la suite pour qu'elle soit encore meilleure et encore plus fraternelle. Au dehors, nous entendons que l'union économique de l'Europe occidentale, qui fonctionne déjà en partie, soit achevée entre les Six sur la base du bon sens et de la bonne amitié. Puis qu'ensuite elle s'élargisse à d'autres pays voisins. En même temps nous voulons aller vers l'entente et vers la coopération dans tous les domaines et effective. Vaste entreprise que nous avons heureusement entamée avec les pays de l'Est. Enfin, pour multiplier les liens que nous tissons avec l'Asie, l'Amérique latine, l'Orient, liens nouveaux ou renouvelés, quelle est et quelle sera notre tâche ? Voilà comment, la France redevenue la France, avec sa vocation humaine, son ambition humaine et son génie de toujours, veut aider le monde à trouver son équilibre qui est la seule voie de la paix. Françaises, Français, en demandant à chacune, à chacun de vous le témoignage de sa confiance, je vous offre le moyen décisif de confirmer la République nouvelle. Si vous le faites, alors je suis certain que l'élite de l'action et de la réussite qu'elle fait naître à mesure chez nous et la masse profonde de notre peuple qui l'a adoptée à mon appel poursuivront sous son égide le magnifique effort que nous avons commencé. Et je suis sûr aussi qu'après moi la République nouvelle demeurera vivante et féconde, parce que le peuple souverain aura marqué qu'elle est la sienne et que ce sont les hommes dignes d'elle qu'au nom de l'avenir, il choisira pour répondre de ses destinées. Françaises, Français, une fois de plus, devant vous toutes et devant vous tous, j'ai pris ma responsabilité. Dimanche, vous prendrez la vôtre. Vive la République, vive la France !