6 juin 1944: "La bataille suprême est engagée"

06 juin 1944
05m 26s
Réf. 00312

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle annonce l'engagement de la "bataille suprême" sous l'impulsion des gouvernements et des forces alliées. Mais immédiatement après il entreprend de jouer sa propre partition. Il fait de la lutte qui commence celle de la France et appelle ses compatriotes à "combattre, par tous les moyens dont ils disposent". Ce faisant, il s'oppose diamétralement au gouvernement de Vichy qui, au même moment, adjure les Français de ne pas s'engager. Plus encore, après avoir rappelé la renaissance glorieuse des armées françaises, de Gaulle invite celles et ceux qui prendront les armes à ne suivre les ordres que des "chefs français" qualifiés par le gouvernement français "à l'échelon national et à l'échelon local". L'opposition aux velléités alliées de prendre provisoirement les commandes en France est donc frontale. L'homme du 18 Juin conclut par un appel à l'unité au service de la grandeur de la France.

Type de média :
Date de diffusion :
06 juin 1944
Type de parole :

Éclairage

Le 3 juin 1944, le Comité français de la libération nationale (CFLN) que présidait le général de Gaulle devint Gouvernement provisoire de la République française (GPRF). Cette transformation n'était pas que de pure forme. De la part de De Gaulle, il s'agissait d'un véritable défi aux Alliés anglo-saxons. Ceux-ci considéraient en effet que, dans l'attente d'assurances démocratiques sur la représentativité du gouvernement, le rétablissement de la loi et de l'ordre dans la France libérée devrait se faire sous la supervision du Général Eisenhower, commandant en chef des forces alliées sur le front ouest. Avec la création du GPRF s'ouvrait donc une période de fortes tensions qui ne prendrait fin qu'avec l'installation à Paris du gouvernement provisoire français, à la fin de l'été. Ces tensions connurent leur acmé dans les jours qui précédèrent le débarquement en Normandie. Tenu à l'écart par les Alliés de la préparation du débarquement, de Gaulle fut invité par Churchill à rejoindre Londres. Parvenu dans la capitale anglaise le 3 juin en fin de journée, il rencontra Churchill puis Eisenhower le 4. L'une et l'autre rencontres se passèrent très mal, de Gaulle refusant catégoriquement toute idée d'administration provisoire de la France par les Alliés. Le discours que l'homme du 18 Juin prononça aux petites heures du 6 juin fut le produit de rudes négociations. Dans les jours qui suivirent, de Gaulle dut déjouer d'ultimes man?uvres de Churchill pour parvenir à effectuer un bref aller et retour en Normandie, le 14 juin.

Guillaume Piketty

Transcription

Charles de Gaulle
La bataille suprême est engagée. Après tant de combats, de fureur, de douleurs, voici venu le choc décisif, le choc tant espéré. Bien entendu, c'est la bataille de France et c'est la bataille de la France. D'immenses moyens d'attaque, c'est-à-dire, pour nous, de secours, ont commencé à déferler à partir des rivages de la vieille Angleterre. Devant ce dernier bastion de l'Europe, à l'Ouest, fut arrêtée, naguère, la marée de l'oppression allemande. Il est, aujourd'hui, la base de départ de l'offensive de la liberté. La France, submergée depuis quatre ans mais non point réduite ni vaincue, la France est debout pour y prendre part. Pour les fils de France, où qu'ils soient, quels qu'ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre, par tous les moyens dont ils disposent. Il s'agit de détruire l'ennemi, l'ennemi qui écrase et souille la patrie, l'ennemi détesté, l'ennemi déshonoré. L'ennemi va tout faire pour échapper à son destin. Il va s'acharner à tenir notre sol aussi longtemps que possible. Mais il y a beau temps, déjà, qu'il n'est plus qu'un fauve qui recule de Stalingrad à Tarnopol, des bords du Nil à Bizerte, de Tunis à Rome. Il a pris, maintenant, l'habitude de la défaite. Cette bataille, la France va la mener avec fureur. Elle va la mener en bon ordre. C'est ainsi que nous avons, depuis quinze cent ans, gagné chacune de nos victoires. C'est ainsi que nous gagnerons celle-là en bon ordre. Pour nos armées de terre, de mer, de l'air, il n'y a point, là, de problème. Jamais elle ne furent plus ardentes, plus habiles, plus disciplinées. L'Afrique, l'Italie, l'Océan et le ciel ont vu leurs forces et leur gloire renaissantes. La terre natale les verra, demain, pour la nation qui se bat, les pieds et les poings liés contre l'oppresseur armé jusqu'aux dents. Le bon ordre dans la bataille exige plusieurs conditions. La première est que les consignes données par le gouvernement français et par les chefs français qui l'a qualifiés pour le faire à l'échelon national et à l'échelon local soient exactement suivies. La seconde est que l'action menée par nous sur les arrières de l'ennemi soit conjuguée aussi étroitement que possible avec celle que mènent de front les armées alliées et françaises. Or, tout le monde doit prévoir que l'action des armées sera dure et sera longue. C'est dire que l'action des forces de la Résistance doit durer pour aller s'amplifiant jusqu'au moment de la déroute allemande. La troisième condition est que tous ceux qui sont capables d'agir soit par les armes, soit par les destructions, soit par leurs renseignements, soit par le refus du travail utile à l'ennemi ne se laissent pas faire prisonniers. Que tous ceux-là se dérobent d'avance à la clôture ou à la déportation. Quelles que soient les difficultés, tout vaut mieux que d'être mis hors de combat sans combattre. La bataille de France a commencé. Il n'y a plus, dans la nation, dans l'empire, dans les armées, qu'une seule et même volonté, qu'une seule et même espérance. Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes, voici que reparaît le soleil de notre grandeur !