Quelles institutions pour l'Europe ?

12 novembre 1953
04m 09s
Réf. 00325

Notice

Résumé :

En juillet 1953, un armistice est signé en Corée mais les Etats-Unis accentuent leur pression pour la création d'une armée européenne placée sous leur contrôle. Le septennat du Président de la République Vincent Auriol s'achève en décembre de la même année. Le général convoque le 12 novembre une conférence de presse pour faire l'analyse de la situation internationale, rappeller les solutions qu'il préconise et commenter le rôle du RPF.

Type de média :
Date de diffusion :
12 novembre 1953
Type de parole :

Éclairage

L'année 1953 est dominée, dans le monde, par le début d'une "première détente" des relations internationales après la mort de Staline en mars et la fin de la guerre de Corée en juillet. En Europe, l'heure est à la construction : la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) est installée et le traité de Paris du 27 mai 1952 a institué la Communauté Européenne de Défense (CED). Mais il reste, en France, à ratifier le traité de la CED ce qui n'a pu être fait un an et demi après sa signature tant le débat fait rage dans les milieux politiques. Dès le 6 juin 1952, de Gaulle a pris position contre la CED et les gaullistes, comme les communistes - et parfois ensemble dans des tribunes ou affiches communes voire dans des meetings communs - figurent parmi les plus grands adversaires de la CED dont ils rejettent l'atteinte à l'indépendance nationale, le réarmement de l'Allemagne, la fusion des armées nationales dans une armée européenne, trop soumise aux Etats-Unis. Aucun gouvernement n'inscrit la ratification à l'ordre du jour par peur de voir sa majorité éclater.

Ce combat gaulliste n'a pas faibli malgré les déboires du RPF. Mal remis du semi-échec électoral de 1951 et de la déchirure du groupe gaulliste face à Pinay en 1952, le RPF vient d'essuyer au printemps 1953 une très grosse défaite aux municipales. De Gaulle en a tiré une leçon : le 6 mai 1953, il retire le RPF de la vie électorale et parlementaire tout en affirmant :"il est plus que jamais d'intérêt public que le Rassemblement, dégagé de l'impasse électorale et parlementaire, s'organise et s'étende dans le pays pour accomplir sa mission. . .".

Dans son discours du 12 novembre 1953, de Gaulle a rappelé tous les axes forts de son projet pour la France dans le monde. De Gaulle intervient désormais essentiellement sur les questions de politique extérieure, concentrant son combat sur l'opposition à la CED et sur ses propositions en faveur de l'Europe, attaquant "l'inspirateur" (Monnet) auquel tout l'oppose quant à l'avenir de l'Europe. Il accuse les gouvernements de la IVe République de faiblesse.

La position du général de Gaulle est importante car la France doit élire un nouveau président de la République et l'élection - le 23 décembre - a montré l'importance des clivages entre "cédistes" et "anti-cédistes". Le 30 août 1954, fidèles aux conceptions du général de Gaulle, les députés gaullistes - issus du RPF - contribuent par leur vote à la non ratification du traité de Paris et à l'échec de la CED.

Bibliographie :

Fondation Charles de Gaulle-Université de Bordeaux 3, De Gaulle et le RPF 1947-1955, Paris, Armand Colin, 1998.

Bernard Lachaise

Transcription

Charles de Gaulle
Je savais bien que l'Europe va de Gibraltar à l'Oural. Et c'est pourquoi, d'ailleurs, j'ai été à Moscou aussi bien qu'à Londres ou à Bruxelles. Et j'ai établi des relations avec Madrid aussi bien qu'avec Ankara. Ceci, naturellement, sans préjudice du jugement que je pouvais porter sur tel ou tel régime. Et quant aux institutions d'une telle organisation européenne, je croyais - je crois toujours - que les plus simples étaient les meilleures. Une réunion, un conseil organique, périodique des chefs de gouvernement doté d'instruments communs pour élaborer leurs décisions au point de vue politique, économique, culturel, militaire. Une assemblée délibérative et un référendum organisé dans tous les pays pour mettre les peuples dans cette affaire et pour donner à la construction européenne la base élémentaire d'un assentiment d'une masse immense d'européens. Cependant, le communisme mondial tressait son impérialisme. C'était, d'ailleurs, presque inévitable étant donné notre inconsistance. Car celle-ci ne peut qu'encourager l'impérialisme dont je parle tout de même que naguère, les ambitions d'Hitler se nourrissaient de notre faiblesse. Et dès lors que ce communisme entrait en ligne et se dressait comme une menace, la perspective changeait, tout au moins en ce qui concerne les Etats-Unis d'Amérique. Ceux-ci, reconnaissant, alors, leurs fautes, leurs erreurs, de Téhéran, de Yalta, de Postdam, sont venus proposer leur alliance économique et militaire sous les vocables du plan Marshall et du pacte de l'Atlantique nord. Cette alliance, il était bon de l'accepter, de la faire puisque nous étions menacés. Mais il fallait qu'elle fut une alliance. L'inconsistance de notre régime a fait en sorte qu'elle soit une espèce de protectorat. Car quel autre nom peut-on donner, je vous le demande, à un système dans lequel la stratégie commune, y compris la défense de la France, est remise entièrement, en pratique, au commandant en chef américain ? On voit donc que, quelque retard que nos gouvernants aient mis à promouvoir une véritable organisation européenne, la question du réarmement allemand leur en offrait encore l'occasion. Mais c'était, là, la voie claire et droite. Ils ont, malheureusement, tâché de trouver la solution dans l'astuce. L'astuce, d'ailleurs, était prête. Et l'inspirateur était prêt, lui aussi, avec sa panacée qu'on appelle la fusion.