Discours à l'Amérique latine

15 août 1940
-
Réf. 00413

Notice

Résumé :

Dans cette allocution, le général de Gaulle s'adresse à coeur ouvert aux peuples d'Amérique latine. Il revient sur les causes de la défaite française face à un ennemi bien préparé ; sur le gouvernement asservi de Bordeaux et celui de la France Libre à Londres, enfin il évoque l'espoir de la victoire que gardent les Français en des heures difficiles.

Type de média :
Date de diffusion :
15 août 1940
Type de parole :

Éclairage

Bientôt disponible.

Transcription

Charles de Gaulle
En Amérique latine, tant de gens entendent la langue française, tant de gens sentent ce qui se passe dans l'âme française, tant de gens comprennent l'importance mondiale du destin de la France, qu'il est vraiment facile, pour le soldat que je suis, de leur parler à coeur ouvert. Il se trouve que ce soldat a pu suivre personnellement de près le lamentable effondrement qui a mené à la capitulation. Cet effondrement eut des causes militaires. Malgré les avertissements adressés aux gouvernants et au commandement responsable, l'Armée Française n'était pas préparée à la guerre moderne. L'Armée Française n'était ni organisée, ni armée, ni commandée en vue de la guerre de surprise, de vitesse, de manoeuvre qui répond aux engins mécaniques modernes. L'ennemi, lui, s'était méthodiquement préparé en vue de cette guerre-là. Le résultat fut que l'Armée Française se trouva littéralement foudroyée. Devant cette situation, il y avait deux décisions possibles. La première consistait à capituler, à déposer ses armes, à se livrer à la discrétion de l'ennemi. A la faveur de la panique et de l'illusion, un gouvernement se forma à Bordeaux pour faire cela, comme il fallait un paravent à cette opération vraiment peu honorable. Ceux qui, depuis longtemps, la préparaient dans l'ombre, poussèrent au premier plan le très vieux Maréchal Pétain. L'autre décision consistait à poursuivre la guerre aux côtés des Alliés. Cette décision répondait à l'honneur, puisque la France s'est engagée à ne pas cesser le combat tant que nos Alliés continueront de combattre. Cette décision répondait aussi à l'intérêt suprême de la patrie, car il est bien évident que la France ne redeviendra jamais la France si l'ennemi n'est pas vaincu. J'ai voulu suivre cette voie-là. Pour la suivre avec moi, des milliers de jeunes Français sont venus de France et de tous les points du monde et je sais, par d'innombrables témoignages, que des centaines de mille autres brûlent de me rejoindre et le feront dès qu'ils le pourront. Il ne semble pas possible qu'on puisse encore aujourd'hui se demander quelle est de ces deux voies la bonne voie, la voie française. Les armistices ont placé la France et son Empire dans une situation matérielle et morale terrible. Matériellement la France, aux deux tiers occupée et son Empire désarmé, se trouve sous la dépendance des Allemands et des Italiens. On peut dire qu'il n'y a plus de souveraineté française réelle. D'autre part, l'ennemi est en train de piller tout ce qui a quelque valeur en territoire occupé. Dans la partie qu'il n'occupe pas et qui est de beaucoup la moins riche, les difficultés de travail, d'alimentation, de ravitaillement sont telles que la ruine et la famine ne pourront y être évitées. Moralement, le peuple français est soumis aux pires épreuves, la soi-disant restauration dont se targuent les gouvernants de Vichy n'est qu'une triste et vaine apparence. Privé de toute possibilité de penser librement, soumis à l'abominable propagande de l'ennemi et de ses complices, le peuple français se replie sur lui-même, chacun dans son foyer, ferme les yeux et les oreilles, chacun en silence attend la libération. La libération viendra. Le parti de la liberté a pu perdre en France la bataille d'avant-garde, mais le parti de la liberté gagnera la guerre. Il y a de par le monde libre, des forces immenses qui, un jour, écraseront le diabolique complot des tyrans. Les nations de l'Amérique latine, si fortes de leur vieille tradition catholique ou libérale, si justement fières de leur ardente et moderne civilisation, ne peuvent hésiter dans leur jugement ni dans leur sympathie. Ceux qui, dans l'Amérique latine, aiment la France et croient que la France est nécessaire à l'ordre du monde, ne peuvent souhaiter pour la France autre chose que la victoire. Quant à moi et à mes compagnons, nous n'avons pas d'autre but que de combattre pour cette victoire. Et quand par cette victoire, nous aurons rendu à la patrie son indépendance, alors nous referons sa grandeur. Nous referons sa grandeur en conjuguant, comme le fait l'Amérique latine, la puissance des traditions et la force des ardeurs jeunes.