Allocution depuis l'Hôtel Matignon

01 août 1958
08m 32s
Réf. 00018

Notice

Éclairage

Ramené au pouvoir par l'impuissance de la IV° République à résoudre la crise algérienne et par le risque de guerre civile résultant de l'émeute d'Alger du 13 mai 1958, le général de Gaulle, investi par l'Assemblée nationale comme président du Conseil le 1° juin 1958, a reçu les pleins pouvoirs pour six mois en même temps qu'une loi constitutionnelle confie au gouvernement le soin de rédiger un nouveau projet de constitution.

Le gouvernement ayant été constitué, de Gaulle s'attaque à l'ensemble des problèmes que connaît le pays et, spécifiquement aux problèmes économiques et financiers, la guerre d'Algérie ayant mis à mal les finances publiques en créant un important déficit budgétaire, relancé l'inflation, provoqué un considérable déséquilibre de la balance des paiements au point que la France fin 1957 ne dispose plus de réserves de devises, ce qui fera dire au général : " J'ai trouvé les caisses vides ". Convaincu que l'Etat ne peut retrouver des moyens d'action que s'il rétablit l'équilibre financier du pays, le général de Gaulle, conseillé par l'économiste Jacques Rueff, entend faire mettre en œuvre par son ministre des Finances Antoine Pinay, une politique de redressement qui rétablirait la stabilité du budget, en dépit des crédits supplémentaires qu'il entend ouvrir pour l'Algérie. En attendant des mesures plus fondamentales qui sont à l'étude et verront le jour en janvier 1959, des décisions d'urgence sont prises le 31 juillet 1958 : une ordonnance crée de nouvelles ressources fiscales grâce à une taxe sur les carburants, à l'augmentation de l'impôt sur les sociétés, à une taxe civique, cependant qu'est décidé un gel sur les traitements et salaires et une limitation des prix agricoles. Ce sont ces sacrifices demandés à toutes les catégories de la population que de Gaulle justifie le lendemain dans son allocution, promettant en retour aux Français une place de choix dans la "course à la prospérité".

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Un pays, grand pays de valeurs humaines et matérielles. Un pays, qui se découvre des ressources en pétrole, en gaz, en énergie atomique, capable de renouveler son économie toute entière et qui sent monter en lui une jeunesse ardente et nombreuse. Un pays que ses épreuves ont pu affaiblir, diviser, humilier, mais qui a trouvé moyen de rester vivant et libre. Ce pays-là, c'est la France. Mais la France, c'est aussi un pays que la négligence et le laisser-aller ont failli jeter dans l'abîme, et dont tout l'avenir allait être compromis en une époque dure et dangereuse. Eh bien, nous avons décidé de rompre avec ses faiblesses : qu'il s'agisse des institutions, des rapports avec l'étranger ou de ce qui se passe chez nous. Je vous exposerai bientôt ce qu'est la constitution nouvelle qui sera proposée au peuple. Je vous parlerai prochainement de l'action extérieure menée par cette France qui se relève. Ce soir, je veux vous préciser ce qui est fait pour remettre en ordre nos affaires à l'intérieur. Ce qui est fait, c'est tout bonnement stabiliser notre situation financière, monétaire, économique, arrêter la descente vers les gouffres de l'inflation, nous procurer la base sur laquelle nous pourrons construire notre aisance et notre puissance. En dépit des charges supplémentaires que nous venons d'assumer pour la pacification et la mise en valeur de l'Algérie, pour le développement de l'énergie atomique, pour la construction immédiate de nombreux logements nouveaux, nous entendons maintenir le rapport entre les recettes et les dépenses publiques exactement au chiffre prévu. Nous voulons arriver à équilibrer nos échanges, tout en important ce qu'il faut en fait de matières premières pour que notre industrie puisse poursuivre son expansion. Nous voulons empêcher les prix de monter afin que le niveau de vie ne subisse aucune diminution. Toutes les mesures prises par le gouvernement tendent à ce but qui est la stabilisation. L'emprunt nous a mis à même d'éviter de recourir aux avances de la Banque de France et il a fait descendre dans les caves de celle-ci assez d'or pour assurer le paiement de nos importations au cours des prochains mois. Mais, il nous faut faire davantage. Il n'y a pas de miracle, à moins qu'il ne soit mérité. C'est pourquoi j'ai demandé et je demande à toutes les catégories françaises de prendre part aux sacrifices qui nous ouvriront les portes de l'espérance. C'est ainsi que les agriculteurs voient fixer le prix du quintal de blé à 113 francs au-dessous de ce qu'ils étaient d'abord en droit d'attendre. C'est ainsi qu'actuellement rien ne peut être ajouté à la rémunération du personnel des services publics, des fonctionnaires, des militaires, malgré les quasi promesses qui, naguère, leur avaient été faites. C'est ainsi que maints producteurs et maints commerçants ont à consentir ou à subir des baisses sur le niveau de leur prix. C'est ainsi que 50 milliards d'impôts supplémentaires viennent d'être mis à la charge des possédants. C'est ainsi que le litre d'essence coûte à peu près 3 francs de plus qu'hier. Il y a là un ensemble de renoncements méritoires que les Français offrent à la France de bon coeur, d'autant plus que ce n'est pas en vain car notre effort porte déjà ses fruits : la stabilisation est en train de s'établir. Le gouvernement garantit que le budget de 1958 sera bouclé sans inflation. Le 31 mai dernier, la balance de nos paiements extérieurs était en déficit de 75 milliards de francs. Aujourd'hui, nous sommes en avance de plus de 25 milliards. La moyenne des prix tend à se fixer. La valeur du franc sur les marchés du monde n'a pas cessé de s'améliorer. Il est vrai qu'à l'extérieur se dessine la possibilité d'une difficulté nouvelle : divers pays ont quelque temps vu se ralentir leur activité économique. Il pourrait se faire qu'il y eut chez nous aussi un début de récession à laquelle le gouvernement aurait le devoir de parer. Mais en outre, le cas échéant, nous saurions faire jouer la solidarité économique et nationale. Dès à présent, je fais appel aux organisations patronales et ouvrières : je les invite à prendre contact afin de créer en commun un fonds de salaire garanti. Ce fonds aurait à procurer aux travailleurs la sécurité d'une rémunération de base et des facilités pour leur reclassement professionnel. Je sais à qui je m'adresse et je suis sûr d'être entendu. La France a pris le départ dans la course vers la prospérité, pourvu qu'elle tienne la ligne. En ordre et résolument, je réponds d'une belle arrivée.