Allocution du 4 octobre 1962 (élection du président de la République au suffrage universel)

04 octobre 1962
11m 38s
Réf. 00081

Notice

Résumé :

A la suite de l'allocution du 20 septembre proposant l'élection du Président de la République au Suffrage universel, une motion de censure a été déposée à l'Assemblée Nationale contre le gouvernement. Avant l'ouverture des débats à l'Assemblée, le général de Gaulle s'adresse aux Français. Après avoir dressé un bilan comparatif entre l'ancien et le nouveau régime, il en vient aux raisons "pressantes" qui le déterminent à proposer l'élection du président au suffrage universel. Il appelle les Français à voter "oui" lors du référendum, le 28 octobre.

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Date de diffusion :
04 octobre 1962
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Éclairage

Depuis la conclusion en mars 1962 de la paix en Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance le 3 juillet, une page de l'histoire de la Vème République est tournée. De Gaulle n'ignore pas que, la guerre d'Algérie terminée, les forces politiques sont décidées à le chasser du pouvoir pour restaurer la toute-puissance du Parlement. Au cours des mois de juin et juillet, l'alliance de fait entre une gauche hostile au régime de la Vème République et une droite au sein de laquelle les nostalgiques de l'Algérie française ont un poids considérable prive virtuellement de majorité le gouvernement formé au printemps par Georges Pompidou. C'est d'extrême justesse qu'une motion de censure a été évitée en juillet.

Aussi de Gaulle est-il résolu à reprendre l'initiative. Il y est poussé par un attentat de l'OAS dirigé contre lui le 22 août 1962 au Petit-Clamart, au cours duquel il échappe de justesse à la mort. Après le Conseil des ministres du 29 août, le Général annonce son intention de proposer une révision constitutionnelle pour assurer la continuité de l'Etat et on apprend le 12 septembre qu'il s'agit de proposer un référendum disposant que le Chef de l'Etat sera désormais élu au suffrage universel, ce qui provoque un tollé de toutes les formations politiques à l'exception des mouvements gaullistes. A la rentrée parlementaire, le 2 octobre 1962, une motion de censure a été déposée contre le gouvernement Pompidou, constitutionnellement responsable de la décision de soumettre la révision à référendum, par les Indépendants, le MRP, les socialistes et les radicaux, motion qui doit être discutée le 5 octobre et qui semble devoir recueillir une majorité. Aussi le 4 octobre, de Gaulle en s'adressant aux Français (et indirectement aux députés) vise-t-il à exercer une pression pour dissuader l'Assemblée de voter la censure.

Son allocution rappelle aux Français leur vote de 1958 en faveur d'un régime dans lequel le président joue un rôle central et déterminant, régime qui a permis le redressement du pays dans tous les domaines, qu'il détaille à loisir ; il fixe ensuite clairement les enjeux du débat : faut-il ou non maintenir cette prééminence présidentielle grâce à laquelle ont été obtenus les résultats positifs qu'il a décrits ? La réponse ne pouvant être que positive, le Général explique les raisons qui justifient la révision, au premier chef le risque qu'en cas de disparition du président lors d'un attentat comme celui qui vient de se produire, le régime lui-même ne soit menacé et que ne soient remis en cause les progrès accomplis depuis 1958, dangers que pourrait conjurer l'élection d'un président au suffrage universel. Enfin concernant la procédure choisie, il insiste sur le fait que rien n'est plus conforme au principe républicain et à la démocratie que la désignation du Chef de l'Etat par le peuple souverain, moyen d'opérer une pression sur les députés tentés par le vote de la censure en les accusant implicitement de refuser au peuple l'exercice d'un droit qui lui appartient. Et, comme toujours, il rappelle qu'une réponse positive au référendum constituera pour lui un renouvellement de sa légitimité.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Voici quatre ans, le peuple français s'est donné à lui-même une Constitution. Il l'a fait au lendemain d'une crise si grave qu'elle faillit jeter la France au gouffre et emporter la République. Cette Constitution rejette la confusion et l'impuissance du régime d'en temps, c'est-à-dire du régime exclusif des partis. Et elle s'inspire des conditions que la vie rude et rapide de l'époque moderne impose à un grand Etat. Elle règle en conséquence les rôles respectifs et les rapports réciproques du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif et elle institue un président qui doit être le garant de ce qu'il y a de vital et de permanent [INAUDIBLE]. Qui doit assurer la continuité de l'Etat républicain et qui doit répondre de la France en cas de péril public. Comme à l'appel général du pays, j'ai assumé cette fonction, le mode d'élection du Président était d'abord secondaire puisque le rôle était rempli. Mais la question se pose aujourd'hui : où le monde peut constater quel résultat éclatant a atteint le peuple français sous ses institutions nouvelles ? Notre vie publique qui erre auprès des spectacles et des jeux, des combinaisons, des crises, que l'on sait, porte aujourd'hui. La marque de la consistance et de l'efficacité, au lieu d'une monnaie malade, des finances en déficit, une économie menacée, nous soient, comme la guerre, des sujets constants d'angoisse et d'humiliation. Nous sommes à présent en plein essor de prospérité, en plein progrès social, sur la base d'un franc solide, d'échanges extérieurs positifs et de budget équilibré. Alors que nous étions en train de déchirer notre unité nationale et de gaspiller les éléments de notre puissance militaire ; Faute d'accomplir la décolonisation, de mettre un terme au conflit algérien et de briser la subversion qui s'apprêtait au coup d'Etat, voici que la coopération s'est établie entre la France et ses anciennes colonies. Que l'Algérie y accède à son tour et que les grands complots qui menaçaient la République n'ont plus à présent comme honteuse carrière que le vol, le chantage et l'assassinat. Au surplus, nous pouvons entreprendre de moderniser notre armée. Enfin, si récemment encore, notre pays était considéré comme l'homme malade de l'Europe. Aujourd'hui son poids et son rayonnement sont reconnus partout dans l'univers. Etant donné ce qu'en quatre ans, nous, Français, avons réalisé en pratiquant notre Constitution, le bon sens le plus élémentaire, nous commande de la maintenir. Or, l'un de ces éléments essentiels, que bien sûr voudraient m'y ôter les partisans du régime condamné et sans lequel en effet elle tomberait dans ce qui était hier ; C'est qu'elle fait réellement du Président de la République le chef de l'Etat et le guide de la France. Mais pour elle, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres, en mesure de remplir une pareille mission, le Président a besoin de la confiance directe de la nation, au lieu de l'avoir implicitement. Comme c'était mon propre cas en 1958, pour une raison historique et exceptionnelle qui pouvait justifier au départ l'élection au collège restreint. Collège restreint dont je n'ai certes pas renié le vote. Il s'agit que dorénavant le Président de la République soit élu au suffrage universel. Dès le régime, je savais que je devrai, avant la fin de mon septennat, proposer au pays de décider qu'il en soit ainsi. Mais des raisons pressantes me déterminent à prendre dès maintenant cette initiative, comme j'en ai le droit et le devoir. Tout d'abord les attentats perpétrés ou préparés contre ma vie me font une obligation d'assurer après moi, pour autant que je puisse, une République solide. Ce qui implique qu'elle le soit au sommet. En outre, devant l'inquiétude générale suscitée par ces tentatives de meurtre, quant aux risques de confusion que la France pourrait courir. Soudain, je crois nécessaire qu'un vote massif de la nation atteste en ce moment même qu'elle a des institutions, qu'elle entend les maintenir et qu'elle ne veut pas après de Gaulle revoir l'Etat livré aux pratiques politiques qui l'amèneraient à une odieuse catastrophe. Et cette fois-là, sans aucun recours. Enfin, ce que nous sommes en train d'accomplir, développement de notre pays, transformation de la condition humaine dans toutes les branches de l'activité ; Association progressive de nos catégories économiques et sociales aux responsabilités nationales ; Rénovation de notre défense, union de l'Europe pour le progrès et pour la paix, aide apportée aux pays qui s'ouvrent à la civilisation. Un jour peut-être, contribution éminente de la France à la détente puis à l'entente entre les peuples de l'ouest et de l'est. Toute cette immense entreprise exige qu'au nom de la vie, la France ait le moyen de choisir elle-même ceux qui devront, tour à tour à sa tête, représenter son unité et répondre de son destin. Françaises, Français, le projet que je vous soumets propose que le Président de la République, votre Président, soit élu dorénavant par vous-mêmes. Rien n'est plus républicain, rien n'est plus démocratique. J'ajoute que rien n'est plus français, tant cela est clair, simple et droit. Une fois de plus, le peuple français va donc faire [INAUDIBLE] du référendum. Ce droit souverain qui, en mon initiative, lui fut reconnu en 1945, qu'il a de même [INAUDIBLE] en 1958 et qui depuis lors a permis à la République de donner des institutions valables et de trancher au fond le problème algérien qui était très grave, vous le savez. Une fois de plus, le résultat sera la décision de la nation sur un sujet essentiel. Quant à moi, chaque « oui » de chacune de celles, de chacun de ceux qui me l'aura donné, me sera la preuve directe de sa confiance et de son encouragement. Or, croyez-moi, j'en ai besoin pour ce que je puis faire encore. Comme hier j'en avais besoin pour ce que j'ai déjà fait. Ce sont donc vos réponses qui me diront le 28 Octobre si je peux et si je dois poursuivre ma part au service.