Allocution du 18 octobre 1962 (élection du président de la République au suffrage universel)

18 octobre 1962
07m 32s
Réf. 00082

Notice

Résumé :

Le 5 octobre 1962, l'Assemblée Nationale a adopté la motion de censure déposée par l'opposition. Le Premier ministre Georges Pompidou a en conséquence présenté la démission de son gouvernement, conformément à la Constitution. Le Général en a pris acte et a prononcé, le 10 octobre, la dissolution de l'Assemblée. De nouvelles élections législatives sont donc fixées au 18 et 25 novembre, après le Référendum sur l'élection du président au Suffrage universel. Dès l'annonce de la dissolution de l'Assemblée, les principaux partis d'opposition forment le "Cartel des Non", marquant ainsi leur volonté de s'opposer à la politique gaullienne lors des élections législatives. C'est dans ce contexte que le général de Gaulle s'adresse aux Français. Comme il l'avait fait le 20 septembre et le 4 octobre, le Général énonce les mérites de la Constitution de 1958 et souligne les faiblesses passées de la IVème République. Reparlant des tentatives d'attentats dirigés contre lui, il pense que c'est le moment de donner à la Nation "le moyen de choisir elle-même son Président". C'est pourquoi, s'appuyant sur la Constitution, il soumet le projet de loi par voie de référendum. Il conclut son discours en laissant placer la menace d'une démission, si le "non" l'emporte, ou si la majorité des "oui" est "faible, médiocre, aléatoire".

Type de média :
Date de diffusion :
18 octobre 1962
Type de parole :

Éclairage

Depuis la conclusion en mars 1962 de la paix en Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance le 3 juillet, une page de l'histoire de la Vème République est tournée. De Gaulle n'ignore pas que, la guerre d'Algérie terminée, les forces politiques sont décidées à le chasser du pouvoir pour restaurer la toute-puissance du Parlement. Au cours des mois de juin et juillet, l'alliance de fait entre une gauche hostile au régime de la Vème République et une droite au sein de laquelle les nostalgiques de l'Algérie française ont un poids considérable prive virtuellement de majorité le gouvernement formé au printemps par Georges Pompidou. C'est d'extrême justesse qu'une motion de censure a été évitée en juillet.

Aussi de Gaulle est-il résolu à reprendre l'initiative. Il y est poussé par un attentat de l'OAS dirigé contre lui le 22 août 1962 au Petit-Clamart, au cours duquel il échappe de justesse à la mort. Après le Conseil des ministres du 29 août, le Général annonce son intention de proposer une révision constitutionnelle pour assurer la continuité de l'Etat et on apprend le 12 septembre qu'il s'agit de proposer un référendum disposant que le Chef de l'Etat sera désormais élu au suffrage universel, ce qui provoque un tollé de toutes les formations politiques à l'exception des mouvements gaullistes. A la rentrée parlementaire, le 2 octobre 1962, une motion de censure a été déposée à l'Assemblée nationale contre le gouvernement Pompidou, constitutionnellement responsable de la décision de soumettre la révision à référendum, par les Indépendants, le MRP, les socialistes et les radicaux. Le 5 octobre, par 280 suffrages, cette motion de censure est adoptée et Georges Pompidou, comme la constitution lui en fait obligation, présente au président de Gaulle la démission de son gouvernement le 6 octobre. Après en avoir pris acte, le Général annonce son intention de dissoudre l'Assemblée nationale (un décret du 10 octobre prononcera cette dissolution) et décide de maintenir en fonctions le gouvernement jusqu'à la réunion d'une nouvelle Assemblée nationale qui sera élue les 18 et 25 novembre. Aussitôt, les partis qui ont déposé la motion de censure constituent un " Cartel des non " manifestant ainsi leur intention de gouverner ensemble si le référendum était négatif.

Dix jours avant le référendum du 28 octobre et alors que se précisent les frontières des camps qui vont s'y affronter, le Général s'adresse une nouvelle fois aux Français pour marteler et dramatiser l'enjeu de cette consultation. Il y rappelle que la constitution de 1958 en instituant la prépondérance du Chef de l'Etat dans les institutions lui a permis de régler les lourds problèmes que ne parvenait par à résoudre la IVème République " le régime désastreux qui livrait la République à la discrétion des partis " et avait conduit " la France au gouffre ". Il demande donc aux Français de le confirmer dans le pouvoir qu'il exerce et d'admettre que cette confirmation vaudra pour ses successeurs, faisant redouter que si le " non " l'emportait ou si le " oui " était " faible, médiocre, aléatoire ", la France retournerait à la confusion et à la catastrophe. Alternative que l'opposition résumera par la formule frappante : " Moi ou le chaos ".

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Françaises, Français, le 28 Octobre, ce que vous allez répondre à ce que je vous demande engagera le destin de la France. J'ai le devoir de vous dire pourquoi. Tout le monde sait qu'en adoptant sur ma proposition la Constitution de 1958, notre peuple a condamné à une majorité immense le régime désastreux qui livrait la République à la discrétion des partis et qui, une fois de plus, avait failli jeter la France au gouffre. Tout le monde sait que par le même vote, notre peuple a institué un président, chef de l'Etat, guide de la France, clé de voûte des institutions ; Et a confirmé le référendum qui permet au Président de soumettre directement au pays ce qui peut être essentiel. Tout le monde sait qu'en même temps, notre peuple m'a fait confiance pour régler avec mon gouvernement les lourds problèmes devant lesquels venaient de s'effondrer le régime de la décadence. Ces problèmes c'était la menace immédiate de faillite, c'était l'absurde conflit algérien, c'était le grave danger d'opposition entre la nation et son armée ; C'était l'abaissement de la France, au milieu d'un monde qui lui était alors malveillant ou méprisant. Cette fonction, si j'ai pu jusqu'à présent la remplir, c'est tout d'abord parce que j'étais sûr que vous m'en approuviez. Mais c'était aussi parce que nos institutions nouvelles me donnaient les moyens de faire ce qu'il fallait. Ainsi ai-je pu pendant quatre années, sans altérer les droits des citoyens, ni la liberté publique, assurer la conduite du pays vers le progrès, la prospérité, la grandeur ; Et tout faire à mesure, les menaces criminelles qui se dressaient contre l'Etat et empêchaient le retour au vice du régime condamné. Comme la preuve est ainsi faite de la valeur d'une Constitution qui veut que l'Etat ait une tête, comme depuis que je joue ce rôle, personne n'a jamais pensé que le Président de la République était là pour autre chose. Je crois en toute conscience que le peuple doit maintenant, par un vote solennel, marquer qu'il veut qu'il en soit ainsi aujourd'hui, demain et plus tard. Je crois que pour lui c'est le moment d'en décider, car autrement les attentats qui ont été perpétrés et ceux qui sont préparés font voir que ma disparition risquerait de replonger la France dans la confusion de la guerre et bientôt dans la catastrophe. Je crois que quoiqu'il arrive, la nation doit avoir le moyen de choisir elle-même son président afin que cette investiture directe puisse lui donner la force et l'obligation d'être le guide de la France et le garant de l'Etat. C'est pourquoi, Françaises, Français, m'appuyant sur notre Constitution, usant du droit qu'elle me donne formellement de proposer aux peuples souverains par voie de référendum tout projet de loi qui porte sur l'organisation des pouvoirs publics ; Mesurant mieux que jamais la responsabilité historique qui m?incombe à l'égard de la patrie. Je vous demande, tout simplement, de décider que dorénavant vous élirez votre président au suffrage universel. Si votre réponse est « non », comme le voudrait tous les anciens partis afin de rétablir leur régime de malheurs, ainsi que tous les factieux pour se lancer dans la subversion. Ou même si la majorité des «oui » est faible, médiocre, aléatoire, il est bien évident que ma tâche sera terminée aussitôt et sans retour. Car que pourrai-je faire ensuite sans la confiance chaleureuse de la nation ? Mais si, comme je l'espère, comme je le crois, comme j'en suis sûr, vous me répondez « oui » une fois de plus et en masse, alors me voilà par vous toutes et par vous tous confirmé dans la charge que je porte. Voilà le pays fixé, la République assurée et l'horizon dégagé. Voilà le monde décidément certain du grand avenir de la France. Vive la République ! Vive la France !