Allocution du 12 juillet 1961

12 juillet 1961
06m 45s
Réf. 00219

Notice

Résumé :

La conférence d'Evian, qui s'est ouverte le 20 mai entre la France et le GPRA, a été interrompus le 13 juin faute de terrain d'entente sur la question du Sahara. Pendant ce temps, les attentats de l'OAS se multiplient, aussi bien en France qu'en Algérie. C'est dans ce contexte que le Général s'adresse une nouvelle fois aux Français.

Type de média :
Date de diffusion :
13 juillet 1961
Date d'événement :
12 juillet 1961
Type de parole :

Éclairage

Ramené au pouvoir en juin 1958 par l'impuissance de la IVème République à résoudre la guerre d'Algérie, le général de Gaulle sait que la solution du conflit constitue une attente prioritaire pour les Français. Après avoir en vain proposé aux combattants du FLN de déposer les armes, il prend conscience que la paix en Algérie ne saurait résulter de la seule action militaire, même assortie d'un développement économique proposé par le " Plan de Constantine ". Aussi a-t-il dans son discours du 16 septembre 1959 proposé aux Algériens l'autodétermination, c'est-à-dire le droit de choisir leur destin, leur offrant trois options, la sécession, la francisation ou l'association.

Plus d'un an après le discours de septembre 1959 sur l'autodétermination, la solution de la question algérienne paraît toujours aussi lointaine. Aussi dans son allocution du 4 novembre 1960 de Gaulle a-t-il franchi une étape supplémentaire, en évoquant, au grand dam des partisans de l'Algérie française une " République algérienne ", laissant entendre qu'il est prêt à surmonter de possibles oppositions par le recours au référendum. De fait, consultés par référendum le 8 janvier 1961 les Français ont approuvé à 75% la politique d'autodétermination en Algérie. Pour les partisans de l'Algérie française, le spectre de l'indépendance algérienne se précise dangereusement et ils jugent urgent de passer à l'action. De fait, le 22 avril 1961, l'Algérie est le théâtre d'un putsch militaire que la fermeté du Général et le refus des soldats du contingent de suivre les putschistes permettent de réduire en quelques jours. Mais au début de l'été 1961, la situation devient extrêmement difficile. Les négociations avec le FLN se sont ouvertes le 20 mai à Evian, après bien des atermoiements.

Mais elles ont été interrompues le 13 juin en raison du refus du FLN d'accepter la proposition française qui vise à faire du Sahara une entité indépendante de l'Algérie. Dans ce contexte où toutes les issues sont encore possibles, les partisans de l'Algérie française multiplient les efforts our faire échouer les négociations, l'OAS multipliant les attentats en métropole et en Algérie et une partie des parlementaires de droite menant une sourde opposition.

C'est dans ce contexte qu'intervient l'allocution du 12 juillet 1961. Dans l'extrait retenu, le Général rappelle sa politique algérienne. Considérant que l'armée française l'a emporté sur le terrain, il réaffirme que la France est prête à donner l'indépendance à l'Algérie et à organiser l'autodétermination avec tous les Algériens, y compris les combattants du FLN. Elle promet son aide à l'Algérie si les diverses communautés peuvent y cohabiter et si les intérêts français sont préservés, mais au cas où l'Algérie se refuserait à cette perspective, de Gaulle agite la menace du regroupement ou du rapatriement des populations qui le souhaiteraient et de l'abandon des autres à leur sort.

Enfin l'extrait évoque brièvement les problèmes internationaux, de Gaulle se déclarant prêt à la coexistence pacifique évoquée par Khrouchtchev, mais dénonçant en même temps les menaces soviétiques en Allemagne et spécifiquement à Berlin.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Cet immense effort intérieur pour la puissance et la prospérité nous détermine à employer nos propres moyens chez nous. C'est dire que l'entreprise qui consistait naguère à assumer le gouvernement, l'administration, l'existence, de peuples colonisés, est désormais périmée. Comme tout se tient, elle l'est aussi en raison du bouleversement universel provoqué par les deux guerres mondiales, par la conscience prise maintenant par les peuples de ce qu'ils sont, et par leur élémentaire volonté d'indépendance, Pour de multiples raisons, notre intérêt national direct est de nous dégager de charges coûteuses et sans issue, et de laisser nos anciens sujets disposer entièrement d'eux-mêmes. Tant mieux si les rapports nouveaux s'établissent dans l'amitié, dans la coopération, comme c'est le cas pour douze Etats d'Afrique Noire et pour la République Malgache. Mais de toutes les manières, le bon sens, le but, le succès s'appellent : la décolonisation. Il s'agit qu'elle se fasse également en Algérie. L'opération y est particulièrement difficile, parce que de 1830 jusqu'en 1958, on n'avait rien fait pour ménager la solution. Parce que l'insurrection qui est déclenchée depuis tantôt sept ans a compliqué terriblement celle-ci, et parce qu'il se trouve en Algérie une population d'origine européenne de plus d'un million de personnes qui ne sauraient être livrées à la discrétion des autres. Mais puisque la rébellion a multiplié les combats, les attentats, et répandu la terreur, il a fallu que notre armée l'emportât sur le terrain, de telle sorte que la France gardât l'entière liberté de ses décisions et de ses actes. Ce résultat est atteint, de telle sorte que nous pouvons prendre sur place maintes mesures d'apaisement. Commencer à transférer dans la métropole d'importantes unités. Envisager de réduire de plusieurs semaines, à partir de septembre prochain, la durée du service militaire en virant sur l'armement moderne l'économie qui en résultera. Cela étant, la France accepte, sans aucune réserve, que les populations algériennes se constituent en un Etat entièrement indépendant. Elle est toute prête à organiser, avec les éléments politiques algériens, et notamment avec ceux de la rébellion, la libre autodétermination. Elle demeure disposée à maintenir son aide à l'Algérie, dès lors que serait assurée la coopération organique des communautés et que seraient garantis ses propres intérêts. Faute de cette association, il lui faudrait, en dernier ressort, regrouper pour les protéger, dans telle ou telle zone, ceux des habitants qui se refuseraient à faire partie d'un Etat voué au chaos, leur procurer les moyens de s'installer dans la métropole si tel était leur désir. Ne plus se mêler en rien du destin de tous les autres et leur fermer l'accès de son territoire. Après quoi elle verrait venir. En tout cas, elle est décidée à cesser d'engouffrer à fonds perdus, en Algérie non plus qu'ailleurs, ses efforts, ses hommes et son argent. Comme je l'ai dit en maintes occasions, et notamment, l'année dernière à Paris, à monsieur le Président Khrouchtchev, si les Soviets veulent comme ils le disent, la détente et la coexistence, qu'ils commencent par les rendre possible, en cessant de menacer. Dans une atmosphère mondiale, qui serait celle de la coopération des Etats et du rapprochement des peuples, alors, un problème comme celui de l'Allemagne perdrait de son acuité, et pourrait, à un moment donné, être considéré objectivement par les puissances intéressées. Mais, dès lors, qu'en remuant le tonnerre dans la coulisse, on manifeste l'intention de disposer de Berlin comme si trois grandes puissances n'y avaient pas les droits qui sont les leurs, et comme si les Berlinois ne devaient pas être maîtres d'eux-mêmes, on prend d'avance, à son compte la responsabilité des graves conséquences qui pourraient en résulter.