Discours prononcé à Strasbourg pour le vingtième anniversaire de la libération de la ville

22 novembre 1964
13m 17s
Réf. 00238

Éclairage

Le 22 novembre 1964, le général de Gaulle préside les cérémonies qui marquent le vingtième anniversaire de la libération de Strasbourg par les troupes du Général Leclerc. Le reportage débute sur l'arrivée du chef de l'État dans la capitale alsacienne ; il se rend ensuite à la cathédrale Notre-Dame où - comme il le fait tous les dimanches - il assiste à l'office. Au Monument aux Morts, il rend hommage aux hommes tombés pour la France et y dépose une gerbe en croix de Lorraine. Plus tard, il participe au défilé des troupes françaises, anglaises et américaines qui aidèrent à la libération de Strasbourg. Les ambassadeurs de Grande-Bretagne (Pierson Dixon) et des Etats-Unis (Charles E. Bohlen) ont été conviés à assister à la cérémonie, auxquels certains membres du gouvernement prennent part aussi (les ministres Roger Frey (Intérieur), Pierre Messmer (Armées) et Alain Peyrefitte (Information)). Enfin, place Kléber, d'une fenêtre de l'Aubette, il prend la parole pour s'adresser aux Strasbourgeois ; derrière lui, on reconnaît le maire Pierre Pflimlin, le Préfet de la région Alsace, Maurice Cuttoli, et Louis Joxe, ministre d'État chargé de la réforme administrative.

Le reportage - qui ne présente qu'un extrait du discours du général de Gaulle - se focalise sur la vision européenne du chef de l'État. Il évoque la raison qui l'a poussé à engager - dès son retour au pouvoir - la réconciliation franco-allemande, postulat nécessaire à la construction d'une Europe forte et en paix, capable de devenir un " troisième bloc " mondial, indépendant des soviétiques et des Nord-américains. Il rappelle les grandes réalisations, comme le Traité franco-allemand de l'Élysée, signé le 22 janvier 1963, basé sur la réalisation de projets communs dans les domaines de l'armement, de la culture et des relations diplomatiques et sur une concertation systématique dans les sphères des affaires étrangères, de la défense et des questions culturelles. Il souligne également les grandes étapes de la construction européenne, et achève son discours en évoquant l'avenir d'une Europe " de l'Atlantique à l'Oural ", c'est-à-dire dont les satellites soviétiques seraient libérés du joug communiste.

Aude Vassallo

Transcription

(Silence)
Journaliste
Le général De Gaulle a présidé, aujourd'hui, dans la capitale de l'Alsace, le vingtième anniversaire de la libération de Strasbourg. Accueilli dès ce matin à son arrivée par de nombreuses ovations, le Président de la République va se rendre tout d'abord à la cathédrale. Le chef de l'Etat est accueilli par monseigneur Weber, évêque de Strasbourg. Après avoir assisté à l'office, il devait ensuite se rendre au temple protestant puis à la synagogue. Puis, c'est de nouveau le contact avec la foule nombreuse, enthousiaste. Vient ensuite l'émouvante cérémonie aux morts entourée d'une triple haie d'anciens combattants.
(Musique)
Journaliste
Puis, c'est la revue des troupes et le défilé devant la tribune où le Président est entouré de plusieurs de ses ministres et des personnalités alsaciennes, les ambassadeurs de Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Après les troupes américaines viennent un détachement des élèves officiers des troupes de Strasbourg puis le 153ème régiment d'infanterie que les anciens de la division Leclerc ont baptisé le Régiment de Fer.
Foule
Bravos
Journaliste
Peu après midi, sur la place de [inaudible] noire de monde, le général De Gaulle va prononcer un très important discours.
(Applaudissements)
Journaliste
Il va évoquer, d'abord, les circonstances de la libération de Strasbourg par les troupes du général Leclerc.
Charles de Gaulle
Les motifs de fierté nationale que nous laissent ces actions d'éclat entreprises et accomplies à partir du fond de l'abîme, nous entendons les cultiver. A preuve, la cérémonie d'aujourd'hui. Certes, la Libération de la France et puis sa participation à la victoire inter-alliée ont estompé, dans nos âmes, la fureur des épreuves d'antan. Certes, le fait que nos amis de l'autre côté de l'Atlantique aient été finalement engagés dans le conflit où nous-mêmes avions été tout d'abord submergés, nous apportaient-ils, sur le moment, la perspective d'une sécurité accrue. Certes, d'autres menaces apparues à l'horizon nous déterminaient, moyennant un immense effort moral accompli sur lui-même par notre peuple, à passer outre à ce qui avait été le fait dominant du passé, je veux dire la méfiance hostile à l'égard du voisin germanique. Mais cette orientation nouvelle ne saurait nous faire oublier ni les erreurs et les abandons où nous faillîmes être anéantis, ni l'étonnant redressement qui assura notre salut. Inversement, la fidélité avec laquelle nous gardons vivant le capital moral de la France n'a rien qui contredise la vaste tentative politique que nous avons entreprise. Qui ne sait que celle-ci vise, au point de vue des sentiments que nous portons à l'Allemagne, à changer l'aversion en compréhension et l'esprit de vengeance en amitié ? Qui, d'ailleurs, pourrait méconnaître qu'à propos de l'instauration de la république fédérale, de la levée des hypothèques sur son charbon et sur son acier, de son admission dans l'organisation de l'alliance atlantique, de la destination de la Sarre, de la création et du développement de la Bundeswehr, nous avons, par des faits essentiels, marqué ce que sont nos intentions ? A qui serait-il permis d'oublier la signification que nous attachons au traité d'actions communes qui fut signé l'an dernier sans restriction ni préambule par les gouvernements de Bonn et de Paris ? Mais à une transformation aussi complète et aussi méritoire de l'état d'âme, de l'attitude, de l'action qui furent nécessairement les nôtres pendant trois siècles, il faut une justification qui lui soit proportionnée. Laquelle ? Simplement l'accomplissement en commun avec l'Allemagne d'une grande ambition à la foi très ancienne et très moderne, la construction d'une Europe européenne, c'est-à-dire indépendante...
Foule
Bravos !
Charles de Gaulle
C'est-à-dire indépendante, puissante et influente au sein du monde de la liberté. Oui.
Foule
Bravos !
Charles de Gaulle
Oui, la coopération des deux grands peuples réconciliés, notre pays la désire parce que c'est la seule base sur laquelle puisse être établie l'unité de l'Europe occidentale. Et c'est pourquoi la France attache une importance capitale aux échéances imminentes qui vont montrer s'il est possible ou non aux Etats signataires du Traité de Rome de créer, entre eux, pour commencer, une réelle communauté économique en y faisant entrer l'agriculture, c'est-à-dire en en fixant, au même titre pour tous les Six, les règlements et les prix. Et c'est aussi pourquoi, nous, Français, tenons pour indispensable qu'au plus tôt les participants réalisent et pratiquent entre eux une organisation alliée, certes, au Nouveau Monde mais qui soit proprement la leur, avec ses objectifs, ses moyens et ses obligations.
(Applaudissements)
Journaliste
Pour l'un ou pour l'autre, renoncer en fait à cette union et moyennant un rôle d'auxiliaire, s'en remettre décidément de sa vie à une puissance, amicale assurément, mais située dans un monde différent et dont le destin de par la nature et de par l'histoire ne peut être identifié avec celui de l'Europe, ce serait blesser bien grièvement une grande espérance.
Charles de Gaulle
Au demeurant...
Foule
Bravos !
Charles de Gaulle
Au demeurant, en ce temps de menaces et d'escalades atomiques, il n'y a pas, pour assurer éventuellement la sauvegarde initiale de l'ancien continent et par conséquent pour justifier l'alliance atlantique, il n'y a pas d'autre voie que l'organisation d'une Europe qui soit elle-même, notamment pour se défendre. Et enfin, quant à l'avenir, étant donné l'évolution qui peut peut-être se produire à l'intérieur et à l'extérieur du bloc totalitaire de l'Est, il y a, dans cette organisation de l'Europe occidentale, le seul moyen qui permette un jour, qui sait, de rapprocher l'Europe toute entière sous la pression des hommes qui, de l'autre côté du Rideau de Fer, aspirent à recouvrer leur dignité, et des peuples qui tendent à reprendre leur libre arbitre national, rapprocher l'Europe toute entière, équilibrée, réglant ses problèmes et aménageant ses vastes ressources pour le progrès et pour la paix.
(Applaudissements)