Réponse au Maréchal Pétain après la déclaration d'Armistice du 25 juin 1940

25 juin 1940
05m 10s
Réf. 00302

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle commence par indiquer que "l'infériorité militaire" de la France avancée par le maréchal Pétain comme première raison de la défaite tenait à "un système militaire mauvais" fondé sur "une armée défensive" et privée de "force mécanique". De Gaulle souligne ensuite l'écrasante responsabilité de Pétain : "Vous, qui avez présidé à notre organisation militaire après la guerre de 14-18, vous, qui fûtes généralissime jusqu'en 1932, vous, qui fûtes ministre de la Guerre en 1935, vous, qui étiez la plus haute personnalité militaire de notre pays, avez-vous jamais soutenu, demandé, exigé la réforme indispensable de ce système mauvais ?". Il reproche ensuite au Maréchal de s'être laissé berner par l'ennemi en croyant que l'armistice serait "honorable". Or, l'accord signé est "déshonorant" car il livre "les deux tiers du territoire [. . .] à l'occupation de l'ennemi, et de quel ennemi !", et car il entérine la démobilisation de l'armée tout entière. Enfin, le général de Gaulle réfute absolument le projet pétainiste pour le relèvement d'une France "livrée", "liée" et "asservie". Aux yeux du Général, le relèvement du pays n'aura lieu que "dans la liberté" et "dans la victoire". En quelques mots, l'opposition irréductible entre les deux démarches est ainsi affirmée. Notons par ailleurs que le discours publié dans le tome 1 des "Discours et Messages" diffère assez sensiblement de celui qui fut effectivement radiodiffusé. La version publiée détaille davantage les raisons pour lesquelles l'armistice est "déshonorant" aux yeux de l'homme du 18 Juin. Elle présente ensuite une interpellation passée à la postérité bien que non prononcée par le Général au micro britannique : "Ah ! pour obtenir et pour accepter un pareil acte d'asservissement, on n'avait pas besoin de vous, Monsieur le Maréchal, on n'avait pas besoin du vainqueur de Verdun ; n'importe qui aurait suffi". Enfin, elle est relativement plus prolixe sur les voies et moyens du futur relèvement français "dans la liberté" et "dans la victoire".

Type de média :
Date de diffusion :
26 juin 1940
Date d'événement :
25 juin 1940
Type de parole :

Éclairage

Respectivement conclus les 22 et 24 juin, les armistices franco-allemand et franco-italien entrent en vigueur le 25 juin 1940. Le jour même, le maréchal Pétain prend la parole à la radio française afin d'expliquer et justifier sa politique. S'il reconnaît la rudesse des conditions acceptées par la France, il affirme que l'honneur est sauf. Le 26 juin, le général de Gaulle lui répond. Pour la première fois depuis son départ en Angleterre, il s'adresse nommément à celui qui fut son mentor et qui en est arrivé, dans des circonstances épouvantables, à présider aux destinées de la France.

Guillaume Piketty

Transcription

Charles de Gaulle
Monsieur le maréchal, par les ondes, au-dessus de la mer, c'est un soldat français qui va vous parler. Hier, j'ai entendu votre voix que je connais bien. Et non sans émotion, j'ai écouté ce que vous disiez aux Français pour justifier ce que vous avez fait. Vous avez d'abord dépeint l'infériorité militaire qui a causé notre défaite. Puis, vous avez dit qu'en présence d'une situation désespérée, vous avez pris le pouvoir pour obtenir des ennemis un armistice honorable. Vous avez, ensuite, déclaré que devant les conditions posées par l'ennemi, il n'y avait pas d'autre alternative que de les accepter en restant à Bordeaux ou de les refuser et passer dans l'empire pour y poursuivre la guerre. Vous avez cru devoir rester à Bordeaux. Enfin, vous avez reconnu que le sort du peuple français allait être très cruel. Mais vous avez convié ce peuple à se relever malgré tout par le travail et la discipline. Monsieur le maréchal, dans ces heures de honte et de colère pour la patrie, il faut qu'une voix vous réponde. Ce soir, cette voix sera la mienne. En effet, notre infériorité militaire s'est révélée. Mais cette infériorité, à quoi tenait-elle ? Elle tenait à un système militaire mauvais. La France a été foudroyée non point du tout par le nombre des effectifs des Allemands, non point du tout par leur courage supérieur, mais uniquement par la force mécanique offensive et manoeuvrière de l'ennemi. Cela, tous les combattants le savent. Si la France n'avait pas cette force mécanique, si elle s'était donné une armée défensive, une armée de position, à qui la faute, monsieur le maréchal ? Vous, qui avez présidé à notre organisation militaire après la Guerre de 14-18, vous, qui fûtes généralissime jusqu'en 1932, vous, qui fûtes ministre de la guerre en 1935, vous, qui étiez la plus haute personnalité militaire de notre pays, avez-vous jamais soutenu, demandé, exigé la réforme indispensable de ce système mauvais ? Cependant, vous appuyant sur les glorieux services que vous aviez rendus pendant l'autre guerre, vous avez revendiqué la responsabilité de demander l'armistice à l'ennemi. On vous avait fait croire, monsieur le maréchal, que cet armistice demandé à des soldats par le grand soldat que vous êtes serait honorable pour la France. Je pense que, maintenant, vous êtes fixé. Cet armistice est déshonorant. Les deux tiers du territoire livrés à l'occupation de l'ennemi, et de quels ennemis !, notre armée tout entière démobilisée. Et c'est du même ton, monsieur le maréchal, que vous conviez la France livrée, la France liée, la France asservie à reprendre son labeur, à se refaire, à se relever. Mais dans quelle atmosphère ? Par quels moyens ? Au nom de quoi voulez-vous qu'elle se relève sous la botte allemande et l'escarpin italien ? Oui, la France se relèvera. Elle se relèvera dans la liberté. Elle se relèvera dans la victoire.