Conférence de presse du 29 juillet 1963

29 juillet 1963
13m 25s
Réf. 00381

Notice

Résumé :

Le général de Gaulle donne une conférence de presse le 29 juillet 1963 à l'Elysée. Il répond aux questions des journalistes sur l'actualité de la France et du monde, et notamment sur les objectifs du Plan de développement quinquennal, sur les rapports franco-américains, sur la construction européenne.

Type de média :
Date de diffusion :
29 juillet 1963
Type de parole :

Éclairage

Le 29 juillet 1963, le général de Gaulle tient sa neuvième conférence de presse depuis qu'il est à la tête de la Cinquième République. C'est un exercice dont il a l'habitude : sorte de bilan prévisionnel effectué deux fois l'an, destiné à exposer les positions officielles de la France sur les grandes questions de l'heure, il s'agit aussi de s'adresser au peuple directement, sans intermédiaire, pour lui expliquer ce qui a été fait, et ce qui doit être encore accompli.

Le document ne présente que des extraits de cette conférence de presse. Dans le premier, le général de Gaulle - évoquant les clés du succès économique (un État dirigiste et des travailleurs solidaires) - rappelle la nécessité de développer la "coopération" entre le capital et le travail, faisant ainsi référence à l'ordonnance du 7 janvier 1959 ayant pour but de "favoriser l'association ou l'intéressement des travailleurs à l'entreprise" (c'est-à-dire la participation des salariés aux bénéfices, au capital ou à la gestion des sociétés).

Il parle ensuite du " pardon de la France " qui pourrait être offert aux membres de l'OAS emprisonnés pour avoir mis en péril la nation pendant la Guerre d'Algérie (un an plus tard, en décembre 1964, les prisonniers condamnés à des peines inférieures à quinze ans seront graciés, et en 1966, plusieurs lois d'amnistie seront votées).

Dans les trois extraits suivants, le général de Gaulle évoque les relations que la France entretient avec les Etats-Unis d'Amérique, deux nations qui ne se sont jamais fait la guerre et qui ont toujours été alliées précise-t-il. Si " l'amitié " cultivée entre les deux pays est forte, il n'en demeure pas moins vrai qu'il peut y avoir " des divergences politiques entre Paris et Washington ". En effet, en décembre 1962, le président Kennedy avait proposé à l'Europe occidentale la création d'une force multilatérale sous l'égide des Etats-Unis ; le président français - refusant résolument de se plier à toute hégémonie - avait repoussé catégoriquement cette proposition lors de sa conférence de presse du début 1963.

Le général de Gaulle aborde ensuite la question - très attendue - de la position de la France face au Traité de Moscou, conclu quelques jours plus tôt entre les Etats-Unis, l'URSS, le Royaume-Uni et l'Allemagne fédérale (il sera signé début août). Cet accord - qui prévoit l'interdiction des essais nucléaires dans l'atmosphère, dans l'espace ou sous l'eau - est dénoncé par le Général, car il ne peut y avoir, selon lui, d'entente soviéto-américaine qu'aux dépens de l'Europe. De plus, la France est en train de bâtir sa propre force de frappe afin que sa défense reste indépendante de toute emprise extérieure (en janvier, le ministre des Armées Pierre Messmer avait annoncé le lancement de la fabrication en série des bombes A). Ainsi, seule la France, la Chine, Cuba et l'Albanie refusent-ils le Traité de Moscou.

Dans le dernier extrait, le général de Gaulle évoque la question de l'Europe, et il revient tout d'abord sur la conclusion du traité franco-allemand de janvier 1963, qui consacre la réconciliation des deux nations, et oriente la construction européenne sur l'axe Paris-Bonn (au début du mois, les premières consultations prévues par ce traité entre de Gaulle et Adenauer franco-allemand ont eu lieu à Bonn). Il parle ensuite des discussions qui ont cours entre les Six pays du Marché commun sur le principe d'une politique agricole commune, qui se concluront, le 23 décembre 1963, par l'adoption à Bruxelles des premiers règlements agricoles.

Aude Vassallo

Transcription

Charles de Gaulle
Il y a trois données, à mon avis, qui dominent, à cet égard, l'activité française. La première, c'est que l'Etat, le fait que l'Etat étant investi de la direction, doit prendre carrément les moyens de l'exercer. La seconde donnée, c'est la solidarité des catégories. Solidarité telle que la collectivité a intérêt au bien de toutes, mais que chacune a, vis-à-vis d'elle, des devoirs qui, en fin de compte, l'emportent sur ses droits. Et de telle sorte que l'exagération de ses propres exigences la vouerait à la réprobation publique. La troisième donnée, c'est que chacune de ces catégories doit se doter d'organisation assez solides et assez valables, non seulement pour représenter les revendications de ses mandants, ce qui est tout à fait naturel et nécessaire, mais aussi, ce qui ne l'est pas moins, pour participer, d'une manière positive, à l'oeuvre de chaque branche de l'activité et au progrès d'ensemble de la collectivité nationale. Car, en dernier ressort, c'est cela que veut le peuple français. [...] Il y a un chef de l'Etat, il y a des pouvoirs publics, c'est à eux pour toutes sortes de raisons qu'il appartient d'aménager, d'abord, l'indulgence, vis-à-vis des moins coupables qui sont le plus souvent et naturellement les plus jeunes, et puis un jour, sans doute, le pardon de la France, envers ceux qui, se sont tant perdu, on peut croire que cela sera fait le moment venu. Sans méconnaître que parfois ce ne furent pas des motifs bas qui inspirèrent des actions mauvaises et sans négliger ce qui pourra servir à l'unité nationale. Mais de telle sorte que ne subsiste aucun danger qui puisse compromettre encore le salut et l'honneur du navire. Voilà ce que je puis dire sur ce sujet. [...] Les données fondamentales, pour nous, des relations franco-américaines, ce sont l'amitié et l'alliance. L'amitié, voilà tantôt 200 ans qu'elle existe comme une éminente réalité psychologique développée par toute sorte de penchants, d'influences, de liens, de rapports particuliers, répondant à la nature des deux pays. Maintenue par le fait, que toutes les nations du monde, la France est la seule des puissances du monde, des puissants, la France est la seule, en dehors je dois le dire de la Russie, avec laquelle jamais les Etats-Unis n'aient échangé un coup de canon. Et en tout cas, la seule entre toutes, sans exception, qui ait combattu à leur côté pendant trois guerres. La guerre de l'Indépendance, la Première et la Deuxième guerre mondiale. Un pareil capital moral ne pourrait pas être entamé ou alors il y faudrait des dissensions infiniment graves et infiniment longues. Il peut y avoir, il y a des divergences politiques entre Paris et Washington. Il y a des malveillances journalistiques. Mais ce ne sont pas ces divergences et ce ne sont pas ces malveillances qui peuvent donner à croire à la France que les Etats-Unis cherchent à lui faire du tort, et pour les Etats-Unis, s'imaginer que la France cherche à leur nuire, ce serait d'une dérisoire absurdité. [...] Ni l'amitié, ni l'alliance franco-américaine, ne sauraient être et ne sont en cause. Mais il est vrai que devant les problèmes qui se posent actuellement aux deux pays, leur politique ne concorde pas toujours. Il n'y a d'ailleurs rien là de foncièrement inquiétant ni même d'étonnant, mais il faut nous adapter, de part et d'autre, à cette situation nouvelle. [...] Au total, pour la France, et je le crois, pour les Etats-Unis, l'amitié qui les unit et l'alliance qui les lie sont au-dessus de toute atteinte. Mais il est vrai qu'il y a des différences entre les deux pays face à certains problèmes internationaux. L'évolution de l'un et de l'autre pays a créé cet état de chose qui, encore une fois, n'a rien d'étonnant, quelque incommode qu'il puisse, peut-être momentanément, paraître aux américains. En tout cas, dans les rapports entre les deux peuples, nous pensons qu'il faut qu'on prenne son parti de cette situation nouvelle. Et quand ce sera fait, quand on en aura pris son parti, alors il conviendra sans doute de concerter, pour chaque cas, et dans toute la mesure du possible, les deux politiques respectives. [...] L'accord de Moscou, je le dis franchement, au point de vue total et pratique pour le monde, n'a pas, n'a qu'une importance réduite. A moins, naturellement, qu'il ne soit le point de départ d'autre chose, qui s'étendrait à d'autres problèmes, et j'en ai parlé tout à l'heure, je les ai évoqués tout à l'heure, et c'est la raison pour laquelle l'accord, tout en ayant l'approbation de la France, éveille pourtant sa vigilance. Alors vous me demandez qu'est-ce que va faire notre pays dans cette situation, après l'accord de Moscou ? Je vous répéterai, une fois de plus, que si un jour, les américains et les soviétiques désarment, c'est-à-dire s'ils en viennent à la destruction et à l'interdiction des moyens nucléaires, c'est de grand coeur que la France s'abstiendra de s'en procurer. Mais, il ne semble pas qu'on soit au point d'en venir là, et la triste conférence de Genève aura siégé, comme c'était à prévoir, interminablement pour rien. Cependant, de toute façon et à tout hasard, la France était disposée quand cette vaine figuration serait terminée, je parle de la conférence de Genève, serait disposée à proposer aux trois autres puissances atomiques, certaines mesures effectives et pratiques de désarmement, portant en particulier sur les véhicules cosmiques, aériens et maritimes de lancement des projectiles nucléaires. Ce qui s'est passé à Moscou ne fait que la confirmer dans cette intention. Et elle compte, avant la fin de cette année, inviter les Etats intéressés, à étudier en commun, avec elle, ce problème essentiel. Avant que, peut-être, il soit devenu insoluble à son tour. Mais répétons aussi, qu'en présence des puissances, armées, grâce aux moyens nucléaires, de possibilités de destruction incommensurables, qui ne cessent de les renforcer, et qui, par là, confirment, de jour en jour, leurs hégémonies respectives, la France, du moment que d'autres en ont, ne sera certainement pas détournée par l'accord de Moscou, de se doter elle-même de ces moyens là. Faute de quoi, puisque les autres en ont, sa propre sécurité et sa propre indépendance ne lui appartiendraient jamais plus. [...] Quant à l'organisation même de l'Europe à laquelle nous espérons que le Traité franco-allemand va contribuer d'une manière, plus effective qu'avant, quant à cette organisation, c'est bien entendu le problème agricole que les Six doivent encore résoudre. Et c'est pas la peine de parler, en effet, de Communauté Economique européenne, s'il était entendu que l'Europe ne se procure pas son alimentation, pour l'essentiel, grâce à ses propres produits agricoles. Lesquels peuvent y suffire largement. Et on se demande ce que ferait la France dans un système où il n'y aurait bientôt plus de douanes, excepté pour son blé, pour sa viande, pour son lait, pour son vin et pour ses fruits. Le Traité de Rome était assez bien agencé pour ce qui concerne l'agriculture, mais il se bornait à évoquer, pour ce qui concerne l'industrie, veux-je dire, mais il se bornait à évoquer la question de l'agriculture, et il la résolvait pas. Au commencement de l'année dernière, la France a obtenu de ses partenaires qu'ils s'engagent à régler ce problème ou bien tout serait arrêté.