Matthias Langhoff met en scène La Mission d'Heiner Müller

17 novembre 1989
02m 21s
Réf. 00011

Notice

Résumé :

En 1989, Matthias Langhoff présente au Théâtre de la Ville un spectacle réunissant deux œuvres qui ont pour sujet la Révolution Française. La première pièce est La Mission, d'Heiner Müller, qui raconte la tentative, par trois envoyés de la Convention, de soulèvement des esclaves contre les britanniques installés en Jamaïque. Extraits du spectacle.

Date de diffusion :
17 novembre 1989
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )

Éclairage

Né en 1929 et mort en 1995, Heiner Müller est un dramaturge, un poète, un metteur en scène et un traducteur allemand. Il est l'auteur pour le théâtre, entre 1956 et 1988, d'une trentaine de pièces dont certaines furent jouées en France dès 1972. Pendant les années 80, Jean-Jourdheuil et Jean-François Peyret ont contribué, par leurs traductions et mises en scène, à faire connaître sa dramaturgie. Si ses œuvres ont été représentées des deux côtés du Mur de Berlin, elles ont joui d'une popularité mineure en RDA. Après la chute du Mur, Heiner Müller continua de vivre à Berlin-Est.

Après avoir, dans ses premières pièces, essayé d'analyser le contexte économique et social de l'Allemagne de l'après-guerre, l'écrivain de théâtre s'est écarté du modèle brechtien. En détournant la censure de la RDA, il est parvenu à composer des œuvres qui toujours renvoient à l'histoire contemporaine et aux problématiques européennes. L'intertextualité est rapidement devenue l'un des principes fondateurs de son théâtre. La réécriture des œuvres d'Eschyle, Sophocle, Shakespeare et Choderlos de Laclos lui permettent d'interroger les enjeux contemporains du mythe. Le dramaturge a par ailleurs recours au collage et au montage de fragments, alternant matériau textuel, motifs lyriques et épiques.

Sous-titrée Souvenirs d'une révolution, La Mission est une pièce écrite, en 1979, à partir d'une nouvelle d'Anna Seghers intitulée La Lumière sur le gibet. Elle fut mise en scène en Allemagne par l'auteur en 1980 et en France, par Philippe Adrien, en 1982. Matthias Langhoff en propose une nouvelle interprétation, après avoir mis en scène en 1975 deux textes d'Heiner Müller, La Bataille et Tracteur. Il l'associe à une autre pièce, qui la suit immédiatement. Il s'agit de Au Perroquet vert, d'Arthur Schnitzler, dont l'intrigue se rapporte à la prise de la Bastille en 1789. Les deux pièces font partie d'un même spectacle baptisé Un Champ de bataille potentiel et présenté en 1989 au Festival d'Avignon, au moment de la célébration du bicentenaire de la Révolution Française. La création, reprise au Théâtre de la Ville à Paris, trouve une signification supplémentaire lors de la diffusion du reportage au cours du « Journal de 20h » du 17 novembre 1989 : le Mur de Berlin est tombé huit jours plus tôt. La fable de La Mission représente le parcours en Jamaïque de trois hommes chargés par la Convention de mener, en 1794, le soulèvement des esclaves contre les britanniques. Leur démarche révolutionnaire se heurte rapidement aux effets de la contre-révolution. La scénographie, conçue par Katrin Brack, divise l'espace en plusieurs aires de jeu reliées entre elles par des escaliers ou des échelles. Ce dispositif scénique, qui rappelle le théâtre des avant-gardes pendant les années 20, fait écho de manière ludique à la dislocation du temps et de l'espace à l'œuvre dans cette pièce qui emprunte au rêve la pluralité et l'enchâssement des récits.

Marie-Isabelle Boula de Mareuil

Transcription

Présentateur
Enfin le théâtre, et nous allons revenir aux interrogations dans les pays de l’Est. Avec en écho cette pièce de Heiner Müller, montée au Théâtre de la Ville par Matthias Langhoff. Müller, c’est un allemand de l’Est, qui vit toujours à Berlin Est. Sa pièce qui a été écrite il y a 10 ans maintenant, est une réflexion sur les échecs de la révolution. Michel Strulovici, Bernard Puissesseau, Les Trois Coups.
Comédien 1
Notre travail commence demain.
Comédienne 1
La révolution est le masque de la mort.
Choeur
La révolution est le masque de la mort, la mort est le masque de la révolution….
Journaliste
Révolution et mort, accouplées, conjuguées tout au long de cette pièce écrite par l’auteur est-allemand, Heiner Müller. Un acteur de la transformation en cours à Berlin. Nous sommes à la Jamaïque, où trois envoyés de la Convention doivent mener le soulèvement des esclaves contre les Britanniques. Mais leur mission devient caduque, car à Paris…
Comédien 1
Le gouvernement qui nous a confié la mission d’organiser ici à la Jamaïque un soulèvement d’esclaves n’est plus en fonction. Le Général Bonaparte a dissous le Directoire avec les baïonnettes de ses grenadiers. La France s’appelle Napoléon. Le monde devient ce qu’il était, une patrie pour maîtres et esclaves.
Journaliste
Histoire exemplaire pour Heiner Müller. Exemplaire de la situation vécue par les révolutions qui, de libératrices, se transforment en leur contraire, des dictatures.
Comédien 1
Ce que nous avons pris pour l’aube de la liberté, n’était peut-être que le masque d’un nouvel esclavage, plus effroyable, comparé auquel le règne du fouet dans les Caraïbes, ailleurs, n’est qu’un aimable avant-goût des délices du paradis. Et peut-être que ta bien-aimée inconnue, la Liberté. Mais quand ses masques seront usés, peut-être n’aura-t-elle pas d’autre visage que celui de la trahison ! Et ce que tu ne trahis pas aujourd’hui, te tuera demain ! Et du point de vue de la médecine humaniste, la révolution est un mort-né !
Journaliste
La Mission ou la danse au bord du gouffre des certitudes.
(Musique)