Phèdre de Racine, mis en scène par Patrice Chéreau au Théâtre de l'Odéon
Notice
Extrait de la scène 5 de l'acte II, où Phèdre (Dominique Blanc) fait à Hippolyte (Eric Ruf) l'aveu de son amour en empruntant le détour d'un récit de sa rencontre avec Thésée, puis le voyant se dérober laisse éclater toute la violence de sa passion.
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Éclairage
Lorsqu'il donne Phèdre, sa dernière pièce profane, en 1677, Jean Racine y voit son chef-d'œuvre. Il est vrai que la pièce concentre tous les éléments caractéristiques de la tragédie racinienne, nourrie à la lecture des Grecs et polie au contact du jansénisme : les hommes y sont tourmentés par des dieux absents, par le biais de passions féroces qui les transforment en monstres lucides et impuissants. La mort ou le sacrifice sont les seules issues de ce combat inégal de la créature humaine avec sa malédiction intérieure. Si Racine s'est avant tout inspiré de l'Hippolyte d'Euripide pour sa pièce, il emprunte aussi la violence des échanges, le long récit de Théramène et le suicide final de Phèdre à la Phèdre du dramaturge romain Sénèque.
Patrice Chéreau se souvient de Sénèque lorsqu'il présente en 2003 sa Phèdre au Théâtre de l'Odéon : son spectacle, loin de se dérober à la violence de l'action, va jusqu'à montrer ce que Racine dissimule, à l'exemple du cadavre mutilé d'Hippolyte que l'on exhibe sur une table d'opération pendant le récit de Théramène. Le public est en disposition bi-frontale, en un huis-clos oppressant qui lui offre des points de vue multiples sur l'action, mais forme également comme deux camps opposés de témoins. À l'inverse de la tradition dominante, Chéreau choisit de mettre en valeur un Hippolyte (Eric Ruf) mûr et solide, dont l'intensité et les contradictions répondent à celles de Phèdre (Dominique Blanc) : l'un et l'autre disent l'amour tout en le rejetant, mélangent quête et fuite, et luttent entre l'instinct et la culpabilité. Autre jeu de miroirs, Hippolyte et Thésée (Pascal Greggory) présentent une ressemblance physique frappante, donnant ainsi une motivation évidente au désir de Phèdre. Loin d'un monstre mythologique, Patrice Chéreau cherche à faire voir l'humanité et l'érotisme poignant de son personnage principal, et à donner sens à sa violence.