Les grands interprètes de Cyrano de Bergerac : de Coquelin à Jean Piat

04 novembre 1964
02m 16s
Réf. 00332

Notice

Résumé :

Un reportage consacré à l'histoire des mises en scène de Cyrano de Bergerac depuis 1897, année de création de la pièce, montrant des photos de décor, des costumes et des interprètes de divers spectacles, suivi d'une interview de Jacques Charon, Jean Piat et Geneviève Casile à l'occasion de la 100e représentation de la pièce, à la Comédie-Française, en 1964.

Date de diffusion :
04 novembre 1964
Source :

Éclairage

Coquelin, un acteur de boulevard extrêmement populaire, connu aussi pour sa facilité à passer dans le registre tragique, reçoit un jour un billet de Sarah Bernhardt qui le prie de venir assister à une lecture donnée par une jeune poète méconnu, Edmond Rostand, mais en qui Sarah Bernhardt avait décelé un immense talent. Avec la réunion de ces trois personnalités, c'est un trio fécond et légendaire qui se forme pour occuper avec brio la scène au tournant du XXe siècle.

Coquelin s'emballe littéralement pour le projet de Rostand et s'empare immédiatement du personnage de Cyrano. Pour l'anecdote, rappelons que le physique et l'âge de Coquelin ne se prêtaient guère, de premier abord, à ce rôle : il avait déjà 56 ans au moment de la création et, comme le montrent les portraits ou les photographies de l'époque, Coquelin était pourvu d'un « petit nez ». Il fallut donc recourir à un nez postiche, fabriqué en cire, dont le profil est maintenant immortalisé dans la silhouette de Cyrano. Au contact de l'acteur, Rostand avance très vite l'écriture de sa pièce, une « comédie héroïque » en cinq actes, avec cinq décors et une distribution de 50 acteurs... un monument dont Rostand pensait qu'il serait un four lors de sa présentation sur scène, le 28 décembre 1897. Contre toute attente, la pièce remporte un vif succès et connaît même les honneurs d'une tournée internationale, avec une reprise à New York, en 1900, avec Coquelin toujours, et Sarah Bernhardt dans le rôle de Roxane.

Parmi quelques mises en scènes marquantes de la pièce, dont on voit bien qu'il était déjà délicat au début du XXe de reprendre la succession, tant la charge historique et mythique de la création est longtemps restée écrasante, on peut citer celle de Pierre Dux, en 1938, à la Comédie-Française, avec André Brunot dans le rôle de Cyrano, Marie Bell dans celui de Roxane, Maurice Escande dans celui de De Guiche, Fernand Ledoux dans celui de Carbon de Castel-Jaloux ; spectacle qui sera repris en 1949 et dans lequel on verra apparaître Jean Piat, dans le rôle d'un Cadet.

C'est sous la direction de Jacques Charron que Jean Piat entrera dans la peau de Cyrano pour incarner le rôle près de 400 fois à la Comédie-Française. Lors de la première, on dit, de mémoire de spectateur, que le tombé de rideau fut suivi d'un tonnerre d'applaudissements et de plus de cinquante rappels. Jean Piat raconte volontiers qu'il entendait, depuis le plateau, les gens murmurer les répliques avant même qu'il ne les prononce. Depuis, le personnage n'as jamais vraiment quitté l'acteur, qui a créé en 2006 un Cyrano d'hier et d'aujourd'hui, pour trois acteurs, où se mêlent à la fois des morceaux de la pièce de Rostand et des souvenirs autobiographiques. La figure de Cyrano hante finalement les acteurs qui ont endossé le rôle et certains n'arrivent plus tout à fait à se séparer du héros tragi-comique, poète et comédien, souffleur de mots, qui a consacré leur carrière théâtrale : Coquelin, sans doute pour ces raisons et pour son amitié pour Rostand, s'est fait enterrer dans son costume de scène.

Voir un extrait de Cyrano de Bergerac interprété par Daniel Sorano (1960)

Voir un document sur Cyrano de Bergerac mis en scène par Denis Podalydès (2007)

Céline Hersant

Transcription

Cyril Anrep
Qu’attend cette scène vide, oui, ce sont bien les décors de Cyrano de Bergerac ; mais ceux-ci, brossés par Le Monier, virent le 28 décembre 1897 au théâtre de la porte Saint-Martin, triompher le grand Coquelin dans le rôle de Cyrano, et Maria Legault dans celui de Roxanne. Peu de temps après, Sarah Bernhardt prêta sa voix d’or à Roxanne en compagnie de Coquelin, et à la mort de ce dernier, Le Bargy reprit le rôle de Cyrano. La pièce entra à la Comédie-Française pour la première fois en 1938 dans une mise en scène de Pierre Dux et des décors de Christian Bérard. On y trouvait Fernand Ledoux dans le rôle de Carbon de Castel-Jaloux, Jean Martinelli dans celui de Christian, Maurice Escande était le comte de Guiche. Roxanne et Cyrano étaient campés par Marie Bell et André Brunot. L’œuvre fut reprise en 1949 avec Maurice Escande dans le rôle de Cyrano, mais cette année, dans de nouveaux décors dus au talent de Jacques Dupont ; Cyrano a repris une carrière triomphale, dont c’est ce soir la première, n’est-ce pas Jacques Charon ?
Jacques Charon
C’est vrai.
Journaliste
C’est vrai ?
Jacques Charon
Oui !
Journaliste
C’est rare ?
Jacques Charon
Ah, c’est extrêmement rare, enfin, cent reptésentations à la Comédie-Française, en 7 mois, je crois que ça ne s’est jamais trouvé avant. Il y avait eu des centièmes en 1 an.
Journaliste
Au bout de ces représentations, qu’est-ce que vous en pensez ?
Jacques Charon
Ce que j’en pense, ben forcément, j’en pense que cela marche très bien, que le public…
Journaliste
Ce n'est pas ce que je voulais vous demander…
Jacques Charon
Non, je pense que les acteurs depuis la première maintenant sont évidemment beaucoup plus détendus, beaucoup plus à l’aise que les premiers jours. Car nous avions un trac épouvantable. Il est toujours difficile de reprendre Cyrano, je ne parle pas de la mise en scène. Mais je parle des rôles principaux comme Cyrano de Bergerac , car il y a toujours des prédécesseurs qui ont joué merveilleusement Cyrano de Bergerac . Mais là, je crois que le public, même la presse ont rendu hommage à Jean Piat et à ses partenaires, Geneviève Casile, à Jacques Toja, Georges Descrières pour les rôles principaux.