L'Aiglon d'Edmond Rostand

15 août 1969
03m 16s
Réf. 00336

Notice

Résumé :

Un reportage sur Jacques Seyres, metteur en scène et acteur principal de L'Aiglon d'Edmond Rostand, créé au théâtre du Châtelet en 1969. Extraits de la pièce et interview.

Date de diffusion :
15 août 1969
Source :
ORTF (Collection: ETE MAGAZINE )

Éclairage

L'Aiglon est un drame en six actes, écrit en alexandrins, qui raconte le destin du roi de Rome, duc de Reichstadt, dit aussi « l'Aiglon », nom sous lequel on désignait le fils de Napoléon Ier et de Marie-Louise d'Autriche et qui sera recueilli par son grand-père autrichien et éduqué comme un prince exilé en attente du pouvoir, après l'abdication de Napoléon en 1815. L'Aiglon va tenter par tous les moyens de rejoindre la France pour succéder à son père, dont le spectre héroïque vient le hanter et l'écraser par sa superbe. Mais le jeune homme n'a pas la prestance de Napoléon et les complots, ainsi qu'une santé fragile, auront raison de ses ambitions.

La pièce a originellement été créée le 15 mars 1900 au Théâtre Sarah-Bernhardt avec, dans le rôle de l'Aiglon, Sarah Bernhardt (costumée en homme) mais aussi, pour ne citer que lui, Lucien Guitry (le père de Sacha, qui prendra la direction du Théâtre de la Renaissance). Ces deux acteurs, qui ont à l'époque une renommée internationale et passionnent les foules, assurent à la pièce son succès, tant et si bien que le spectacle sera joué à New York à l'occasion des festivités organisées pour le passage du siècle.

On retrouve dans cette pièce toute la verve de Rostand, son goût pour l'épopée, et des traits communs avec ses autres célèbres personnages. Comme Cyrano, l'Aiglon est un rêveur qui voit ses illusions tomber en lambeaux et son panache s'étioler inévitablement. Mais la pièce a connu une postérité plus difficile, en grande partie à cause de son arrière-plan historique et politique, qui lui donnent un écho étonnant avec les conflits entre la France et l'Allemagne pendant les grandes guerres du XXe siècle : L'Aiglon a ainsi été interdit pendant l'Occupation avant d'être repris et de triompher comme une œuvre patriotique pendant 2 ans au Théâtre du Châtelet, au moment de la Libération (création le 6 août 1945, dans une mise en scène de Maurice Lehmann). Depuis, et c'est bien regrettable, la pièce n'a été que peu montée : une recréation par Jacques Sereys au Théâtre du Châtelet en 1969 ; Anne Delbée aux Mathurins en 1989 ; Jean Danet pour les Tréteaux de France en 1993 ; Marion Bierry au Théâtre de Trianon en 2000.

Céline Hersant

Transcription

Michel Le Royer
Voilà donc les soldats de Napoléon Deux, la surveillance est tellement étroite que même mes soldats de bois sont autrichiens. Tu peux ouvrir la boîte, passe-moi un. Posons notre aile gauche. Tiens !
Comédien 2
Quoi donc ?
Michel Le Royer
Un grenadier de la garde. Un guide, un vélite, un gendarme d’élite. Ils sont tous devenus français, on a repeint chacun de ses petits combattants de sapin. Français, français, français.
Comédien 2
Quel est donc ce prodige ?
Michel Le Royer
Quelqu'un les a repeints et re-sculptés.
Comédien 2
Quelqu'un ?
Michel Le Royer
Ce quelqu'un est un soldat.
Comédien 2
Pourquoi ?
Michel Le Royer
Il y a sept boutons à l'habit bleu de roi ! les collets sont exacts, les revers sont fidèles. Torsades, brandebourgs, trèfles, nids d'hirondelle, tout y est. Ce quelqu'un ne peut être indécis, ni sur un passe-poil, ni sur un retroussis ! Les lisérés sont blancs, les pattes ont trois pointes. Oh toi, dis que tu sois ami, c’est à mains jointes que je te remercie. Oh soldat inconnu, qui, je ne sais comment, je ne sais d'où venu, as trouvé le moyen, dans ce bagne où nous sommes, de repeindre pour moi tous ces petits bonshommes ! Comment a-t-il fait pour échapper aux yeux ? Petite armée en bois, le héros, quel est-il ? Seul un héros peut être à ce point puéril. Qui vient de t'équiper afin que tu me ries de toutes les blancheurs de tes buffleteries ? Mais comment a-t-il fait pour échapper aux yeux ? Quel est le pinceau tendre et minuscule qui leur a mis à tous des petites moustaches, qui timbra de canons croisés les sabretaches ; Et qui n oublia pas de se tremper dans l'or pour mettre aux officiers la grenade ou le cor ! Sortons-les, sortons-les tous, la table en est toute couverte. Voici les voltigeurs à l'épaulette verte, voici les tirailleurs, et voici les flanqueurs ! Sortons-les, sortons tous ces petits vainqueurs. Oh ! regarde, Prokesch, dans la boîte, enfermée, Regarde, il y avait toute la grande armée. Alignons-les ! Faisons des Wagram, des Eylau ! Tiens ! ce yatagan nu va représenter l'eau. C'est le Danube ! Aspern, Essling !... là, dans la boîte ! Lance un pont de papier sur l'acier qui miroite ! Passe-moi deux ou trois grenadiers à cheval ! Il faut une hauteur : prends le Mémorial ! - Là, Saint-Cyr !... Molitor, vainqueur de Belle-garde ! Et là, passant le pont...
Jacques Sereys
Passant le pont ?
Comédien 2
La garde !
Jacques Sereys
Alors, toute l’armée est française aujourd'hui ? D’où vient qu’on ne voit pas d’Autrichiens ?
Michel Le Royer
Ils ont fui.
Jacques Sereys
Tiens, tiens, qui vous les a peinturlurés ?
Michel Le Royer
Personne.
Jacques Sereys
C’est vous, vous abîmez les joujoux qu’on vous donne.
Michel Le Royer
Oui, Monsieur.
Jacques Sereys
Emportez et jetez ces soldats ! On en rapportera des neufs.
Michel Le Royer
Je n’en veux pas, si j'en suis aux joujous, du moins qu'il soient épiques !
Jacques Sereys
Quelle mouche, ou plutôt quelle abeille vous pique ?
Michel Le Royer
Sachez que l'ironie étant peu de mon gré...
Comédien 4
Taisez-vous, mon seigneur, je vous les repeindrai.
Présentateur
Ce qu’on vient de voir, c’est un extrait du second acte, je crois.
Jacques Sereys
Second acte, la scène des petits soldats entre Prokesch et le duc de Reichstadt. Prokesch que le Duc n’avait pas revu depuis longtemps, revient par autorisation de Metternich, et ils font un cours de tactique, ils ont l’habitude de le faire. Le Duc De Reichstag s’aperçoit que quelqu'un, il apprendra par la suite que c’est Flambeau qui l’a fait, a repeint tous les soldats autrichiens en français.
Michel Le Royer
Parce que l’Aiglon pour moi, c’est un très grand rôle, c’est une consécration, c’est une joie en plus de jouer au Chatelet. C’est la première fois, c’est un rêve depuis toujours, un jeune premier où on se voit vieillir et on se voit ne pas jouer l’Aiglon. On se dit, est-ce que je le jouerai ? Est-ce que je ne le jouerai pas ? Puis, quand ça arrive, on est très heureux, puis on a surtout très peur.