On ne badine pas avec l'amour de Musset

04 février 1993
02m 36s
Réf. 00338

Notice

Résumé :

Reportage sur On ne badine pas avec l'amour de Musset, avec Emmanuel Béart, dans une mise en scène de Jean-Pierre Vincent aux Amandiers de Nanterre, en 1993. Extraits de la pièce et interview de l'actrice dans le rôle de Camille.

Date de diffusion :
04 février 1993
Source :
A2 (Collection: JA2 20H )
Fiche CNT :

Éclairage

Le « proverbe dramatique » est une forme très courue du XVIIe au XIXe siècle où se sont notamment illustrés Carmontelle, Collé et Berquin et qu'on donnait dans les salons mondains parisiens ou à la Cour pour divertir la société intellectuelle et les cercles de lettrés. Comme dans le mime et la commedia dell'arte, on improvisait souvent à partir d'un canevas une suite de scènes renfermant un « secret » (une sorte de devinette que les spectateurs devaient résoudre à la fin) : « Le proverbe dramatique est donc une espèce de comédie que l'on fait en inventant un sujet, ou en se servant de quelques traits de quelque historiette, etc. Le mot du proverbe doit être enveloppé dans l'action, de manière que si les spectateurs ne le devinent pas, il faut, lorsqu'on le leur dit, qu'ils s'écrient : "Ah ! c'est vrai", comme lorsqu'on dit le mot d'une énigme que l'on n'a pu trouver. » [1]

Ce jeu s'est au fil du temps trouvé astreint à des contraintes plus précises pour devenir un genre théâtral propre, non destiné à des représentations sur la scène théâtrale traditionnelle. Cette forme de théâtre de société a retrouvé un nouvel élan au XIXe siècle avec Théodore Leclercq (Proverbes dramatiques) Vigny (Quitte pour la peur) et surtout avec Musset (On ne badine pas avec l'amour, Il ne faut jurer de rien, Il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée, On ne saurait penser à tout...) ou encore, quelques années plus tard, avec Oscar Wilde (L'Importance d'être constant).

Musset adopte cette forme sans doute pour la très grande liberté formelle qui lui est inhérente. N'étant pas destiné explicitement à la scène, le proverbe dramatique permet toutes les fantaisies structurelles possibles et imaginables. Ainsi, dans On ne badine pas avec l'amour, Musset reprend en partie le modèle de la tragédie grecque en ouvrant sa pièce avec un chœur, rejoint la tradition avec des personnages appartenant aux stéréotypes de la comédie (dame Pluche, maître Blazius), retrouve Marivaux dans la mésentente amoureuse qui lie Perdican à Camille, fait le procès de la société en critiquant le système d'éduction des jeunes gens, et fait basculer ce qui pouvait sembler initialement un intermède léger vers le tragique avec la mort de Rosette, que Perdican veut épouser pour rendre jalouse Camille.

Le proverbe dramatique prend une valeur didactique grâce à cet assemblage en double teinte : la veine comique, servie par les personnages secondaires, vole en éclat à la fin de la pièce. L'orgueil et l'aveuglement des personnages (ce que les grecs nommaient l'hybris) est à l'origine du malentendu qui pousse l'intrigue vers un dénouement tragique. Le mélange des registres, à travers la forme du proverbe, prend ainsi chez Musset une portée morale et exemplaire : purgeons-nous de nos passions pour éviter de tomber dans les mêmes erreurs et le même destin funeste que les personnages de la pièce.

[1] Carmontelle, Proverbes dramatiques, tome 1, Paris, Merlin, 1768, p. 5.

Céline Hersant

Transcription

Présentateur
Emmanuelle Béart est décidément irrésistible, elle fait craquer le monde. Le très sérieux quotidien du soir se laisse aller en première page : "Au bord du bonheur" titre-t-il. Et cette extase et due à la pièce d’Alfred De Musset, que Jean-Pierre Vincent a mise en scène au théâtre des Amandiers à Nanterre, On ne badine pas avec l’amour. Georges Bégou et Patrick Deeschmaker ont eu la même réaction.
Comédien 1
Vous devez être fatiguée
Comédienne
Oui
Comédien 1
La route est longue, et il fait chaud.
Comédien 2
Oh mon dieu, non mais ! Regardez donc mon père comme Camille est jolie !
Comédien 1
Allons, Camille ! Embrasse ton cousin !
Emmanuelle Béart
Excusez-moi.
Comédien 1
Un compliment vaut un baiser. Et embrasse là Perdican.
Journaliste
Ce mariage qu’on voudrait arranger est compromis dès le départ.
Emmanuelle Béart
Elle arrive donc, en étant persuadée qu’elle va retourner le lendemain matin au couvent, et elle va tomber sur ce jeune homme qui va, petit à petit provoquer chez elle des choses qu’elle ne comprend pas, qu’elle n’assimile pas tout de suite mais qu’elle ressent dans sa tête, dans son coeur et dans sa chair.
Comédienne 2
Vous écrivez un billet à un homme !
Emmanuelle Béart
Mais ne dois-je pas être sa femme. Je puis bien écrire à mon fiancé.
Comédienne 2
Le seigneur Perdican sort d'ici, que pouvez-vous lui écrire ? Votre fiancé, miséricorde ! Serait-il vrai que vous oubliez Jésus ?
Emmanuelle Béart
Faites ce que je vous dis. Et disposez tout pour notre départ ! Si le curé de votre paroisse soufflait sur vous, et me disait que vous m’aimerez toute votre vie, aurais-je raison de le croire ?
Comédien 2
Oui et non !
Emmanuelle Béart
Et que me conseillerez-vous de faire un jour où je verrais que vous ne m’aimez plus ?
Comédien 2
De prendre un amant.
Emmanuelle Béart
Et que ferais-je ensuite le jour où mon amant ne m’aimera plus ?
Comédien 1
En prendre un autre !
Emmanuelle Béart
Combien de temps cela durera-t-il ?
Comédien 2
Jusqu’à ce que tes cheveux soient gris, et alors les miens seront blancs.
Journaliste
Devant tant de complexité, Perdican se tourne vers Rosette la paysanne, et ce qui n’était qu’une comédie devient un drame.
Emmanuelle Béart
Et bien, apprends-le de moi. Tu m’aimes ! Entends-tu ? Mais tu épouseras cette fille ou tu n’es qu’un lâche.
Comédien 2
Oui je l’épouserai !
Emmanuelle Béart
Ou tu feras bien.
Comédien 2
Très bien.
Emmanuelle Béart
Elle parle au nom d’un amour qu’elle voudrait idéal mais qui n’existe pas. C’est deux conceptions de la vie qui s’affrontent. Et on peut pas laisser passer des personnages comme ça. C’est… je crois vraiment, c’est… je crois que c’est le… le plus beau personnage qu’on m’ait mis entre les mains, qu’on m’ait mis dans le coeur, c’est le plus beau.