Les Fausses Confidences de Marivaux

03 mars 2010
04m 48s
Réf. 00361

Éclairage

Comédie en 3 actes, représentée pour la première fois en 1737 au Théâtre-Italien, dernière œuvre théâtrale développée en terme de durée et de construction dramaturgique avant que Marivaux ne se consacre plus qu'à des pièces en un acte. Monsieur Rémy présente son neveu Dorante, jeune homme de bonne famille ruiné, en qualité d'intendant à Araminte, une jeune veuve en plein démêlés judiciaires. Dorante, qui en est follement épris veut gagner son cœur. Dubois, son ancien valet, entreprend de l'assister dans son entreprise. Mais la mère d'Araminte, Mme Argante, a d'autres projets pour sa fille et veut lui faire épouser un comte. Dubois piège les uns et les autres et manipule si bien les divers protagonistes à force de fausses confidences et de stratagèmes que Dorante finit par obtenir les faveurs d'Araminte, au grand dépit de sa mère.

On peut noter dans Les Fausses confidences, et contrairement à ses précédentes pièces, l'insert d'éléments réalistes qui ont sans doute quelque peu déconcerté le public d'alors, qui réserva un accueil mitigé à la pièce avant qu'elle ne trouve son véritable succès soixante ans plus tard, lors de sa reprise à l'Opéra-comique et de son entrée au répertoire de la Comédie-Française : la description d'un Paris plus précis que dans les intérieurs ou les jardins indéfinis dans lesquels Marivaux plaçait auparavant l'action dramatique et l'ajout, notamment, de personnages qui n'appartiennent pas à proprement parler aux types de la comédie traditionnelle mais font plutôt écho aux tableaux et aux peintures sociales de La Vie de Marianne - vaste roman inachevé auquel Marivaux travailla de 1728 à 1742 et dont Pierre Cardinal a tiré un feuilleton télévisé en six épisodes, en 1976 - ; toutes ces nouveautés ont pu passer à l'époque de la création des Fausses confidences comme des étrangetés ou des maladresses dramaturgiques.

On sent bien en effet un changement de ton dans l'œuvre de Marivaux avec Les Fausses confidences, l'abandon des arlequinades et du système de conversation qu'on appelle le « marivaudage ». Et l'on voit déjà pointer les prémisses de la révolution formelle qui donnera naissance au drame bourgeois et à la comédie larmoyante, genres qui seront portés à leur paroxysme par Diderot. De fait, Marivaux recentre son intrigue autour d'un personnage central, Dubois, qui manipule à son aise - comme un démiurge dans lequel on peut voir le double fictionnel de l'auteur - les autres protagonistes. Le valet de comédie devient le maître d'œuvre du microcosme social dans lequel s'agitent les autres personnages, il fait et défait la vérité, rapporte les discours, influence sur les décisions, provoque l'accident et sa solution.

C'est dans cette voie que Didier Bezace et son acteur, Pierre Arditi, ont choisi d'orienter la représentation, en faisant du valet Dubois un personnage manipulateur, non exempt d'une certaine noirceur. Ce spectacle, présenté au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers lors de la saison 2009-2010, a fait l'objet d'une captation et d'une diffusion en direct sur France 2, le 30 mars 2010.

Céline Hersant

Transcription

Présentatrice
Il réussit l’exploit d’être un acteur à la fois élégant et très populaire. Il n’a qu’une religion, le travail, un atout incroyable, le talent qu’il met au service du cinéma, de la télé ou du théâtre. Cette fois, il revient sur les planches pour un carnet, un valet qui tire les ficelles de l’amour dans un classique de Marivaux, voici maintenant l’invité des 5 dernières minutes.
(Musique)
Présentatrice
Et cet invité c’est Pierre Arditi. Bonjour, merci vraiment d’être ici avec nous sur le plateau du 13h de France2 pour nous parler des Fausses Confidences de Marivaux. C’est au théâtre de la commune à Aubervilliers, c’est mis en scène par Didier Bezace. Vous êtes 8 sur scène et il y a notamment à côté de vous Anouk Grinberg ou encore Robert Plagnol. Pourquoi est-ce que vous aviez envie de revenir à Marivaux, quelle est sa petite musique pour vous ?
Pierre Arditi
Ce n’est pas une petite musique. Justement, le danger de Marivaux c’est un peu comme pour Mozart. Vous savez, on dit toujours, oui Mozart c’est une musique légère comme ça, on écoute la petite musique de nuit. Mais si on écoute le reste de l’œuvre de Mozart, évidemment, on arrive dans une œuvre qui parfois même est sombre et en tout cas beaucoup plus dense, et pour Marivaux, c’est la même chose. Ce qu’on appelle le marivaudage, c’est un terme très desservant pour l’œuvre de Marivaux qui est une œuvre beaucoup plus forte. C’est un chirurgien de l’âme humaine Marivaux. Avec alors, évidemment il y a une élégance, il y a une langue absolument admirable. Mais il y a des marécages à l’intérieur de son œuvre ; et en particulier, une volonté de lutter contre les carcans d’une société qui est sa société à lui, celle du XVIIIe, qui impose des règles contre lesquelles le personnage que j’incarne, qui s’appelle Dubois qui n’est qu’un valet, va décider de mettre ses règles à bas en se promettant à lui-même de faire aimer sa maîtresse qui est une veuve jeune et mûre, et un ancien maître à lui qui est un jeune homme aussi parce qu’il considère que ces deux-là sont faits pour s’aimer et que cette société qui refuserait puisqu’ils ne sont pas de la même condition sociale, cette société il va la mettre par terre en révélant à elle-même ce que cette jeune femme contient, et de l’amour et de la vie.
Présentatrice
Alors, vous l’avez dit en parlant de Marivaux. Ce valet, vous lui donnez quand même une tonalité très particulière, un peu sombre, machiavélique.
Pierre Arditi
Machiavélique, oui, bien sûr il y a ça, il est plus noir que prévu. C’est un valet qu’on peut aussi jouer comme un simple valet de comédie. Mais à ce moment-là, il y a quelque chose de la pièce qui ne se raconte pas. En fait, il est porteur du projet que je viens d’expliquer, c'est-à-dire qu’à un moment donné, sa société qui ne tolère pas qu’un jeune homme pauvre épouse une femme plus riche et d’une condition sociale plus élevée, et bien, ce carcan-là, ce valet, décide de le mettre à bas. Et il le fait effectivement au forceps, c'est-à-dire qu’il va révéler cette jeune femme à elle-même. Elle est dans un état d’indolence sentimentale et même intellectuelle que cette société a fait d’elle.
Présentatrice
Oui, lui impose.
Pierre Arditi
Lui impose. Et ce valet-là, en tapant du poing sur la table, va accoucher cette jeune femme au forceps. Alors effectivement, il le fait d’une manière assez noire, parfois presque cynique. Mais il est pragmatique et il arrivera à ses fins, c'est-à-dire qu’il fera arriver à leurs fins cette jeune femme et ce jeune homme qui, aux dépends de cette société décadente qu’il jette d’un revers de main, finiront par s’aimer.
Présentatrice
Alors, vous nous avez permis d’assister aux répétitions, on vous en remercie encore puisque c’est assez rare au théâtre. On va tout de suite regarder un extrait de ces répétitions. C’est justement le moment crucial, le moment de la fausse confidence où vous tentez de convaincre, en tout cas vous dites à votre maîtresse et comtesse que l’intendant est amoureux d’elle. On regarde ensemble.
(Silence)
Pierre Arditi
Il vous adore. il y a six mois qu'il n'en vit point, qu'il donnerait sa vie pour avoir le plaisir de vous contempler un instant. Vous avez dû voir qu'il a l'air enchanté quand il vous parle.
Anouk Grinberg
Il y a bien en effet quelque petite chose qui m'a paru extraordinaire. Mais juste Ciel ! Le pauvre garçon, de quoi s'avise-t-il ?
Pierre Arditi
Vous ne croiriez pas jusqu'où va sa démence, elle le ruine, elle lui coupe la gorge. Il est bien fait d'une tête passable, bien élevé et de bonne famille. Mais il n'est pas riche, et vous saurez qu'il n'a tenu qu'à lui d'épouser des femmes qui l'étaient, et de fort aimables ma foi, qui offraient de lui faire sa fortune, et qui auraient mérité qu'on la leur fît à elles-mêmes. Il y en a une qui n'en saurait revenir, et qui le poursuit encore tous les jours. Je le sais, je l'ai rencontrée.
Anouk Grinberg
Actuellement ?
Pierre Arditi
Oui, Madame, actuellement, une grande brune très piquante, et qu'il fuit.