Madame Sans-Gêne de Victorien Sardou et Emile Moreau

12 mai 1958
05m 08s
Réf. 00371

Notice

Résumé :

Une scène extraite de la pièce, avec Annie Cordy dans le rôle titre et Roger Pierre dans le rôle du maréchal Lefebvre, dans le cadre de l'émission 36 chandelles du 12 mai 1958.

Date de diffusion :
12 mai 1958
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Éclairage

Comédie sur fond historique en 3 actes et un prologue, Madame Sans-Gêne est un « vaudeville épique » créé en 1893, au Théâtre du Vaudeville (Paris), avec la très populaire Réjane dans le rôle de Catherine Hubscher. Catherine est blanchisseuse de son état et, lors de la prise des Tuileries par les révolutionnaires en 1792, va sauver la vie au duc de Neipperg et épouser, quelques temps après, Lefebvre, l'un des futurs maréchaux de Napoléon. Devenue Mme la maréchale, la Sans-Gêne fait à ses dépens l'amusement de la haute société par sa gouaille, ses manières et un maintien qui n'ont rien de la prestance d'une dame du monde. Les deux sœurs de Napoléon, dont elle s'est attiré les foudres par son franc-parler, entendent bien la faire chuter et poussent l'empereur à faire divorcer Lefebvre de cette ancienne blanchisseuse, qui fait tache dans le « décorum ». Napoléon convoque donc Catherine, mais celle-ci, sous sa langue des faubourgs, parvient par son bon sens, en rappelant ses « états de service » comme vivandière sur le front, et en voulant se faire payer une note de blanchisserie impayée par un certain Buonaparte, au moment de la Révolution, à convaincre l'Empereur de renoncer à son projet et de lui rendre les honneurs qui lui sont dus, lors d'une partie de chasse, devant toute la Cour.

Comme on le voit, il y a beaucoup de drôlerie dans les situations : l'Empereur des français se trouve pris en défaut par une femme du peuple, qui ne s'en laisse pas compter. La pièce fait intervenir une cinquantaine de personnages historiques et insiste, à grands renforts d'effets comiques, sur la dénonciation des intérêts privés qui font les coulisses du pouvoir : Madame Sans-Gêne est de fait une brillante satire sociale et politique, relevée par des effets de langue tout à fait savoureux. Le tableau de mœurs commente vertement les foudroyantes ascensions sociales des hauts dignitaires de l'Empire qui n'étaient encore que peu de temps auparavant de simples boutiquiers ou valets sous l'Ancien Régime. La pièce repose également sur la multiplication des effets de réels : dans le prologue, c'est tout le Paris révolutionnaire qui apparaît (toute sa géographie et l'atmosphère des barricades) ; puis, dans la suite de la pièce, c'est le pittoresque de la Cour, avec ses salons et le mobilier de style Empire, où se pressent des personnalités hautes en couleur, jamais avares d'un bon mot.

Le texte a été écrit à quatre mains, comme cela se faisait beaucoup pour les formes comiques, au XIXe siècle. Moreau et Sardou (ce dernier a été élu à l'Académie française en 1877) ont par ailleurs collaboré ensemble à deux autres pièces, Cléopâtre et Dante. La pièce, malgré ses accents argotiques et son arrière-plan historique, a très bien vieilli depuis sa création et le rôle de la Sans-Gêne est même devenu un rôle très prisé des actrices connue pour leur gouaille : Lily Mounet (Théâtre de l'Odéon, 1931), Béatrice Bretty (Comédie-Française, 1938, 1951), Madeleine Renaud (Théâtre Sarah-Bernhardt, 1957) [1], Jacqueline Maillan (Théâtre de Paris, 1973) [2], Clémentine Célarié (Théâtre Antoine, 2000). Côté cinéma, signalons l'adaptation de Roger Richebé, en 1941, avec Arletty dans le rôle titre, celle de Christian-Jaque en 1962 avec Sophia Loren et Robert Hossein et, côté télévision, les téléfilms de Claude Barma en 1963 avec Sophie Desmarets et Raymond Pellegrin et celui de Philippe Broca en 2002, avec Mathilde Seigner et Bruno Solo. Annie Cordy, qu'on voit ici dans une courte scène enregistrée pour l'émission 36 chandelles en 1958, a par ailleurs joué l'intégralité de la pièce, qui a fait l'objet d'une captation télévisée par Abder Isker, en 1981.

[1] Cf. l'émission « Le masque et la plume » du 2 janvier 1958 et la critique assez verte de Bernard Dort sur la prestation des Barrault

[2] Dans une mise en scène de Michel Roux et dans une scénographie de Roger Harth, célèbre pour ses contributions à « Au théâtre ce soir » au Théâtre Marigny, où la pièce sera enregistrée et diffusée à la télévision en 1974.

Céline Hersant

Transcription

Jean Nohain
Annie Cordy et Jean-Marc Thibault vont nous jouer une scène de Madame Sans-Gêne.
Annie Cordy
Ah, ben c’est ben joli tout ça. Ah, c’est ben joli oui, mais ce qui est gênant, c’est cette gredine de queue. Ah, te voilà toi.
(Bruit)
Annie Cordy
Ah tiens ! Il faut que je te raconte. Ah, non, c’est trop drôle tu vas rire. Ha ha ha !
Roger Pierre
Cela m'étonnerait.
Annie Cordy
Eh ben, mais quoi qu't'as ? Mais en voilà une tête, mais d’où tu sors ?
Roger Pierre
Je viens de dîner avec l’empereur. Seul avec lui dans son cabinet.
Annie Cordy
Ben, c’est pour ça que tu as l’air d’un déterré ?
Roger Pierre
D'abord, il a une façon de dîner cet homme-là, mais ce n’est pas croyable, on n’a pas idée. Il prend tout ce qu’il voit sur la table, au hasard. Les confitures après le potage, la crème au chocolat sur les merlans frits, et le fromage dans les lentilles. Et tout ça en dix minutes, vla vla, allez hop ! Je me suis étranglé avec une arête.
Annie Cordy
Ha ha ha !
Roger Pierre
Je me suis brûlé avec la soupe.
Annie Cordy
Ha ha ha !
Roger Pierre
Et je crève de faim.
Annie Cordy
Oh ha ha ha ha !
Roger Pierre
Tu trouves ça drôle.
Annie Cordy
Ah oui. Oh oh oh, moi je trouve ça très drôle.
Roger Pierre
Tu ne trouveras peut-être pas le reste aussi plaisant. Car ce n’est pour me régaler qu’il m’a fait venir à sa table. C’est pour parler de toi.
Annie Cordy
De moi ?
Roger Pierre
Tout le temps.
Annie Cordy
Ah, ben c'est ben de l’honneur, et à cause ?
Roger Pierre
A cause, de tes manières. Il ne trouve pas de son gré.
Annie Cordy
Quelles manières ?
Roger Pierre
Mais celles-là, non de non. Enfin, je rentre, et je te trouve avec les fournisseurs, en cotillon et en camisole.
Annie Cordy
Oh ben, quoi, j’essayais.
Roger Pierre
Bras nus ! Epaules nues !
Annie Cordy
Oh ben j’en montre ben plus maintenant que je suis habillée non ?
Roger Pierre
Ah mais probablement, ce n’est pas choquant. On ne va pas dire que des gens qui sortent d’ici en se moquant de toi.
Annie Cordy
Oh ben, alors c’est bien ça dont je me bats l’œil tiens, oh !
Roger Pierre
Et bien pas moi, nous avons une situation, un "decorum" comme dit l'empereur, à garder. Et ton langage, hum ? Enfin es-tu duchesse oui ou non ? Mais tonnerre de Dieu, tu ne pourrais donc pas prendre un langage de la cour ?
Annie Cordy
Oh ben après toi, s'il en reste. Oh dis donc !
Roger Pierre
Ah moi je suis soldat. Et un soldat qui ne jure pas n’est pas un soldat. Avec ça que l'empereur s'en privait tout à l’heure. Tiens, il flanquait des grands coups de bottes dans les tisons.
Annie Cordy
Bon bon bon, enfin quoi qu’il t’a dit allez.
Roger Pierre
Il m’a dit, votre femme est une mal embouchée. C’est un vrai scandale. Ça ne peut pas durer comme ça. On fait des gorges chaudes. Voilà ce que c’est que de se marier sergent, quand on le bâton de maréchal dans sa giberne. Heureusement que le remède est là, le divorce.
Annie Cordy
Hein ?
Roger Pierre
Il va sans dire que nous ferons à Madame Lefebvre une situation parfaite. Elle conservera votre terre de Combault avec une dotation magnifique. Allez en parler avec elle dès maintenant et que tout soit fini dans quinze jours.
Annie Cordy
Ah, il t’a dit comme ça ?
Roger Pierre
Comme il aurait dit "A cheval et en route !"
Annie Cordy
Ah, et quoi que tu as répondu ?
Roger Pierre
Et toi ?
Annie Cordy
Moi ?
Roger Pierre
Oui ! Si on te parlait de ce divorce-là. En t'offrant le château, ta dotation, etc. , qu’est-ce que tu lui aurais dit ?
Annie Cordy
Ce que je lui aurais dit ? J’aurais dit, votre château et votre argent je n’en veux pas. J’ai mon Lefebvre et je le garde. Ce n’est pas quand on a aimé un homme dans la gêne, qu’on a peiné et trimé avec lui des années, risqué sa vie à ses côtés, pleuré sa première blessure, et chanté sa première victoire, qu’on se déchire et qu’on s’arrache de lui comme ça. Mais ça nous est arrivé l’un à l’autre ce passé-là. Ça nous a fait un même cœur un même sang et une même chair. Oh, vous la couperiez en deux, ben que les morceaux se recolleraient d’eux-mêmes, voilà ce que je lui aurais dit à l’empereur. Et voilà ce que tu aurais dû lui dire. Si tu avais seulement eu un peu de cœur.
Roger Pierre
Eh ben, justement comme j’ai un peu de cœur, c’est ce que je lui ai dit.
Annie Cordy
Et allez donc, méchant homme, qui fait peur à sa Catherine.
Roger Pierre
Bécasse, tu peux croire que j’aurais dit autre chose.
Annie Cordy
Ah, tu lui as dit ça.
Roger Pierre
Oui.
Annie Cordy
Oh, ce que tu as donc bien fait. Et alors, tu es un amour, racontes, et alors.
Roger Pierre
Alors, pas content le patron, tu penses.
Annie Cordy
Oh ben, je le crois bien.
Roger Pierre
Alors comme il insistait pour que je te conte la chose,
Annie Cordy
Oui.
Roger Pierre
« Ma foi, sire, Votre Majesté voudra bien m'en dispenser : Catherine m'arracherait les yeux. »
Annie Cordy
Ah ben ça, j’y pensais.
Roger Pierre
Alors à quoi il a répliqué, dans ce cas, c’est moi qui lui parlerais à Catherine, dès ce soir. Et elle ne m’arrachera pas les yeux à moi.
Annie Cordy
Oh, ben ça, ce n’est pas sûr. Et allez, dis-le donc que tu l’aimes ta sans gêne ou je t’étrangle.
Roger Pierre
Oui oui.
Annie Cordy
Dis-le que tu l’aimes comme la voilà comme ses mauvaises manières.
Roger Pierre
Ça pour ça.
Annie Cordy
Et en corset et en jupon.
Roger Pierre
Même sans.
Annie Cordy
Allez assez. Et je te pardonne. Oh, je t’en ficherais moi des princesses tiens.