L'Annonce faite à Marie de Paul Claudel, mise en scène de Julien Bertheau

17 février 1955
01m 59s
Réf. 00453

Notice

Résumé :

En 1955, Julien Bertheau met en scène L'Annonce faite à Marie, de Paul Claudel. C'est l'entrée de la pièce au répertoire de la Comédie-Française. Extrait des répétitions du spectacle.

Date de diffusion :
17 février 1955
Source :

Éclairage

Publiée en 1912, L'Annonce faite à Marie est en réalité la refonte de La jeune fille Violaine, un drame antérieur dont la première version remonte à 1892. Dans cette pièce en quatre actes et un prologue, Paul Claudel renoue avec le genre médiéval et renaissant du mystère : ce type de spectacle se déroulait devant une ville entière, sur plusieurs jours voire plusieurs semaines, et participait à l'enseignement du peuple en lui présentant, sous forme de divertissement, des épisodes de l'Ancien et du Nouveau Testament. Les thèmes et les personnages privilégiés en étaient la passion de Jésus-Christ, et la Vierge. Or c'est bien le mystère de la conception de l'Esprit que Claudel expose à travers le personnage de la pure jeune fille Violaine. Violaine est promise en mariage à Jacques Hury par son père, qui part pour la Croisade. Mais Pierre de Craon, bâtisseur de cathédrales qui a jadis désiré Violaine, s'apprête à partir et vient dire adieu à la jeune vierge. Apprenant qu'il est atteint de la lèpre, celle-ci par compassion l'embrasse sur la bouche. Mara, la sœur de Violaine et son revers dans la noirceur, la dénonce auprès de Jacques Hury qui l'abandonne et épouse Mara. Violaine choisit alors de se taire et entame le calvaire qui la conduit à la sainteté. Après huit ans passés dans une grotte où la lèpre l'a rendue aveugle, Violaine reçoit la visite de Mara, qui a accouché d'un enfant, la petite Aubaine. L'extrait montré est tiré de cette scène 2 de l'acte III, au cours de laquelle Mara vient supplier Violaine de rendre la vie à sa petite fille. Dans la nuit de Noël, serrée contre le sein de Violaine, l'enfant ressuscite. Mais Mara ira jusqu'au bout de sa damnation, en taisant le miracle à son mari et en tuant sa sœur. Au moment de mourir, Violaine révèlera alors à Jacques son innocence, tandis que le père revenu de la Croisade expliquera le sens de la sagesse divine.

Avec L'Annonce faite à Marie, Claudel revient sur le premier mystère chrétien, l'annonciation de l'ange à Marie, à partir duquel se conçoit celui de la rédemption. En effet, de même que Marie a enfanté par l'Esprit, de même Violaine ressuscite la chair par l'Esprit. Le drame montre ainsi qu'il n'y a pas négation de la chair par le spirituel mais au contraire union de l'une et de l'autre. Mais cette problématique théologique des plus ardues se trouve admirablement incarnée par le face-à-face de Mara et de Violaine, d'une haute intensité dramatique. L'opposition, à travers les deux femmes, du mal et de la sainteté, de la chair et de l'esprit, de la damnation et du sacrifice, est figurée d'une manière puissante qui met en tension réalisme et symbolisme, et rappelle l'esthétique allégorique des moralités du XVe siècle. La pièce conjugue ainsi force dramatique et densité poétique, et a souvent été considérée comme le chef-d'œuvre de Claudel.

On comprend ainsi qu'elle ait séduit les grands metteurs en scène. La création de L'Annonce faite à Marie a lieu en décembre 1912 par la troupe du Théâtre de l'Œuvre, dans une mise en scène de Lugné-Poe qui joue le rôle du père, aux côtés de Louise Lara (Violaine) et de Marcelle Frappa (Mara). Avec Firmin Gémier, Gaston Baty monte à nouveau la pièce en 1921, à la Comédie Montaigne, puis Louis Jouvet en 1942 au Théâtre de l'Athénée. Il interprétait le père, et Madeleine Ozeray Violaine, dans des décors de Christian Bérard. En 1955, Julien Bertheau, grand acteur engagé en 1936 à la Comédie Française, après avoir étudié auprès de Charles Dullin et joué chez Jouvet, fait entrer la pièce au répertoire du Français, en y distribuant, outre les comédiennes que l'on voit sur le documentaire, André Falcon (Hury), Paul-Émile Deiber (Craon), Jean Yonnel Paul (Anne Vercors). Claudel, qui a suivi d'un bout à l'autre les répétitions de la pièce, donnant force conseils aux comédiens concernant les costumes, le rythme, la diction, décède quelques jours après la générale.

Marion Chénetier-Alev

Transcription

Journaliste
Non, non ! Non, tu ne me donneras point le change avec tes paroles de béguine. Non, je ne me laisserai point t’apaiser. Ce lait qui me cuit au sein, il crie vers Dieu comme le sang d’Abel. Est-ce que j’ai 50 enfants à m’arracher du corps ? Est-ce que j’ai 50 âmes à m’arracher de la mienne ? Est-ce que tu sais ce c’est que de se déchirer en deux et de mettre dehors ce petit être qui crie ? Et la sage-femme m’a dit que je ne n’enfanterai plus. Et quand j’aurai 100 enfants, ça ne serait pas ma petite Aubaine !
Denise Noël
Accepte, soumets-toi
Eliane Bertrand
Violaine, tu le sais, j’ai la tête dure. Je suis celle qui ne se rend pas et qui n’accepte rien.
Denise Noël
Pauvre sœur !
Eliane Bertrand
Violaine, c’est si doux ces petits et ça fait si mal cette cruelle petite bouche quand elle vous mord dedans.
Denise Noël
Comme son petit visage est froid.
Eliane Bertrand
Il ne sait rien encore.
Denise Noël
Il n’était pas à la maison ?
Eliane Bertrand
Il est à Reims pour vendre son blé. Elle est morte tout d’un coup en deux heures.
Denise Noël
À qui ressemblait-elle?
Eliane Bertrand
A lui, Violaine. Elle n’est pas de moi seulement, elle est de lui aussi. Ses yeux seulement sont les miens.
Denise Noël
Pauvre Jacquin !
Eliane Bertrand
Ce n’est pas pour t’entendre dire pauvre Jacquin que je suis venue ici.
Denise Noël
Que veux-tu donc de moi ?
Eliane Bertrand
Violaine, veux-tu voir cela, dis ? Sais-tu ce que c’est qu’une âme qui se damne de sa propre volonté pour les temps éternels ? Sais-tu ce qu’on a dans le cœur quand on blasphème pour de bon ? J’ai un diable penadnt que je courrais qui me chantait une petite chanson. Veux-tu entendre ces choses qu’il m’a apprises ?
Denise Noël
Ne dis pas ces choses affreuses !
Eliane Bertrand
Alors rends mon enfant que je t’ai donné !
Denise Noël
Tu ne m’as donné qu’un cadavre !
Eliane Bertrand
Et toi, rends-le-moi vivant !
Denise Noël
[Mara, qu’oses-tu dire ?
Eliane Bertrand
Je n’accepte pas que mon enfant soit mort !
Denise Noël
Est-ce qu’il est en mon pouvoir de ressusciter les morts ?