Six personnages en quête d'auteur de Luigi Pirandello, mise en scène d'Anatoli Vassiliev

28 juillet 1988
12m 57s
Réf. 00462

Notice

Résumé :

En 1988, Anatoli Vassiliev présente Six personnages en quête d'auteur, de Luigi Pirandello, au Festival d'Avignon. Extraits du spectacle et interview d'Anatoli Vassiliev. Antoine Vitez expose comment Vassiliev conçoit son activité théâtrale, puis mentionne la création d'un festival de théâtre en Russie, à l'image de celui d'Avignon.

Date de diffusion :
28 juillet 1988
Source :
FR3 (Collection: Avignon )

Éclairage

Ce document permet de découvrir, plus que la pièce de Pirandello, le travail du metteur en scène russe, Anatoli Vassiliev. En effet, lorsqu'il vient en 1988 présenter Six personnages en quête d'auteur au Festival d'Avignon, la France ne connaît pas encore cet artiste, qui va se révéler au cours des décennies suivantes un des hommes de théâtre les plus importants et les plus novateurs de la période contemporaine. Il est actuellement considéré comme le plus grand metteur en scène russe.

Né en 1942, Anatoli Vassiliev commence ses études au GITIS (Conservatoire d'art dramatique Lounatcharski de Moscou) en 1968, auprès d'anciens élèves de Stanislavski, Andreï Popov et Maria Knebel qui lui enseigne les méthodes d' « analyse active » issues des dernières recherches de Stanislavski. Dès 1973, il signe son premier spectacle au Théâtre d'Art de Moscou, Solo pour une horloge à carillons de O. Zagradnik, où, comme il l'indique dans l'extrait, il dirige les comédiens âgés qui avaient travaillé avec Stanislavski. Il crée ensuite deux autres spectacles, à partir des œuvres de Gorki et de Slavkine, qui remportent un très vif succès et lui valent d'être invité par Youri Lioubimov au Théâtre de la Taganka. La mise en scène du Cerceau de Slavkine qu'il y présente fait date et lui permet d'obtenir enfin une salle, baptisée « École d'art dramatique ». C'est là qu'a lieu en février 1987 la création de Six personnages en quête d'auteur, qui fait le tour du monde et apporte une reconnaissance internationale à Vassiliev. Il monte ensuite Ce soir on improvise en 1990 du même Pirandello, ses autres auteurs de prédilection étant Pouchkine et Tchekhov. Désormais les spectacles se succèdent, présentés à l'étranger, et confirment la singularité et la pertinence de la démarche de Vassiliev, inséparable de son activité de pédagogue.

Car, conscient de la crise qui saisit le théâtre en Russie après l'épuisement du modèle stanislavskien, faute de recherches nouvelles, Vassiliev est en quête d'un nouveau théâtre, ce qui implique de redéfinir un processus de création pour l'acteur. S'inspirant à la fois des travaux de Meyerhold, Vakhtangov et Mikhaïl Tchekhov, mais aussi des dialogues platoniciens, Vassiliev veut substituer à l'ancien système psychologique le système ludique, et passer d'un théâtre narratif à un théâtre conceptuel où l'acteur représenterait émotionnellement l'idée elle-même. Il conçoit ainsi son école comme un laboratoire, où l'acteur, délivré de l'inquiétude du résultat, est surtout invité à tenter des expériences sur la voix et le corps, à partir d'un entraînement verbal et physique pratiqué quotidiennement. Vassiliev s'intéresse plus particulièrement à l'art vocal, en étudiant la façon dont les idées peuvent se manifester à travers le verbe. Il travaille avec les comédiens le lancer du son, la diction, l'intonation, et notamment la technique de projection du verbe qui empêche le jeu de devenir illustratif. Il a ainsi inventé une manière absolument nouvelle de prononcer les syllabes, qui confère au jeu une extraordinaire vitalité, et au texte une résonance inédite. Le jeu du comédien est par ailleurs basé sur la disjonction entre les mouvements physiques, psychologiques et verbaux.

La théorie et les méthodes de Vassiliev commencent à être diffusées en France : il a collaboré plusieurs fois avec l'Académie Expérimentale des Théâtres et a été nommé responsable pédagogique du « Département de formation et de recherche à la mise en scène » de l'ENSATT en 2004. La comédienne Valérie Dréville, qui a fait sa connaissance en 1992 et s'est rendue plusieurs fois en Russie, contribue aussi à développer son enseignement en France. Les spectacles que Vassiliev a montés avec elle comptent parmi les plus remarquables créations théâtrales de ces dernières années (on retiendra Le Bal masqué de Lermontov, 1992 ; Amphitryon de Molière, 1997 ; Médée-Matériau de Heiner Müller, 2002 ; Thérèse Philosophe, 2007).

Marion Chénetier-Alev

Transcription

(Musique)
Comédien
Bonsoir, je m’appelle Thomas. Je suis né dans une petite ville près de la mer. Nous y vivions avec ma mère, mon père, mon frère Pasqual et moi-même Thomas. Il y a six mois, ma mère est morte et nous avons décidé mon frère et moi d’aller vivre à la ville. Je suis machino dans un théâtre, j’aime beaucoup mon travail. Lorsque je pense à ma vie passée que je ne pourrai plus jamais revivre, ce temps où tout pouvait encore changer, alors je deviens triste. Et je revois ma fenêtre geler et moi petit Thomas, collé à la fenêtre. J’ai froid. Ma mère me dit, qu’est-ce que tu as Thomas ? Et je lui réponds, tu sais maman, je suis si triste. Lorsque je suis arrivé ici en ville, tout a changé, la vie est si différente. Et le théâtre vous savez, le théâtre c’est une vie en soi, avec ses lois propres, inexplicables. Je me demande souvent, tenez, un comédien par exemple, on prend une pièce, un texte écrit, il l’apprend par cœur et le metteur en scène montre comment il faut le jouer, les entrées, les sorties. Le public arrive, il paye et regarde ce qui se passe sur scène, il rit, il pleure. Bref, ils croient ce qui se passe ici. Pourtant ils comprennent parfaitement qu'ils sont là pour voir des mensonges, c’est un mensonge, une illusion.
Anatoli Vassiliev
Et mon premier spectacle comme professionnel je l’ai fait avec tous les vieillards du théâtre d’art de Stanislavski. Et donc, mon premier spectacle je l’ai fait dans les murs même du théâtre de Stanislavski qui est le théâtre d’art de Moscou et mon plus jeune comédien avait 71 ans. Et c’étaient les leaders du théâtre d’art à l’époque. Et puis, il faut dire que j’ai travaillé avec les plus grands metteurs en scène de Moscou qui sont Efremov, Lioubimov, Efros, Zakharov. Et ils m’ont beaucoup apporté, en particulier Efremov, Lioubimov et Efros. Et eux aussi sont des enfants peut-on dire du théâtre d’art de Stanislavski. Mais il faut dire que dans les dernières années, je parle des années 70, on a découvert au sein du théâtre soviétique une crise. Et donc, je me suis trouvé comme ça à tracer des ponts, à construire des ponts entre le théâtre moderne et le théâtre d’avant la révolution et j’ai particulièrement travaillé des théoriciens de théâtre comme Mikhaïl Tchekhov, Vartanghov, Meyerhold. Pourquoi c’est en pleine conscience que je travaille en art ? Je travaille spécifiquement, je ne sais pas quelle est la qualité du résultat mais ce que je peux dire c’est que je travaille en pleine conscience.
Antoine Vitez
Si vous voulez, l’axe de sa recherche, c’est l’école, c’est le travail de l’acteur et c’est l’école. C’est ça, alors c’est exactement comme ça qu’il tient à se présenter là bas à Moscou. Et évidemment, c’est ça qui est très productif, parce que là, ça apparaît comme un lieu d’expérience sur le jeu de l’acteur. Et bizarrement, vous constatez que, de quelque côté qu’on prenne, par quelques fils que l’on tire dans la chose théâtrale, si on tire le fil du jeu de l’acteur, on tire sur beaucoup de choses, on entraîne beaucoup de choses à la fois. Parce qu’en tirant sur le fil du jeu de l’acteur, on tire aussi sur toutes les conventions liées au jeu de l’acteur, et toutes les conventions habituelles du théâtre, tous les clichés. Par exemple on conteste en tirant sur ce fil, on conteste le jeu stéréotypé des grandes institutions, on conteste le jeu stéréotypé des, par exemple, de la télévision. Enfin, du feuilleton de télévision, du spectacle télévisé etc. Donc, en tirant sur ce fil, il met en cause énormément d’autres choses. Et je crois que c’est ça exactement ; enfin, si on veut parler de Vassiliev c’est ça. Mais pour parler des russes, je voudrais vous dire quelque chose à propos du Festival d’Avignon. Je parlais il y a deux jours avec les amis russes qui sont ici, et nous avions trouvé ensemble une définition du Festival d’Avignon qui leur a beaucoup plu. Le Festival d’Avignon, leur est apparu comme un parlement du théâtre. Et ça leur a beaucoup plu cette notion de parlement du théâtre ; je crois d’ailleurs qu’ils ont noté soigneusement cette idée, et ils vont l’écrire ; en demandant qu’on en fasse un à l’échelle de l’union soviétique, en Union soviétique de préférence dans une zone méridionale, en Crimée, ce serait magnifique en Crimée.
Comédien
Vous considérez notre profession comme un métier de fou ? Bien sûr ! Voyez vous-même, faire paraître vrai ce qui ne l’est pas, sans besoin réel, pour jouer. Je vous prie mon cher de vous mettre dans la tête que le métier de comédien est des plus nobles qui soit ! Le fait que les auteurs actuels nous écrivent des textes idiots où l’on voit des épouvantails à la place des personnages humains ne veut pas dire que nous ne soyons pas fiers de monter sur les planches. Nous avons pu jouer des oeuvres géniales. Bravo, vous créez des êtres bien plus vivants que ceux qui mangent, respirent, travaillent. Ces êtres là ne sont peut-être pas si réels que ça, mais ils sont vrais, nous sommes d’accord ? Non ! Permettez moi, vous m’avez dit vous-même que vous n’aviez pas de temps à perdre avec les fous, la nature se sert de la fantaisie humaine pour accomplir son oeuvre de création. Bien, et alors, rien Monsieur, démontrer que la vie prend naissance de différentes façons, et sous des formes différentes. L’arbre, l’eau, la femme et même les personnages. Vous voulez dire monsieur que vous et vos amis, vous êtes mes personnages de théâtre ? Précisément, je regrette que cela vous paraisse si drôle. Nous vous proposons un drame complexe, vous pourriez vous en assurer en regardant cette femme portant le deuil. Assez ! Taisez-vous, mettez-le dehors. Comprenez donc que nous travaillons.
Journaliste
Moi j’ai jamais vu une troupe d’acteurs français se préparer comme ça se prépare là.
Anatoli Vassiliev
Mais ce n’est qu’une simple petite partie du travail que vous voyez, il y a eu la répétition du matin et la répétition de l’après midi avant ça.
Journaliste
Tous les jours les acteurs, travaillent tous les jours le spectacle du soir ?
Anatoli Vassiliev
Oui.
Journaliste
C’est tyrannique !
Anatoli Vassiliev
Non, c’est la norme.
Journaliste
La norme. Sa norme à lui ou la norme ?
Anatoli Vassiliev
Non, c’est la norme qui doit être. Parce que la tyrannie c’est être au café, boire, boire, boire, manger, manger, manger. Ça c’est être tyrannique. Non ? Il faut qu’il pleuve, comment faire d’autre ? Ils doivent être propres, purs devant les idées. L’organisme doit être pur. Et ensuite la nature doit transmettre toutes les hésitations de l’âme. Et il faut être toujours, participer à ce processus. Qu’est-ce que c’est que cette tyrannie-là ?