Dommage qu'elle soit une putain, mise en scène de Luchino Visconti

16 avril 1961
02m 45s
Réf. 00480

Notice

Résumé :

Mettant en scène en 1961 Dommage qu'elle soit une putain, de l'auteur anglais élisabéthain John Ford, avec dans les rôles principaux Alain Delon et Romy Schneider, Luchino Visconti parle de la pièce et du théâtre élisabéthain. L'entretien est suivi d'un court extrait de la pièce avec les protagonistes, filmés sans public.

Date de diffusion :
16 avril 1961
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )

Éclairage

John Ford (1586-1640) – à ne pas confondre avec le réalisateur américain ! – est un auteur dramatique anglais, représentant du théâtre élisabéthain, théâtre aux intrigues foisonnantes, parfois violentes, loin de la bienséance dont fera montre le théâtre classique français du second XVIIe s. Créée entre 1625 et 1630, Dommage qu'elle soit une putain, qui raconte un amour incestueux malheureux entre un frère et une sœur, est un exemple parfait de cette dramaturgie où se mêlent comique et tragique, dans une multiplication d'actions et de personnages secondaires. L'intrigue principale est la suivante : Giovanni et Annabella s'aiment et consomment leur amour. Annabella tombe enceinte et est mariée à un autre pour cacher la vérité, mais Giovanni, continuant à entretenir une relation incestueuse avec sa sœur, ne supporte l'idée de la partager et sa jalousie le conduit au meurtre. Loin de cette bienséance française, où il sera défendu de montrer la mort en scène, ici cinq vont passer de vie à trépas ! Deux personnages secondaires meurent respectivement par l'épée et par le poison. Giovanni poignarde Annabella et brandit le cœur de cette dernière au bout de l'arme en révélant la vérité à leur père qui meurt de stupeur et de chagrin. Enfin, Giovanni tue le mari de sa sœur. Giovanni sera condamné à l'exil. Violences, sarcasmes, cynisme dominent de plus en plus la scène élisabéthaine après la mort de Shakespeare en 1616.

Mettant en scène en 1961 Dommage qu'elle soit une putain, de l'auteur anglais élisabéthain John Ford, avec dans les rôles principaux Alain Delon et Romy Schneider, Luchino Visconti parle de la pièce et du théâtre élisabéthain et rappelle l'importance de l'inspiration italienne (très présente aussi chez Shakespeare) et les sources latines en citant Sénèque. Il parle de la nécessité de revenir aujourd'hui (1961) aux passions exacerbées.

Metteur en scène (théâtre et opéra) et réalisateur, Luchino Visconti (1906-1976) est l'une des figures les plus importantes des arts du spectacle en Italie dans la seconde moitié du XXe siècle. Comme Giorgio Strehler, mais avec des vues esthétiques radicalement différentes, il participe au renouveau de la scène italienne au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Ses réalisations tant scéniques que cinématographiques, saisies entre deux partis pris violemment opposés (réalisme et esthétisme), sont toujours enrichies d'une réflexion profonde sur les liens entre les différents arts (théâtre, opéra, cinéma, peinture, sculpture).

On assiste ici aux toutes premières répliques de la scène des aveux (Acte I, scène 2) : Giovanni ose enfin dire son amour à sa sœur Annabella qui, dans un premier temps esquive par quelques sarcasmes, puis avoue à son tour son amour pour son frère. On voit ici la volonté du metteur en scène de rester fidèle au temps (de l'action et de l'écriture) de la pièce, dans un décor de la Renaissance, étouffant, qui symbolise la mort annoncée de cette relation et de la jeune fille.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Présentatrice
Avec son titre Dommage qu’elle soit une putain, la pièce de John Ford vous a un petit air de vaudeville qui doit être très éloigné de son caractère habituel. Du moins, c’est ce que je suppose. Monsieur Visconti, pourquoi John Ford, à votre avis, avait-il choisi ce titre ?
Luchino Visconti
Mais madame, c’est très difficile de trouver les raisons pour que … Pourquoi les élisabéthains ont donné des titres à leurs pièces ? C’est tellement loin de nous et surtout on n’a pas tellement de renseignements sur ça. Je suppose que comme très souvent ils prenaient leurs histoires dans des anciens contes italiens ou même presque dans des faits divers. Alors c’est probable que ce fait était pris dans une chronique italienne de l’époque. Le titre vient directement de la dernière réplique de la pièce. C’est une considération qu’on fait à la fin de la pièce. C’est une espèce de conclusion, de moralité, disons. Tous les titres des pièces élisabéthaines sont assez extraordinaires, si vous voulez, et au fond ne correspondent pas exactement à ce qu’est la pièce. Vous dites que ce titre à un côté un peu vaudeville. Vous avez peut-être raison, mais ça ne correspond pas du tout, justement, à ce qu’est la pièce en effet, car la pièce est une pièce, au contraire, très violente, très dure, très tragique. Comme vous savez, c’est l’histoire d’un amour un peu exceptionnel, d’un amour entre un frère et une sœur, donc d’un inceste. En ce temps-là, on ne se faisait pas beaucoup de soucis de représenter les incestes. Parce qu’on prenait les modèles au fond d’un théâtre qui avait été un théâtre très violent et très fort qui était le théâtre grec et plus tard le théâtre romain, surtout Senèque. C’est en s’inspirant de ce genre de théâtre que les élisabéthains ont créé ces pièces de grande violence et de grand excès de sentiments. Voilà, cette pièce de Ford qui est, selon moi, le chef-d’œuvre de Ford, car il en a écrit beaucoup d’autres, est une pièce qui, selon moi, peut encore aujourd’hui plaire au spectateur moderne étant donné que je crois que le moment est venu de revenir aux sentiments excessifs, aux sentiments grands, gros, importants.
Alain Delon
Viens ma sœur, donne-moi la main. Faisons quelques pas ensemble. J’espère que tu n’a pas à rougir de te promener avec moi. Il n’y a que toi et moi ici.
Romy Schneider
Que veux-tu dire ?
Alain Delon
Oh, je ne pense pas à mal, je t’assure.
Romy Schneider
A mal ?
Alain Delon
Non, vraiment pas.