Arianne Mnouchkine met en scène Richard II de Shakespeare au festival d'Avignon

11 juillet 1982
04m 11s
Réf. 00482

Notice

Résumé :

José Artur interviewe Ariane Mnouchkine qui reprend en 1982 au Festival d'Avignon avec sa troupe du Théâtre du Soleil sa mise en scène de Richard II de William Shakespeare.

Date de diffusion :
11 juillet 1982
Source :
TF1 (Collection: Pleins feux )
Fiche CNT :

Éclairage

William Shakespeare (1564-1616) est considéré comme le plus grand auteur dramatique anglais du XVIe siècle (début du XVIIe). Il est la référence absolue lorsqu'on évoque le théâtre élisabéthain. Sa capacité à user de toutes les ressources de la poésie et de la scène, son aisance dans le mélange des genres et des registres de langues, sa liberté avec l'espace et le temps font de son œuvre éclectique « une source vive » [1] : des textes théâtraux d'une très grande richesse qui ne s'épuise pas, ne cessent de questionner le théâtre et d'attirer les metteurs en scène de toutes générations et d'univers artistiques très différents.

La tragédie de Richard II fut écrite vers 1595 par Shakespeare. Elle inaugure la tétralogie des pièces historiques avec Henry IV (1ère et 2ème parties, écrites entre 1596 et 1598) et Henry V (1599). Shakespeare y reprend les thèmes de la trahison, de l'usurpation du pouvoir et de sa subversion. Richard II doit juger équitablement une affaire délicate : Henry Bolingbroke, duc de Lancastre et cousin du roi, accuse Thomas Mowbray, duc de Norfolk, de haute trahison pour l'assassinat du duc de Gloucester alors que c'est le roi lui-même qui est à l'origine du meurtre. Condamnant les deux protagonistes à l'exil, dont Norfolk à perpétuité, Richard II s'empare de l'héritage de Bolingbroke, à la mort du père de ce dernier, Jean de Gand. Il pousse ainsi son propre cousin à se soulever contre lui.

Née en 1939, Ariane Mnouchkine se consacre au théâtre dès ses études de psychologie à la Sorbonne où elle monte l'Association théâtrale des étudiants de Paris en 1959. Dès 1964, elle fonde le Théâtre du Soleil avec, entre autres, Jean-Claude Penchenat et Philippe Léotard, Roberto Moscoso et Françoise Tournafond. Conçu sous la forme d'une coopérative ouvrière, le Théâtre du Soleil, qui s'installe à la Cartoucherie de Vincennes en 1970, va fonctionner sur le mode de la création collective (1789, 1792, L'Âge d'or) avant qu'Ariane Mnouchkine ne se tourne vers les grands textes théâtraux (Shakespeare, Molières, les auteurs grecs antiques entre autres), mais sans jamais perdre de vue le lien fondamental qu'elle tisse entre le théâtre et la politique, le monde. Le théâtre est une fête, mais une fête militante. Selon Ariane Mnouchkine, Richard II est une pièce sur le rituel. Rituel du pouvoir, rituel de la royauté. Tissant toujours un lien ténu entre théâtre et politique, les choix des textes et des axes de travail ne sont jamais anodins. « ... le passé historique peut subsister dans notre présent – notre histoire dans un autre continent. [...] Si les combats de fauves féodaux de l'Angleterre de la fin d'un Moyen Age sont déchiffrés pour nous, devant nous, à la lumière d'un autre Moyen Age, l'image est ravivée, mais elle n'est ni faussée ni trahie. » [2]

Si Patrice Chéreau met en voix le texte de Shakespeare dans la modernité des corps (voir ce document), Ariane Mnouchkine, avec sa troupe, a cherché une forme qui ancre radicalement la pièce dans un ailleurs temporel afin non pas d'amener le théâtre élisabéthain à la modernité mais de trouver l'équivalent scénique de la forme ancienne qu'est le théâtre élisabéthain. Il s'agit de trouver un langage scénique qui va permettre de dire un texte écrit pour un théâtre autre – occidental, mais d'un autre temps.

Elle va pour cela puiser des techniques corporelles et des costumes dans le théâtre oriental (dont le kabuki, forme japonaise, et le kathakali, forme indienne). Ce qui attire Ariane Mnouchkine dans les théâtres orientaux, c'est la théâtralité pleinement assumée de ses formes complexes et fixées il y a des centaines d'année. Les théâtres orientaux sont radicalement éloignés de tout désir de réalisme.

L'extrait des répétitions qui nous est montré est parlant à plus d'un titre. Tout d'abord la tenue des corps est tout à fait "extraquotidienne" : les jambes écartées, le bassin en avant, le centre de gravité baissé. Le torse semble flotter sur des jambes toujours souples, toujours en mouvement. Cette posture n'est ni naturelle ni réaliste mais émane d'une codification rigoureuse du corps. A ce corps autre, semblé venu d'ailleurs, s'ajoute une déclamation très appuyée du texte, due non seulement aux impératifs de la Cour d'honneur du Palais des Papes d'Avignon (le texte doit être très projeté pour être entendu dans cet espace immense) mais aussi au fait qu'un corps si codifié, "théâtralisé" perdrait toute sa force avec une voix qui tendrait au naturel. Le rejet du réalisme est total et explicite. De même, la frontalité des acteurs est révélatrice du désir de non vraisemblance : tous alignés face au public, ils abolissent le « quatrième mur » du réalisme qui voudrait que l'on fasse "comme si le public n'était pas là". Or Ariane Mnouchkine veut au contraire qu'il soit partie prenante dans le spectacle, au moins qu'il reçoive explicitement la parole et le geste du comédien face à lui.

[1] Louis Lecoq / Catherine Treilhou-Balaudé, « Shakespeare », in Dictionnaire encyclopédique du théâtre, dirigé par Michel Corvin, Paris, Larousse, coll. « In extenso », 2000.

[2] Claude Roy, Le Théâtre du Soleil : Shakespeare 1, Double Page n°21, snep, 1982.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

José Artur
Vous êtes connue pour avoir des trouvailles. C’est le terme qu’on emploie en théâtre, vous avez rafraîchi le théâtre, vous lui avez donné un sang neuf et vous avez de ce qu’on appelle là aussi des audaces, voire des culots et entre autre dans Richard II, que vous donnez ici. Qui est un triomphe à Paris depuis un certain temps, vous avez osé mélanger le Japon archaïque avec le Moyen-âge élisabéthain, vous avez osé faire du kabuki avec la cour d’Angleterre. Alors, comment vous avez eu cette audace, cette trouvaille, comment ?
Ariane Mnouchkine
Oui, oui, si vous voulez, y a des choses qui sont pour nous des processus de travail et qui enfin, à l’arrivée d’un spectacle peuvent passer pour des trouvailles, mais en fait c’est pas des trouvailles. C’est, je crois ce ne sont pas des trouvailles. C’est un long travail sur le théâtre finalement.
José Artur
Des tâtonnements qui ?
Ariane Mnouchkine
Oui, je crois, c’est-à-dire, si vous voulez, bon, c’est vrai que nous avons toujours été, je dis nous là, parce que ça a été le travail vraiment des comédiens qui sont encore au Théâtre du Soleil et même si certains sont partis, on a toujours beaucoup travaillé sur les formes de théâtre, les grandes formes traditionnelles. Bon, il se trouve que les formes orientales sont celles qui ont, dont on a encore des témoignages, et qu’en occident, à part la tragédie antique et la Commedia Dell’Arte, y a pas de grandes formes de théâtre. Y a le réalisme à ce moment là. Y a eu des grands metteurs en scène, y a eu des, et justement, y a peut-être eu des grandes trouvailles mais des vraies formes, des vraies métaphores, une forme métaphorique de jeu par exemple de travail, y en a pas beaucoup. Alors, nous on a toujours travaillé sur le masque en particulier, il n’y a pas beaucoup de formes masquées en occident. Alors, en plus avec Richard qui est une pièce vraiment, d’abord sur le Moyen-âge en particulier, sur le rituel, sur le rituel du pouvoir,
José Artur
Des intrigues !
Ariane Mnouchkine
Sur le rituel de la royauté, enfin et cetera,
José Artur
Des trahisons !
Ariane Mnouchkine
C’est vrai que finalement, nous avions à travers en particulier le théâtre japonais mais pas seulement, y avait des, là une discipline si vous voulez de… de… une discipline et une forme qui nous permettaient de sortir complètement du réalisme, et qui, je dirais, qui imprime un peu tout à notre époque pour différentes raisons, et qui tuent des pièces comme Richard. Qui ne sont pas, qui sont écrites par un très grand poète, qui travaillent pour le théâtre, pas pour un théâtre avec un quatrième mur. Et donc, il fallait réussir à montrer cette pièce dans, dans ce, je dirai dans sa théâtralité absolue. C’est vraiment du théâtre, Richard !
(Musique)
Comédien 1
[Incompris] et vénéré Lancastre, as-tu conformément à ton serment et ton obligation, amené ici ton fils téméraire Henry Bolingbroke pour y soutenir la tapageuse et récente accusation que nous n’eûmes pas alors loisir d’entendre contre le Duc de Norfolk, Thomas Mowbray.
Comédien 2
Oui sire !
Comédien 1
Dis-moi encore, l’as-tu sondé ? Accuse-t-il le Duc, par ancienne rancune ou à juste titre, en bon sujet, sur quelques preuves solides de traîtrise.
Comédien 2
Autant que j’ai pu le pénétrer, à cause d'un danger manifeste, dont il le voit menacer votre Majesté, non par rancune acharnée.
Comédien 1
Faites-les venir alors en notre présence, face à face, et front contre front, nous-même voulons entendre l’accusateur et l’accusé parler librement.
(Bruit)
Comédien 1
Plein de morgue et de colère, tous les deux sont en rage, emportés comme le feu et sourd comme la mer !
Comédien 3
Longues années d’heureux jours, à mon miséricordieux suzerain !