La Tempête de Shakespeare mise en scène par Giorgio Strehler

18 juin 1984
27s
Réf. 00483

Notice

Résumé :

Annonce et remise des prix de la critique 1984 par le président du syndicat de la critique. L'annonce se fait sur un extrait de La Tempête, mise en scène par Giorgio Strehler, qui a reçu le prix du meilleur spectacle étranger.

Date de diffusion :
18 juin 1984
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

William Shakespeare (1564-1616) est considéré comme le plus grand auteur dramatique anglais du XVIe siècle (début du XVIIe). Il est la référence absolue lorsqu'on évoque le théâtre élisabéthain. Sa capacité à user de toutes les ressources de la poésie et de la scène, son aisance dans le mélange des genres et des registres de langues, sa liberté avec l'espace et le temps font de son œuvre éclectique « une source vive » [1] : des textes théâtraux d'une très grande richesse qui ne s'épuise pas, ne cessent de questionner le théâtre et d'attirer les metteurs en scène de toutes générations et d'univers artistiques très différents.

Créée en 1611, La Tempête est l'ultime œuvre de William Shakespeare. Elle pourrait être une tragédie de la vengeance comme Hamlet, mais elle se teinte d'un merveilleux qui concorde avec les conquêtes anglaises dans le Nouveau Monde. Prospero, ancien duc de Milan qui a été injustement chassé de sa patrie par son frère Antonio, maintenant exilé sur une île déserte avec sa fille Miranda, a des pouvoirs magiques. Il fait se déchaîner une tempête qui fait échouer tout l'équipage d'un bateau sur les rives de son île, dont le frère usurpateur. Toute cette communauté va être prise au piège d'illusions (Acte IV, scène 1 : « Nous sommes de l'étoffe dont les rêves sont faits ») d'où jaillira la vérité. Miranda passe également par cette initiation à distinguer le bien du mal et Prospero lui-même fera l'expérience de ses propres limites. Ne nous y trompons pas : ici le merveilleux a sa part de cruauté. « La Tempête est une œuvre désespérée. C'est le cri ultime devant l'échec d'un projet humain merveilleux et manqué. C'est l'interrogation ultime sur le destin de l'homme, son histoire, ses contradictions, sa poésie, et c'est donc une interrogation sur le théâtre comme parabole la plus proche qui soit, sur la vie. » [2]

Metteur en scène italien, Giorgio Strehler (1921-1997) a été l'une des figures les plus importantes du théâtre européen au XXe siècle. Créant avec Paolo Grassi le Piccolo Teatro de Milan dès 1947 qu'il dirige jusqu'à sa mort (sauf de 1968 à 1972), il s'impose comme un des plus grands metteurs en scène dit « de théâtre d'art ». Fédérant une troupe autour de lui, dans un lieu stable, créant également une école, il construit un répertoire pensé dans l'idée d'un lien intime entre le théâtre et le monde, d'un théâtre citoyen en dialogue avec son public. En fondant son répertoire sur la revisitation des classiques et la mise en valeur de la création contemporaine, il réforme en profondeur la mise en scène italienne et donne un souffle nouveau à l'art de l'acteur. Il veut ainsi, d'une part, imposer une mise en scène moderne, rigoureuse et engagée civiquement, d'autre part, redonner à l'acteur un corps (au-delà de la diction du texte) actif, actant : réincarner la parole sans pour autant tomber dans le plus strict réalisme. De 1983 à 1990, à l'Odéon et sur invitation de Jack Lang, il crée le Théâtre de l'Europe qui propose des spectacles en français et en langues étrangères. Il fonde en 1990 l'Union des théâtres de l'Europe qui se donne pour mission de participer à la création de l'Europe au niveau culturel. Le théâtre est ici considéré comme un art qui rassemble les êtres et les peuples. Il développe aussi une intense activité de mise en scène lyrique – une cinquantaine. Notons qu'en 1947, il est le premier metteur en scène de théâtre à monter un opéra (La Traviata) en Italie, au Teatro alla Scala de Milan. Si le répertoire des textes mis en scène par Giorgio Strehler est très large (plus de 200 mises en scène théâtrales), des figures récurrentes, signes de véritables affinités électives, apparaissent, dont Brecht, Shakespeare et Goldoni. Les trois représentent des conceptions particulières du lien théâtre-monde, fondamental dans la pensée du metteur en scène. Ils lui permettent également d'explorer au plus loin les ressources propres du théâtre et de la scène.

Très grand directeur d'acteur, Giorgio Strehler a également su créer avec ses collaborateurs scénographes (principalement Luciano Damiani et Ezio Frigerio) des images scéniques très fortes qui puisaient leur inventivité dans la machinerie théâtrale traditionnelle : il y a une véritable confiance nourrie pour le théâtre et ses possibles. La scène qui ouvre la pièce de Shakespeare en est un exemple frappant. Il s'agit bien, avec quelques tissus, un poteau, des cordes, cyclorama et des projecteurs de représenter une violente tempête qui se déchaîne sur un voilier et son équipage. L'articulation de ces différents éléments fait naître tout à coup sous les yeux des spectateurs des voiles, un mât, les marins affolés par la violence du vent et des éclairs. Giorgio Strehler a écrit, au début des répétitions, « Mais ici, au cœur de La Tempête, l'homme de théâtre se trouve devant l'essence ultime du théâtre. Il touche, ou croit toucher, les limites extrêmes de cet art. Dans La Tempête, coexistent l'infinie lassitude devant la vanité du théâtre et la glorification du théâtre et de la vie. Théâtre comme moyen le plus élevé de connaissance et d'histoire, mais limité, impuissant à contenir l'inconcevable mouvement de la vie. Vie, qui est théâtre, mais qui, à chaque instant, le dépasse. Il faut un grand courage, un courage désespéré pour monter La Tempête de Shakespeare de nos jours. Mais c'est peut-être un de ces gestes dont on a besoin aujourd'hui. » [2]

[1] Louis Lecoq / Catherine Treilhou-Balaudé, « Shakespeare », in Dictionnaire encyclopédique du théâtre, dirigé par Michel Corvin, Paris, Larousse, coll. « In extenso », 2000.

[2] Giorgio Strehler, Un Théâtre pour la vie, Paris, Fayard, 1980.

Anne-Laetitia Garcia

Transcription

Journaliste
La Tempête, meilleur spectacle étranger. Strehler est un spécialiste de la perfection. L’an dernier avec Brecht, cette année avec Shakespeare.
Comédien
[Italien]