Le Sacre du Printemps de Stravinski vu par Cocteau et entendu par Auric

12 mai 1965
03m 51s
Réf. 00714

Notice

Résumé :

Jean Cocteau évoque le fameux scandale de la création du Sacre du Printemps hué par le public en 1913 au Théâtre des Champs Elysées. Georges Auric évoque le triomphe, beaucoup moins connu, du Sacre du Printemps lors de sa première exécution en concert, l'année suivante au Casino de Paris, toujours sous la direction de Pierre Monteux et en présence de Stravinsky.

Date de diffusion :
12 mai 1965
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Éclairage

Jean Cocteau (1889-1963) et Georges Auric (1899-1983) sont des amis de longue date. Cocteau est l'instigateur du fameux Groupe des Six (réunissant les compositeurs Georges Auric, Louis Durey, Arthur Honegger, Darius Milhaud, Francis Poulenc et Germaine Tailleferre) dans les années 1920, et tous deux ont collaboré aux Ballets Russes, puis à l'Opéra de Paris avec Phèdre en 1950.

Jean Cocteau débute sa carrière chez Diaghilev : à dix-neuf ans, fasciné par Nijinski et la danse, il se faufile dans les coulisses du Châtelet, désireux de s'intégrer à la compagnie. On connaît la condition que lui impose Diaghilev : « Etonne-moi ».

Cocteau qui possède un don inné pour le dessin réalise de vivantes caricatures de Nijinski, Diaghilev, Stravinski, Pavlova et autres célébrités, témoignages d'une valeur inestimable. En 1911 Diaghilev lui commande deux affiches, dont celle de Karsavina (conservée dans le foyer du Théâtre du Châtelet). En 1912 il écrit l'argument du Dieu Bleu, musique de son ami Reynaldo Hann. Succès modeste, malgré la présence de Nijinski dans les splendides décors et costumes de Léon Bakst. En 1913, Cocteau présent au scandale de la création du Sacre du Printemps rédige de nombreux articles relatant l'évènement. L'année suivante il propose à Stravinski un nouveau ballet. Malheureusement la guerre fait échouer le projet.

Jean Cocteau ne provoque pas moins un scandale en pleine guerre, le 18 mai 1917 au Théâtre du Châtelet, avec Parade. Il est l'auteur de l'argument, Massine de la chorégraphie, Satie de la musique et Picasso des décors et costumes. Cocteau incite Eric Satie à truffer sa partition de bruitages, machines à écrire, sirènes etc... Le public est furieux et en sortant un spectateur lance à sa femme : « Si j'avais su que c'était si bête, j'aurais amené les enfants ! »

Jean Cocteau écrit encore pour les Ballets Russes Le Train Bleu avec Milhaud, Nijinska, Picasso, Coco Chanel et Henri Laurens en 1924. Trois ans plus tard il rédige pour le vingtième anniversaire des Saisons Russes de Diaghilev le texte de Oedipus Rex mis en musique par Stravinski. Cocteau dessine également décor et costumes, et jouera même le récitant lors de sa reprise en 1950 sous la direction de Stravinski.

Entre temps il imagine en 1946 au Théâtre des Champs Elysées son chef d'œuvre Le Jeune Homme et la Mort pour Jean Babilée, chorégraphie de Roland Petit. Enfin, pour Serge Lifar, un ami de vingt ans, il imagine le livret, les décors et costumes de Phèdre sur la musique de Georges Auric. Ballet crée à l'Opéra de Paris en 1950 et repris de nombreuses fois, notamment en septembre 2011.

Georges Auric n'en est pas à son premier essai chorégraphique : il compose pour les Ballets Russes Les Facheux, décors et costumes de Braque en 1924, et l'année suivante Les Matelots pour lancer le nouveau protégé de Diaghilev, Serge Lifar, 20 ans, à la Gaité Lyrique.

Georges Auric écrit également les musiques de trois ballets pour Balanchine : La Pastorale créé par les Ballets Russes en 1926, puis après la mort de Diaghilev La Concurrence en 1932 à Monte-Carlo, et enfin en 1978 Balanchine lui commande pour le NYCB la partition de Tricolore dont il confie la chorégraphie à Peter Martins, Jean-Pierre Bonnefous et Jerome Robbins. Ce dernier qui règle le tableau Marche de la Garde Républicaine a lui-même créé vingt ans plus tôt le ballet 3x3 sur une musique de Georges Auric.

Plus connu par ses musiques de film pour René Clair (A nous la liberté) et Jean Cocteau (L'éternel retour, Orphée, etc...) sans oublier son tube Moulin-Rouge, Georges Auric joue pourtant un rôle important dans l'histoire de la danse. Nommé directeur de l'Opéra de Paris en 1961 c'est lui qui permet à Maurice Béjart (La Damnation de Faust) et Roland Petit (Notre-Dame de Paris) de faire d'éclatants débuts au Palais Garnier, et c'est encore lui qui programme une mémorable soirée Béjart-Stravinski-Boulez, avec la création de Renard et l'entrée au répertoire de Noces et du Sacre du printemps en avril 1965.

René Sirvin

Transcription

Jean Cocteau
Sacre du printemps , avait été le scandale type, et … le scandale est venu de ce que les … les habitués du ballet russe, n’y comprenaient rien et que derrière les loges de corbeille, il y avait tous les jeunes de Montparnasse, qui en sont presque venus aux mains, avec les… les belles dames qui occupaient les loges. Je vois toujours la… la vieille comtesse de Pourtalès debout, dans sa loge de corbeille agitant son éventail plumes d’autruche et criant, depuis 60 ans, c’est la première fois qu’on ose se moquer de moi. Et euh… une autre fois j’étais entré pour euh… pendant le prélude dans une loge, derrière … derrière des dames et j’ai entendu une dame qui disait, oh ! - parce que Golschmann, le chef d’orchestre me ressemblait un peu de dos, il avait la même chevelure que moi - Et j’entendais une dame disait, oh ! Naturellement que c’est un… toujours la phrase, c’est n’importe quoi, on joue n’importe quoi. C’est Cocteau qui s’amuse à diriger l’orchestre. Voilà à peu près comment était… alors on ne trouve plus une personne qui a siffler le sacre maintenant, mais enfin, tout le monde a sifflé le Sacre.
Georges Auric
J’ai vu le sacre , hélas, pas en 1913 et pas en 1914, puisqu’on ne l’a pas rejoué en 1914. Malheureusement pour moi. Mais j’étais à ce moment là un tout jeune musicien et j’avais entendu parler de ce Sacre. J’arrivais de ma province à Paris et je me suis précipité à un concert, qui a été le premier concert où on a entendu le Sacre transporté de la scène dans une salle de concert. Le casino de Paris à cette époque, en 1914, juste avant la guerre de 14 était un endroit où on donnait, le dimanche, des concerts. Des concerts excellents, puisque c’était Monteux, admirable chef d’orchestre, c’était Monteux qui les dirigeait. Et à un des ces concert, ça devait être au mois de juin 1914, il y a eu cette audition du Sacre. C’était la première fois qu’on réentendait cette partition depuis les spectacles de Diaghilev. Et bien, je pense que cette audition au concert a été probablement aussi importante que la première représentation du sacre au théâtre. Parce que je le redis, c’était là une occasion de juger la musique en dehors de tout élément visuel, de tout élément spectaculaire et il était manifeste qu’on se trouvait devant une oeuvre admirable. Je me souviens d’avoir, moi qui avait 15 ans, d’avoir vu devant moi un garçon qui devait en avoir 20 et qui était monté sur sa chaise et qui poussait de hurlements enthousiastes, dépassant tous ceux que nous pouvons avoir aujourd’hui dans des concerts où on entendrait une oeuvre correspondant. En tout cas dans ces intentions, à ce qu’était à ce moment la le Sacre du Printemps . C’était absolu… une salle frénétique, bouleversée et qui d’ailleurs, lorsque j’y ai songé pour beaucoup d’autres raisons après, tout cela se passait avant cette guerre de 14 et il y avait dans cette espèce d’atmosphère, de fièvre, de délire de cette salle, quelque chose qui après tout, faisait présager une sorte d’orage. C’était quelque chose de très curieux. Je revois Stravinsky entouré d’admirateurs qui s’agitaient, qui poussaient des cris, qui se jetaient vers lui pour l’applaudir et Stravinsky a été pris ce jour là d’une espèce de panique. Il est parti en courant, traversant toute la salle du casino de Paris. Je revois Jean Cocteau, tout jeune à cette époque là, et qui était près de Stravinsky, qui également l’accompagnait à cette sortie de la salle du casino de Paris.