Jorge Donn et le Bolero de Béjart

02 mars 1979
02m
Réf. 00720

Notice

Résumé :

Filmé en couleurs au cours des représentations au Palais des Sports en janvier 1979, Jorge Donn danse avec fougue les deux ultimes minutes de Bolero de Maurice Béjart. Ce sont les débuts du danseur dans une version très peu donnée : celle d'un danseur masculin entouré de quarante femmes, alors que depuis sa création en 1961 l'ouvrage est dansé par une femme et quarante garçons. Six mois plus tard Donn interprète une troisième version, entouré cette fois de quarante garçons.

Date de diffusion :
02 mars 1979
Source :
TF1 (Collection: Pleins feux )
Thèmes :

Éclairage

Bolero répond à une commande de la danseuse Ida Rubinstein à Maurice Ravel. Le compositeur imagine lui-même l'argument : il pense à une andalouse qui danse sur un table dans un cabaret espagnol et enflamme les spectateurs. La sœur de Nijinski, Bronislava Nijinska en règle la chorégraphie pour la création en 1928 sur la scène de l'Opéra de Paris. Bronislava Nijinska remonte sa chorégraphie en 1954 pour le Grand Ballet du Marquis de Cuevas qui l'affiche au Théâtre de l'Empire où il est probable que Béjart ait pu la voir. Bronislava fait danser une Andalouse enveloppée dans son châle sur une grande table et sous une lampe, au centre d'une taverne espagnole. Un gitan entre, bondit sur la table et se joint à sa danse avant de repartir. D'autres garçons sautent alors sur la table pour s'approcher de la danseuse, plantent leurs poignards sur la table, et entourent la danseuse qui au bord de l'épuisement tombe dans leurs bras.

De cette chorégraphie Maurice Béjart ne retient que l'essentiel : la femme (la mélodie) sur une table, dont la danse excite les hommes (le rythme) assis puis debout autour d'elle. Il dépouille l'action de tout pittoresque folklorique. La femme est seule jusqu'au finale, en simple maillot noir et blanc sur un immense plateau rond et rouge vif. Dans la pénombre, un projecteur éclaire d'abord une main, puis un bras, et peu à peu toute la soliste dans son mouvement quasi perpétuel, bien qu'infiniment complexe selon la couleur des instruments qui se succèdent et s'ajoutent dans un formidable crescendo. Un exploit physique de vingt minutes pour l'interprète, qu'il soit homme ou femme.

La Yougoslave Duska Sifnos en est l'inoubliable créatrice au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles en janvier 1961, et cinq mois plus tard au Théâtre des Nations. En janvier 1979, lors des représentations des Ballets du XXe siècle au Palais des Sports, le chorégraphe a l'idée de confier le rôle à son danseur vedette, Jorge Donn.

Dans son ouvrage Un instant dans la vie d'autrui, Maurice Béjart explique ainsi sa décision :« Comme ce ballet ne m'apportait plus rien (j'avais l'impression d'en avoir fait le tour) je me dis : « pourquoi de pas intervertir la fille et les garçons ? ». Jorge Donn prit la succession de Duska et de Tania Bari. « Succession » n'est pas le mot : le ballet changea de sens. Quarante filles autour d'une table devenue le lieu d'un culte faisaient songer à des prêtresses. Bolero prit l'allure d'une variation sur le thème de Dionysos et les bacchantes. Je n'avais pas changé un seul mouvement de la chorégraphie conçue pour Duska Sifnios dix-huit ans auparavant ».

Si Jorge Donn s'avère exceptionnel, comme le prouve ce document où l'on peut admirer son ivresse dionysiaque et son total engagement physique et spirituel, le ballet perd en revanche de sa force et de sa sensualité. Car les femmes paraissent plus des vierges gardiennes du temple que des bacchantes dévoreuses d'homme, à la fin surtout, peu crédible quand les danseuses grimpent sur la table pour engloutir leur proie.

Six mois plus tard, Maurice Béjart trouve une troisième solution. Jorge Donn n'est plus entouré de femmes mais d'hommes. On imagine cette fois un jeune dieu, Dionysos peut-être, entouré de quarante adorateurs envoûtés par cette divinité, jusqu'à la transe finale. Il y a du sacré dans ce rituel que Jorge Donn, en maillot noir et torse nu, danse en juin 1979 au Palais Garnier avec quarante danseurs du Ballet de l'Opéra, où la première et la dernière version de Bolero sont toujours au répertoire. De nombreux artistes y ont abordé le rôle avec succès, notamment Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche.

Jorge Donn a tellement marqué Bolero de sa personnalité que Claude Lelouch l'a filmé sur l'esplanade du Palais de Chaillot pour conclure en beauté son film Les Uns les autres.

René Sirvin

Transcription

(Musique)