Pina Bausch et Nelken

13 juin 1983
01m 03s
Réf. 00869

Notice

Résumé :

En 1983, Pina Bausch présente Nelken, l'un de ses spectacles-phares. Extrait de la guirlande de danseurs, typique de la chorégraphe.

Date de diffusion :
13 juin 1983
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Éclairage

Quelle merveille que ce serpentin de femmes et d'hommes apparaissant les uns derrière les autres sur le même swing ! Quelle beauté terriblement émouvante que cette partition de gestes faussement simples qui subliment la nervosité de la vie ! Cette chaîne de danseurs, typique de l'écriture de la chorégraphe allemande Pina Bausch, est au coeur de son spectacle Nelken ("oeillets") (1982). Des œillets roses plantés sur un plateau. Un parterre de fleurs que vingt-cinq danseurs foulent.

Dans un coin, des chiens-loups. Des acrobates se jettent des cintres et effrayent les interprètes ; Nelken, dans la scénographie de Peter Pabst, est une zone conflictuelle. Les personnages s'y cognent dans des jeux de dominations cruels. Dominique Mercy, figure-vedette de la compagnie depuis ses débuts en 1973, complice de premier plan de la chorégraphe avec laquelle il élabora par exemple des pièces emblématiques comme Orphée et Eurydice (1975), se lance à la tête du public en lui demandant ce qu'il veut voir « des entrechats ? un grand manège ? ». Exécution immédiate. Autre image inoubliable : Lutz Förster traduisant en langue des signes la chanson The man I love de Gershwin. Nelken est sans aucun doute l'une des pièces les plus féroces, les plus puissantes aussi de la chorégraphe.

Les débuts des années 80 sont paradoxales et difficiles pour la chorégraphe allemande. En dépit de la mort en 1980 de son compagnon le scénographe Rolf Borzik, Pina Bausch continue plus que jamais de créer, d'imaginer, de construire son écriture. Après les spectacles liés à de grandes partitions et dans un rapport danse-musique plus traditionnel, elle affirme ses parti pris et pose les bases de la formule magique du Tanztheater. Soit, des séquences dansées ou théâtrales relativement courtes, enchaînées selon un montage-cinéma cut. Cette parade, pas loin parfois d'un cabaret contemporain, cultive l'art de la transition sur une bande-son éclectique.

Les tableaux de chaque spectacle naissent des propositions des danseurs. Selon la fameuse « méthode des questions » mise en place dès la fin des années 70 par Pina Bausch, ils répondent à sa curiosité, soit seul ou à plusieurs, soit par le geste, soit par la parole. « Sauver la forme. Se débrouiller avec les formes... S'exercer à une vie de seconde main. Juste ne rien faire de travers... Réfléchir à une phrase toute simple et la dire sans mot... pourquoi se donne-t-on tant de mal... ». Voici quelques-unes des centaines de questions posées par Pina Bausch qui a non seulement fait parler les danseurs mais leur a donné la chance d'oser être eux-mêmes sur scène [1].

Pina Bausch, de son vrai prénom Philippine, est née en 1940, à quelques kilomètres de Wuppertal, à Solingen. Ses parents tiennent un café-restaurant. Enfant, Pina Bausch aimait se réfugier sous les tables et observer les clients. Cet espace du café, de la salle de bal, deviendra son décor emblématique dans des pièces Café Müller (1978) (voir la vidéo),

Kontakthof (1978). En 1955, à 15 ans, elle intègre l'école de danse de Folkwang, à Essen, dirigée par le chorégraphe Kurt Jooss. Trois ans plus tard, elle part étudier aux Etats-Unis, sans connaître le moindre mot d'anglais. Après avoir collaboré avec différentes compagnies, elle décide de revenir en Allemagne. En 1973, elle accepte le poste de chorégraphe à l'Opéra de Wuppertal et crée un an plus tard le Tanztheater de Wuppertal. Rejetée d'abord par le public plutôt conservateur, elle choisit de mettre en scène des spectacles soutenus par des partitions musicales imparables. Kurt Weill, mais encore Gluck (Iphigénie en Tauride, Orphée et Eurydice), Stravinski (Le Sacre du Printemps, voir la vidéo), Bartok (Barbe Bleue) tout en opérant des percées du côté du répertoire de chansons populaires ou de variétés.

A la fin des années 80, Pina Bausch négocie un virage surprenant. Soutenue par une compagnie plus jeune, désireuse de donner une couleur plus optimiste à la vie, elle profite de ses tournées dans les grandes villes du monde entier, pour y inventer une nouvelle façon de travailler. En complicité avec certaines structures, elle séjourne pendant trois semaines dans une ville, y collecte avec ses danseurs des matériaux de travail, qui se retrouveront au cœur du spectacle. Une quinzaine de pièces verront le jour. Palermo Palermo (1989) a été conçue à Palerme, Le Laveur de vitres (1997) à Hong Kong, Wiesenland (2000) Budapest (voir la vidéo)... C'est encore et toujours l'ami Peter Pabst qui en signe les scénographies sublimant chaque lieu à travers la vision qu'en a conservée Pina Bausch. Lors d'une exposition consacrée à l'œuvre de Pina Bausch à travers ses décors, Peter Pabst a recréé dans un parcours sensible d'installations inédites les atmosphères et les matières favorites de Pina Bausch : champ d'œillets, chambre au plancher couvert d'eau, espace piqué de bouleaux... Une déambulation qui revisite les élans de Pina Bausch pour en extraire une saveur ludique et particulière à chacun.

[1] à lire dans Pina Bausch par Raimund Hoghe, éditions de l'Arche.

Rosita Boisseau

Transcription

(Musique)