Mathilde Monnier au travail

18 avril 2001
26m 09s
Réf. 00885

Notice

Résumé :

La chorégraphe Mathilde Monnier confie au journaliste Philippe Lefait, dans le cadre de son émission Les mots de minuit, quelques-uns des grands axes de son travail. Ces commentaires sont illustrés par des extraits de différentes pièces dont Signé, Signés, Pour Antigone. Des images de Merce Cunningham soulignent aussi le trajet de cette figure forte de la danse contemporaine.

Date de diffusion :
18 avril 2001
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Éclairage

Au micro de Philippe Lefait, Mathilde Monnier livre des réflexions sur le travail du danseur, son rapport au maître américain Merce Cunningham. Directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier depuis 1993, Mathilde Monnier (née en 1959) a suivi l'enseignement de la danseuse américaine Viola Farber, interprète de Cunningham, au Centre national de danse contemporaine d'Angers. En 1983, elle collabore avec François Verret, Alain Rigout. Mais c'est avec Jean-François Duroure qu'elle commence à faire parler d'elle. Ensemble, ils conçoivent Pudique Acide/Extasis à New-York, en 1984. De retour en France, ils font un tabac. Leur route se sépare après le spectacle Mort de rire (1987). Seule désormais, Mathilde Monnier impose son style et son écriture, son tempérament aussi de défricheuse. Avec des spectacles comme Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt (1998), A la Renverse (1989), Face Nord (1991), elle transforme le plateau en zone conflictuelle que sa danse offensive aux angles nets attaque et découpe.

En 1993, elle part au Burkina-Faso y découvrir les danses traditionnelles africaines. Elle y rencontre Salia Sanou et Seydou Boro qui interpréteront Pour Antigone. Trois ans plus tard, elle travaille, au gré d'ateliers menés en hôpital psychiatrique, avec une jeune femme autiste, Marie-France, et met en scène dans la foulée le spectacle L'Atelier en pièces. Toujours férue d'échanges et d'expériences, elle collabore avec l'écrivain Christine Angot pour Arrêtez, Arrêtons, Arrête (1997), puis interprète avec elle en duo La place du singe ( 2005), entre texte et danse. Avec le philosophe Jean-Luc Nancy, elle croise le fer pour Allitérations (2002). Sur un mode plus ludique, elle accompagne le chanteur Philippe Katerine pour un show pop et décalé intitulé 2008 Vallée, présenté au festival d'Avignon en 2008. Avec la chorégraphe espagnole Maria Ribot, elle dissèque sa veine comique dans un pas de deux burlesque intitulé Gustavia (2008). C'est le plasticien Dominique Figarella qui souffle une énorme sculpture de mousse sur le plateau de Soapéra (2010).

Du Centre chorégraphique national de Montpellier, où elle a remplacé Dominique Bagouet en 1994, Mathilde Monnier a fait un carrefour de rencontres et de réflexions. Parmi ses actions d'éclats, Potlatch, dérives (2000) rassemblait dans l'enceinte du CCN des dizaines d'artistes, chorégraphes, penseurs, sur le thème du don et de la dette, de l'échange des savoirs. Parallèlement à son travail personnel, elle a mis en place depuis 1998 un outil de formation pour les jeunes artistes intitulé ex.e.r.ce qui prépare en deux ans à un "master études chorégraphiques".

En 2011, elle décide pour la première fois de recréer son premier spectacle chorégraphié et dansé avec Jean-François Duroure Pudique acide/Extasis (1984). Succès immédiat dans un contexte où les œuvres des années 80 reprennent du poil de la bête et suscitent l'adhésion des programmateurs et du public. Pour la première fois, elle accepte de se retourner sur son passé et son œuvre et d'en transmettre quelques-uns des secrets à deux interprètes. Mathilde Monnier a chorégraphié une vingtaine de pièces. En 2004, la réalisatrice Claire Denis lui a consacré un film, Vers Mathilde.

Rosita Boisseau

Transcription

Philippe Lefait
Ma première question, est-ce que vous travaillez toujours autant ?
Mathilde Monnier
C’est une réputation, c’est ça ?
Philippe Lefait
Oui, vous avez la réputation de travailler des heures et des heures et des heures.
Mathilde Monnier
Ah bon ? Écoutez, je ne sais pas. C’est vrai que la danse, c’est un métier où on nous apprend à travailler tout le temps et on est formés à ça. Et donc, sans doute que j’ai perpétué effectivement ce rapport au travail un peu névrotique peut-être même, carrément.
Philippe Lefait
Vous allez jusque là, c’est névrotique.
Mathilde Monnier
C’est-à-dire, on a été, c’est une telle discipline la danse, c’est une telle discipline, c’est vrai que maintenant ça me pèse. Ça me pèse un petit peu, c’est une telle discipline et d’ailleurs, le dernier spectacle évoque ce rapport à la discipline tellement contraignant où les corps sont... on est tellement pris dans une contrainte, dans une sorte d’éducation presque disciplinaire. Et qu’effectivement on sait plus faire autre chose.
Philippe Lefait
Ça frôle l’obsessionnel ?
Mathilde Monnier
Ah oui, tout à fait !
Philippe Lefait
Et est-ce que c’est vrai pour tous les chorégraphes ou est-ce que c’est une disposition d’esprit particulière qui fait que vous êtes obsessionnelle sur le travail ?
Mathilde Monnier
Obsessionnelle de toute façon, hein ! Mais alors oui, je crois que beaucoup de chorégraphes sont un peu comme moi. On travaille énormément, on est obligés. On travaille tous les jours et puis après, quand on ne travaille plus, on est complètement désespérés parce que c’est un peu comme une drogue aussi, le travail.
Philippe Lefait
Alors vous êtes depuis 95 à la tête du Centre Chorégraphique de Montpellier, où vous avez succédé à Bagouet. Est-ce que vous êtes une femme de direction ?
Mathilde Monnier
Je ne sais pas mais il se trouve que, enfin moi, j’ai toujours pensé que dans le métier artistique, les rapports doivent être différents. C’est-à-dire qu’il ne faut pas diriger un lieu comme le Centre Chorégraphique comme une entreprise. Donc, sans cesse et tout le temps, j’essaie d’inventer un autre mode de fonctionnement.
Philippe Lefait
Alors, on en parlera tout à l’heure puisque vous avez fait exploser vos manières de travailler jusqu’à présent. Vous avez décidé d’aller explorer un autre management d’une certaine manière. Revenons au spectacle qui est d’actualité qui est Signé, signés , pourquoi ce singulier, pourquoi ce pluriel, Signé, signés ?
Mathilde Monnier
Donc, c’est deux pièces hein, qui ont le même titre apparemment, la première donc, est une sorte d’hommage à Merce Cunningham, chorégraphe américain, avec qui j’ai travaillé, en tout cas dans lequel j’ai été dans une grande proximité. Donc, c’est un peu mon histoire personnelle, et le rapport que j’ai eu avec cette technique, avec cette œuvre. Et puis, dans un deuxième temps, Signés au pluriel, c’est l’histoire un peu du danseur et donc des danseurs qui sont dans la compagnie.
Philippe Lefait
On va décortiquer ce spectacle dans une seconde, mais avant, je voudrais qu’on jette un œil sur votre parcours et qu’on évoque le travail que vous avez fait ces dernières années. Regardez quelques extraits de vos mises en scène.
(Musique)
(Bruit)
Intervenant
Soyons un peu plus léger.
(Musique)
Philippe Lefait
4 spectacles, je vais évoquer 4 particularités de chacun d’eux. Chinoiseries , c’était en 91 avec le clarinettiste Louis Sclavis, Antigone en 93 c’était une mise en scène au retour de l’Afrique, donc il y avait une volonté de mélanger et de conjuguer. Arrêtez, arrêtons, arrête de 1997 sur des textes de Christine Angot, qui se trouve habiter Montpellier aussi, avec laquelle vous…
Mathilde Monnier
Plus maintenant !
Philippe Lefait
Vous aviez une proximité à l’époque.
Mathilde Monnier
A l’époque, tout à fait !
Philippe Lefait
Et Les lieux de là , 1998, l’individu dans la communauté humaine. C’était aussi une manière de faire fonctionner l’individu dans la communauté, alors que vous êtes plutôt extrêmement individualiste, philosophiquement, dans la manière dont vous travaillez. Avec notamment, sur Les lieux de là , le musicien, Heiner Goebbels. Alors, la musique, le texte, et on va voir dans Signé, signés que tout ceci se mélange puisqu’il y a des vidéastes, il y a un DJ, et cetera. Est-ce qu’il y a toujours et de plus en plus cette volonté d’explorer ces différentes palettes artistiques ?
Mathilde Monnier
Il y a surtout des collaborations et des rencontres. Et moi, c’est ça qui m’intéresse aussi dans ce milieu, et c’est ce que la danse contemporaine permet. Peut-être alors plus que d’autres arts, donc on est vraiment en contact direct et moi, mon partenaire privilégié c’est toujours la musique. C’est vrai que ce soit d’ailleurs avec beaucoup de musiciens de jazz, Louis Sclavis bien sûr, Henri Texier, Portal, et puis Heiner Goebbels et c’est maintenant ErikM. Je veux dire que c’est vrai qu’on est frères et sœurs et que c’est un rapport qui est extrêmement enrichissant.
Philippe Lefait
C’est une évidence. C’est une évidence pour vous.
Mathilde Monnier
Oui c’est une évidence et je crois que c’est extrêmement important, parce que c’est comme une béquille sur laquelle on se repose. Et pour moi, les rapports avec la musique sont extrêmement jouissifs, très importants en tout cas dans les spectacles. Et puis après, c’est toujours d’autres rencontres qui sortent souvent du terrain de la danse pure. Et c’est ça que moi, j’ai aimé dans la danse contemporaine, c’est que ça m’a permis d’aller visiter d’autres champs à partir de la danse. Puisque finalement…
Philippe Lefait
Systématiquement.
Mathilde Monnier
Quasiment systématiquement. C’est ce rapport très hybride un peu que la danse a avec les autres arts ou avec les autres champs, avec la littérature pourquoi pas ?
Philippe Lefait
Vous disiez dans une interview récente, mon corps s’est construit avec Merce Cunningham et s’est déconstruit par la suite, c’est un corps plein de couches souterraines. Merce Cunningham, c’est votre père, c’est l’origine ?
Mathilde Monnier
Alors on a dit beaucoup que c’était mon père. C’est vrai que c’est une paternité très forte comme toutes les paternités, c’est-à-dire qu’à fois elle est très présente et en même temps, il faut la détruire pour pouvoir exister.
Philippe Lefait
Donc, c’est contre ?
Mathilde Monnier
C’est contre, oui, bien sûr, c’est contre. C’est contre pour exister et en même temps, au fil des années, ça a été quelque chose qui s’est construit, déconstruit, ça a été toujours un repère. Repère, un autre père mais toujours là.
Philippe Lefait
Vous êtes aussi dans les explorations psychanalytiques ?
Mathilde Monnier
Un petit peu, parce que forcément dans le rapport que j’ai eu en tout cas avec l’hôpital psychiatrique pendant les 5 ans que j’ai passé avec cette jeune autiste Marie-France, forcément j’ai exploré aussi ce lieu mais bien sûr, toujours à travers la danse.
Philippe Lefait
On va arriver à Signé, signés mais avant, on va essayer de voir comment cette paternité a fonctionné dans l’adhésion ou dans le rejet. Je vous propose de regarder Merce Cunningham.
Merce Cunningham
Mes talents de dessinateur sont minimes. Je suis incapable de tracer un trait, je dessine donc des plantes et des animaux. Ce qui m’a probablement attiré, au départ, c’est que les mouvements des animaux et des oiseaux sont si beaux à regarder. On ne peut pas se déplacer comme les animaux, on peut essayer de les imiter mais ils ne se déplacent pas comme nous. Quand on apprécie le mouvement sous toutes ses formes, ce qui est mon cas, c’est un tout. Regarder quelqu’un, que ce soit un danseur, un animal ou un oiseau, pour moi c’est une partie essentielle de mon expérience.
(Bruit)
Merce Cunningham
L’étude du mouvement dans le cadre de la danse me parait aussi fascinante aujourd’hui qu’à mes débuts. Peut-être même plus mais certainement pas moins.
Philippe Lefait
Merce Cunningham donc, c’est extrait d’un film qui s’appelle Une vie de danse , c’est un film de Charles Atlas. On remercie ici l’Ina qui nous a permis d’utiliser gracieusement cet extrait. C’est vrai aussi pour vous, cette découverte permanente et de plus en plus ?
Mathilde Monnier
De Cunningham, oui, toujours enfin, c’est-à-dire que c’est quelqu’un…
Philippe Lefait
Mais comme chorégraphe, je veux dire, plus vous avancez plus vous découvrez.
Mathilde Monnier
Ah, oui, justement, plus on descend dans la recherche, plus on découvre d’autres possibilités, plus on se spécifie et du coup plus c’est intéressant.
Philippe Lefait
Alors, Merce Cunningham, Signé , alors c’est un hommage, c’est un point, c’est une manière de se retourner. Pourquoi est-ce que vous avez éprouvé le besoin d’aller chercher Merce Cunningham à un moment important de votre carrière ? C’est lui rendre hommage ?
Mathilde Monnier
Ce n’est pas un hommage, parce que je crois qu’un hommage c’est d’abord, Merce est encore très vivant, et ça se voit bien à travers ses nouvelles œuvres. Mais c’est une sorte de dédicace, et puis moi je dis que c’est un poème chorégraphique, avec des citations quand même très précises. Là, on voit bien dans la vidéo, un moment de Beach Bird , où il y a cette forme où ils se tiennent tous la main, donc qui est une forme chorégraphique très spécifique qui appartient bien à l’univers de Merce, que je cite quasiment textuellement dans la pièce.
Philippe Lefait
On va le voir, alors vous dites, c’est une forme de poème visuel qui procèdera par libre association de mouvements, d’actions et de sons. Une chorégraphie née sous X d’une paternité perdue retrouvée, reperdue.
Mathilde Monnier
Oui, c’est la notion d’auteur. C’est-à-dire que à partir du moment où on travaille sur le travail de quelqu’un d’autre, où est l’auteur ? Et donc, j’ai voulu jouer avec ce jeu de mot de signé , et en même temps qui fait signe. C’est-à-dire que c’est une production de signe sur le travail de Merce Cunningham.
Philippe Lefait
Ce que ça donne chez vous.
(Musique)
Philippe Lefait
On vous a vu brièvement,
Mathilde Monnier
Oui.
Philippe Lefait
Donc vous vous mettez en scène. On voit comment fonctionne l’héritage, même s’il est revisité, retravaillé, re-digéré, avec peut-être pour la première fois de manière aussi importante, ce mélange. On a des oiseaux sur scène, de vrais oiseaux qui sont, qu’on entend pendant que le spectacle a lieu. Il y a un vidéaste, il y a un DJ qui est sur scène,
Mathilde Monnier
Qui mixe les oiseaux.
Philippe Lefait
Qui mixe les oiseaux. C’est la première fois que vous allez si loin dans le mélange, dans cette volonté de mélanger, non ?
Mathilde Monnier
Oui, parce qu’en plus, on a vraiment travaillé dès le premier jour tous ensemble. Donc ça n’a pas été la musique après comme c’est souvent, où l’image après. Dès le premier jour, il y a eu un travail qui s’est fait vraiment l’un au dessus de l’autre, l’un avec l’autre. Et ça a permis que ce soit vraiment plus un spectacle à la fois chorégraphique et visuel, avec des images qui ont énormément d’importance.
Philippe Lefait
Comment est-ce qu’on peut fonctionner à ce point de précision entre la musique et la chorégraphie ? Ce n’est pas évident, puisque faire la musique en direct, est-ce qu’on est toujours en phase avec le mouvement du corps ?
Mathilde Monnier
Oui, parce que…
Philippe Lefait
C’est répété ?
Mathilde Monnier
Oui, et répété et écrit. Quasiment tout est écrit. Il y a des choses qui sont laissées à l’aléatoire, au hasard, comme aimait le faire Merce Cunningham, mais dans un espace finalement assez restreint. Et chacun a des matières de travail qu’il propose au moment du spectacle. Mais dans une écriture quand même globale qui fait que on a assez de repères pour se retrouver et pouvoir à la fois être ensemble ou être séparés.
Philippe Lefait
Oui, alors, on va regarder la suite, la deuxième pièce de votre chorégraphie et ça s’appelle Signés , c’est au pluriel et c’est votre interrogation sur la sensualité, sur l’érotisme.
Mathilde Monnier
Tout a fait.
Philippe Lefait
Extrait.
(Musique)
Philippe Lefait
On est donc, on l’a vu dans la suggestion. Une question sur le DJ qui est…
Mathilde Monnier
ErikM.
Philippe Lefait
ErikM, est-ce que vous le considérez comme un danseur. Puisque quand on le voit bouger, il y a aussi des mouvements du corps assez….
Mathilde Monnier
Je voulais absolument qu’on le voie et qu’on le voie très bien parce qu’effectivement, à entendre, c’est déjà absolument incroyable, et alors à regarder c’est vrai que le corps participe à chaque fois de chaque mouvement, vraiment comme un instrumentiste. Il est à la fois instrumentiste et compositeur.
Philippe Lefait
D’ailleurs, il va avec son archet sur la bande de tissu, sur de la musique, ce qui est assez étonnant. Alors, pourquoi interroger la sexualité, l’érotisme comme vous le faites ? Les gens sont habillés, et donc vous travaillez sur le rapport entre le tissu et la peau. Or, j’ai le souvenir d’un spectacle qui s’appelait Cru ,
Mathilde Monnier
Oui, il y a longtemps !
Philippe Lefait
Il y a très longtemps, et il y avait du beefsteak sur scène, donc il y avait de la barbaque, passez-moi la trivialité. Or là, on vous sent encore très prudente, puisque la nudité est aussi une manière de faire pour les chorégraphes aujourd’hui or vous, vous la refusez. Vous êtes beaucoup plus dans l’allusion ?
Mathilde Monnier
Oui, encore une fois, je suis plus dans la production de signes que vraiment je thématise la question de la sexualité, qui de toute façon, cette question-là est un rapport extrêmement complexe entre la danse et l’érotisme. C’est-à-dire que c’est quelque chose qui n’a jamais été résolu, qui est à la fois extrêmement caché, et en même temps tout le temps présent, puisque le corps est toujours exposé. Le corps c’est notre matière de travail. Et en même temps on a vraiment été éduqués pour tout le temps échapper à la sexualité, échapper à l’expression de la sensualité. Donc c’est un rapport de frères ennemis perpétuel, et c’est un peu ça que j’évoque, mais d’une manière assez légère et assez drôle.
Philippe Lefait
C’était ma question, c’est-à-dire la question sur l’humour, et c’est vrai que la salle rit. Quand j’ai vu le spectacle, la salle rit, est-ce que ça vous surprend ou est-ce que c’est une réponse à ce que vous vouliez mettre dans votre spectacle ?
Mathilde Monnier
J’étais étonnée que la salle rie parce que, mais en même temps, moi-même je riais beaucoup de ce qui était dit sur le plateau parce que je crois que ça renvoie aussi à toute une image du corps, qui en ce moment, est tellement présente partout. À la fois bien sûr dans la publicité, chez les mannequins, dans n’importe quel magazine et tout un vocabulaire qui va avec. C’est-à-dire que chacun parle tout le temps de lui-même, de son corps. Et alors là on s’amuse avec tout ce vocabulaire, cette complaisance dans le vocabulaire.
Philippe Lefait
La caméra toujours, c’est parce que on ne peut plus s’en passer aujourd’hui, et qu’on est cernés ?
Mathilde Monnier
Oui, et puis alors la caméra, en fait, elle représente un trou. C’est-à-dire tout le long,
Philippe Lefait
C’est du signe !
Mathilde Monnier
C’est un trou. Voilà, c’est du signe, c’est un trou alors un trou où on voit quelquefois ce qui se passe derrière. Quelquefois l’image est en direct à l’avant-scène, et puis elle fait focus sur des petits détails qui sont en général les mains. Tout se passe sur les mains, en tout cas, tout sur la dernière partie.
Philippe Lefait
Sur la manière de toucher les corps, de toucher les vêtements, sur les doigts.
Mathilde Monnier
Les doigts, et puis faire signe et puis, à mon avis, il y a beaucoup de choses érotiques dans la façon de, dans les mains.
Philippe Lefait
Quand j’ai vu le spectacle, quatre hommes sur scène, plus…
Mathilde Monnier
Six même !
Philippe Lefait
Six, si on entend la musique, est-ce que ce n’est pas contradictoire avec l’idée de travailler sur la sensualité ou l’érotisme de ne pas mettre de femme en scène ?
Mathilde Monnier
Alors au départ, il devait y avoir des femmes, pour d’autres raisons, ça ne s’est pas passé comme ça. Et donc j’ai décidé de ne rester qu’avec des hommes. Je trouvais que c’était….
Philippe Lefait
C’est de la provoc ?
Mathilde Monnier
Non, pas du tout, parce que c’est le regard d’une femme aussi. Donc, je crois qu’il y a, c’est ni féminin ni masculin comme l’est souvent la danse, c’est-à-dire souvent très asexué. Et donc c’est aussi ça qui est dit, je pense, à travers la présence de ces hommes.
Philippe Lefait
Mathilde Monnier, j’ai encore deux questions à vous poser. La première c’est sur vos chemins de traverse. Donc on a vu votre palette qui est extrêmement large. Et puis il y a une volonté d’aller jusqu’au bout de la compréhension du corps. Et donc c’est votre travail avec Marie-France, cette autiste de 26 ans, qui a donné lieu à un film qui s’appelle Bruit blanc . Est-ce que vous êtes aujourd’hui encore, dans cette recherche-là et dans ce type de chemin de traverse ? De la même manière que vous avez travaillé avec des autistes, mais aussi, je pensais au travail avec les banlieues, avec des quartiers difficiles, avec des beurs ?
Mathilde Monnier
Oui alors, moi j’ai fait ça, enfin ce travail à l’hôpital psychiatrique, je l’ai fait pendant 5 ans, ce qui est déjà énorme puisque en fait, par ailleurs, il faut faire des pièces et je n’étais pas du tout spécialisée dans ce domaine. Pour le moment, je l’ai laissé de côté, parce que je pense que si on veut aller plus loin, il faut en faire un véritable métier. Donc c’est une parenthèse dans ma vie mais sans doute que j’y reviendrai.
Philippe Lefait
On peut regarder quelques images du film Bruit blanc avec Marie-France. Comment est-ce que vous êtes sortie de cette expérience avec le recul aujourd’hui ?
Mathilde Monnier
Ecoutez, très bouleversée et aussi dans l’idée que je pense que c’est un travail infini, dans lequel sûrement je reviendrai. Vers lequel je reviendrai.
Philippe Lefait
Et est-ce que vous savez si Marie-France a pu exprimer quelque chose ou si elle garde trace de ce qu’elle a fait avec vous ?
Mathilde Monnier
Alors garder trace, sûrement, exprimer, sûrement pas. Parce que la trace, c’est vraiment une des caractéristiques aussi des autistes, c’est-à-dire qu’en fait, il y a des choses qui s’inscrivent. On croit qu’il n’y a pas d’histoire, mais en fait, on se rend compte, notamment moi en travaillant avec elle, qu’il y a des choses qui restent, il y a des choses qui se mémorisent. Mais alors l’expression c’est tout à fait autre chose.
Philippe Lefait
Vous avez un souvenir d’elle qui est un souvenir dans votre tête ou c’est un souvenir de votre corps, et comment ?
Mathilde Monnier
C’est les deux, oui. Oui, parce que j’ai beaucoup appris avec ce travail. Et du coup, à avoir une danse moins formelle, justement ce qui m’écarte du travail que j’ai fait avec Cunningham, qui était extrêmement formel, extrêmement inscrit dans le corps. Et là, je suis allée vers une danse autre, et c’est sans doute qu’elle a, cette rencontre a participé de cette nouvelle façon de danser.
Philippe Lefait
Dernière question, avant de demander à James Ellroy de ce qu’il a entendu de ce que vous venez de dire. Vous avez décidé de faire autrement à Montpellier, avec l’argent public ? Alors quelles sont les pistes que vous allez explorer, vous avez décidé de tout casser ? Vous avez dissocié votre troupe du Centre National de Chorégraphie, vers où allez-vous dans la manière dont on fait de la chorégraphie en France aujourd’hui ? Quelles sont vos idées, vos envies ?
Mathilde Monnier
Alors tout casser, non, parce que ce n’est pas dans mon tempérament.
Philippe Lefait
Modifier.
Mathilde Monnier
Voilà, modifier, évoluer doucement. Et c’est vrai que je voulais aller vers quelque chose de beaucoup plus multiple. Un lieu plus multiple, plus ouvert à d’autres artistes, français mais bien sûr étrangers. Puisqu’en fait, j’ai un lien à la fois, j’ai un lien assez fort avec l’Afrique, j’ai beaucoup invité d’artistes étrangers, et puis aussi avec d’autres chorégraphes Européens. Et je souhaite que ce lieu soit beaucoup plus ouvert sur la jeune création. Donc c’est plus le lieu identifié à une personne, mais le lieu identifié à un projet. Et donc pour ça, je voulais aussi rompre avec la notion de compagnie, de fidélité à un chorégraphe, et faire quelque chose de beaucoup plus multiple.
Philippe Lefait
Le Centre National de Chorégraphie de Montpellier, combien de spectateurs par an ?
Mathilde Monnier
Alors là, on vient de jouer à Montpellier, donc 1400 spectateurs.
Philippe Lefait
Pour Signé, signés ?
Mathilde Monnier
Pour Signé signés .
Philippe Lefait
Qui est, bon vous allez jouer à Paris, également à Strasbourg,
Mathilde Monnier
À Vienne, bientôt.
Philippe Lefait
Et vous allez à Vienne au mois d’août.
Mathilde Monnier
Voilà, et plus une tournée internationale à partir de la rentrée.
Philippe Lefait
James Ellroy,
James Ellroy
Oui, vous avez l’air secoué Philippe.
Philippe Lefait
Non, non, pas du tout, je… on se nourrit de ce que dit Mathilde Monnier, qu’avez-vous entendu de ce qu’elle a dit ? Est-ce que la danse vous intéresse ?
James Ellroy
J’aime la danse parce que c’est un petit peu, ça se rapproche de la vie intérieure des animaux et moi j’aime les animaux. Et quand je peux voir des animaux si bien imités, comme je viens de le voir, alors je me sens plus près de Dieu, plus près des animaux en général, plus près de moi-même, de mon moi-même instinctif. Ça serait mon grand plaisir de pouvoir aller en Afrique et de voir, d’être bousculé par des éléphants, des rhinocéros et des tigres, des lions, aussi longtemps qu’ils ne me tuent pas, quoi. Quand je vois ça, c’est aussi gracieux et aussi instinctif, je suis toujours ému.
Philippe Lefait
Est-ce que vous êtes sensible à la quantité de travail que fournit une chorégraphe ? Que fournit Mathilde d’une manière obsessionnelle a-t-elle dit. Est-ce que vous-même, vous êtes dans cette obsession du travail quand vous écrivez ?
James Ellroy
L’obsession c’est mon deuxième nom, oui. Ça sera sur ma tombe, il était obsédé. Donc je comprends ce qu’elle dit, oui, sa relation avec son travail. Nous avons ce dicton aux Etats-Unis, rien ne réussit comme le succès, et je dirais, rien ne réussit comme l’obsession.
Mathilde Monnier
Oui, je suis d’accord, je crois que peut-être que c’est les artistes, ils sont comme ça, je ne sais pas, c’est effectivement comme une double vie, l’obsession. On vit avec, c’est une double vie qui peut être aussi une maladie parfois, alors ça devient une maladie. En tout cas, c’est un partenaire à vie, il faut faire avec.
Philippe Lefait
James Ellroy, sur la manière de dire la sensualité, l’érotisme, ou la sexualité. Est-ce que vous pouvez comprendre qu’on soit dans l’allusion plutôt que dans le dit très cru ?
James Ellroy
Oui, j’ai compris le symbolisme, j’aurais préféré quelque nanas à poil, mais puisque je ne pouvais pas, et bien, je me suis contenté du symbolisme.
Mathilde Monnier
Oui, pourquoi pas, je veux dire, ça s’est fait plein de fois dans la danse contemporaine, le problème c’est que ça a déjà été fait et que il faut en tenir compte. Mais un corps nu n’est pas forcément plus sensuel qu’un corps habillé.
Philippe Lefait
Un corps nu pas plus sensuel qu’un corps habillé ?
James Ellroy
Oui, les corps nus, ça satisfait votre curiosité de voir des corps nus, franchement, mais bon ce n’est pas tout à fait de l’art. Cela étant dit, je comprends toujours le symbolisme et l’humour.
Philippe Lefait
On continue, allez-y, continuez.
Mathilde Monnier
Non, non, non, il n’y a pas de symbolisme dans le spectacle, moi je n’aime pas le symbolisme. Je suis d’accord avec vous dans ce que je comprends. Mais le signe n’est pas forcément du symbolisme.
Philippe Lefait
C’est-à-dire, ça doit dire tout de suite ?
Mathilde Monnier
Ça doit dire tout de suite ou ça procède sur un autre temps. Ce n’est pas forcément, une image ne correspond pas tout de suite à un symbole. Pas du tout, moi je n’aime pas le symbolisme.
Philippe Lefait
C’est inscrit dans l’inconscient.
Mathilde Monnier
Tout a fait.
Philippe Lefait
On continue cette conversation dans une seconde. On va retrouver Henri Texier, Sébastien Texier qui est son fils et pas son frère comme je le disais tout à l’heure, et Tony Rabeson, voici un premier extrait de leur album Remparts d’argile , Henri Texier avec lequel vous avez bien sûr travaillé. Musique.
(Musique)