Odile Duboc et Projet de la Matière

21 février 1999
02m 25s
Réf. 00894

Notice

Résumé :

Odile Duboc évoque Projet de la matière (1993), conçu avec la plasticienne Maire-Josée Pillet.

Date de diffusion :
21 février 1999
Source :

Éclairage

Les rencontres entre chorégraphes et plasticiens appartiennent au chapitre des grands rendez-vous spectaculaires. Exemplaire, les Ballets Russes (1909-1929), la troupe dirigée par Serge Diaghilev, a multiplié les chocs des héros. Léonide Massine et Pablo Picasso ont crée Parade (1917). Depuis, parmi les pas de deux les plus fameux, il faut citer celui de Martha Graham et Isamu Noguchi, de Merce Cunningham et Robert Rauschenberg, Angelin Preljocaj et Aki Kuroda... Parmi beaucoup d'autres. Lorsqu'en 1993, la chorégraphe Odile Duboc (1941-2010) demande à la plasticienne Marie-Josée Pillet de collaborer à sa pièce Projet de la matière, elle s'inscrit donc dans une page d'histoire excitante. Elle sait que ce type de connection hybride met la barre haut. Elle ne sait pas encore combien ce spectacle va marquer son parcours et sa méthode de travail. Pour Duboc, Pillet a imaginé de gros galets blancs aux formes molles rebaptisées "baleine". Entre elles mais aussi tout contre, les neuf interprètes vont louvoyer et s'appuyer au risque parfois de faire corps avec la matière, voire même de disparaître dans leur masse. Au contact de ces sculptures, la danse verticale de Duboc s'assouplit et s'arrondit, se déséquilibre aussi pour se déposer sur les "baleines". Au plus près des propositions gestuelles des danseurs, elle a injecté dans son mouvement l'essence de l'air et de l'eau, joué sur la poids et la légèreté, pour transformer la chair des corps en une substance étonnament malléable. Un paysage curieusement organique au creux duquel les sons pierreux d'Olivier Renouf roulent et s'accrochent. De ce Projet de la matière, créé en 1993 à la Biennale de la danse du Val-de-Marne, Odile Duboc conservera pour de futures experimentations, entre autres avec des spectateurs, le matelas d'eau sur lequel on se juche pour sentir les changements de volume liés aux variations de l'eau.

Ce spectacle dans son processus et son résultat n'est pas sans rappeler les créations, la même année, de Factory, co-mis en scène par le chorégraphe Hervé Robbe et le sculpteur Richard Deacon, et de Végétal de Régine Chopinot et du land-artiste Andy Goldsworthy. Ces deux artistes sont férus de rencontres et de partages. En revanche, c'est la seule et unique fois où Odile Duboc ouvrira le plateau à une plasticienne. Toujours soutenue dans son travail par la créatrice de lumières Françoise Michel, avec laquelle elle fonda sa compagnie Contre-jour en 1980, elle a conçu toutes ses pièces en étroite collaboration avec elle. A la tête du Centre chorégraphique national de Belfort-Franche Comté de 1990 à 2008, cette femme née à Versailles, mais longtemps basée à Aix-en-Provence, très active dans l'élaboration du festival Danse à Aix à la fin des années 70, s'est accrochée très jeune à la barre. Dès 4 ans, elle connait son vocabulaire classique. Quelques années plus tard, adolescente, elle signe un premier essai inspiré par le film de Jacques Demy Les demoiselles de Rochefort. En 1974, elle ouvre une école, toujours à Aix-en-Provence, les Ateliers de la danse. Elle y gagne sa vie en donnant des cours de classique, de modern jazz. Elle croise des danseurs comme Madeleine Chiche et Bernard Misrachi, passés par l'enseignement de Jacques Lecoq, avec lesquels elle improvise et découvre les secrets de sa langue chorégraphique. En relation profonde avec l'eau, l'air, la terre, le feu, Odile Duboc élabore un mouvement enraciné dont les appuis lui donnent des ailes.

En compagnie de Françoise Michel, elle chorégraphie en 1989 Insurrection, tout en géométrie limpide, Comédie (1998), rêverie sur la comédie musicale américaine... Son sens de l'abstraction douce, cerné par les lumières subtiles de Françoise Michel donne au geste une densité insolite. Parmi ses oeuvres-phares, Trois Boléros (1996), sur la musique de Ravel, a été un succès public (voir le document). Pédagogue et aimant partager, elle a su fédérer les energies d'interprètes et chorégraphes comme Boris Charmatz, Emmanuelle Huynh, Alban Richard, Brigitte Asselineau...

Rosita Boisseau

Transcription

(Silence)
(Bruit)
Odile Duboc
Quand on avait fait Projet de la matière , il y avait beaucoup d’envols et les hommes portaient aussi bien les hommes que les femmes, et que les femmes portaient les hommes. Et c’est un plaisir que j’ai découvert à ce moment.
(Musique)
Odile Duboc
J’ai rencontré 2, 3 personnes qui m’ont parlé d’un rapport aux évènements, de l’air, de l’eau, du feu. J’ai été amenée à travailler sur des improvisations qui se faisaient dans le silence ; et à découvrir, à partir de cette relation au poids du corps, à la gravité et à comprendre que à l’intérieur de chaque personne, en tout cas, à l’intérieur de moi, il pouvait y avoir une musique intérieure ; qui était en relation totale avec une écoute de la respiration. Et tout ce jeu d’écoute de la respiration m’a amené à trouver la portée de mon mouvement, la mélodie, le rythme. Et, à partir de là, je me suis rendue compte que je pouvais nourrir la danse, complètement comme ça. Mais non seulement, je pouvais la nourrir de cette façon, c’est-à-dire dans le silence et dans l’écoute de mes propres aspirations, quelque chose de très organique ; mais qu’en même temps, une musique extérieure me rendait dépendante. A partir de cette période, je n’ai pluseu besoin de la musique, mais non seulement je n’en ai plus besoin, mais j’ai été de la mettre de côté parce qu’elle me posait des problèmes par rapport à la création.
(Bruit)