Biped de Merce Cunningham

12 novembre 1999
02m 05s
Réf. 00927

Notice

Résumé :

Le chorégraphe américain Merce Cunningham, 80 ans, est de passage dans sa maison parisienne du Théâtre de la Ville, à Paris. Toujours simple et direct, ce "passant", comme il aime à se définir, précise ce qui le passionne dans cette rencontre entre les images virtuelles projetées et les corps vivants. Une danseuse donne également son point de vue sur ce type de travail très nouveau dans la compagnie...

Date de diffusion :
12 novembre 1999
Source :
FR3 (Collection: Soir 3 )

Éclairage

Lorsque Merce Cunningham (1909-2009) présenta Biped (1999) en 2001 au Théâtre de la Ville – lieu où il se sentait comme à la maison -, le public fut épaté et emballé. Pour la première fois, Cunningham montrait le résultat subtil de son travail avec le logiciel LifeForms. Sur le plateau, des envolées de corps en chair et en os se fondent et se confondent avec leurs images virtuelles projetées sur un écran transparent situé devant eux. La sensation d'un dédoublement magique de la danse, d'une texture spectaculaire inédite, faisait de cette pièce une bulle de beauté.

Epaulé par les chercheurs Shelley Eshkar et Paul Kaiser, Cunningham orchestrait une fusion féerique entre réalité et artifice. Avant de convier sur scène ces tourbillons virtuels, les mouvements des danseurs, équipés de capteurs posés sur leurs articulations et leurs extrémités – le fameux système "motion capture" - ont été enregistrés, retravaillés par ordinateur grâce au logiciel LifeForms pour aboutir à ces formes abstraites. Le "plus" de Biped réside dans la manière dont Cunningham et ses complices s'emparèrent de cette chorégraphie numérique pour l'exploser en feu d'artifice de traits, points, lignes, dessinant dans l'espace des tableaux abstraits en évolution permanente. Des barres colorées balayent l'espace croisant des grappes de points reconduisant les silhouettes des danseurs.

Sur la musique de Gavin Bryars, dans des costumes de Suzanne Gallo – des justaucorps seconde peau subtilement miroitants -, Biped, tout en énergie pétillante, auréolait le geste sobre de Cunningham d'une sorte d'enchantement. Un phénomène dans l'œuvre austère, même si dynamiquement toujours au taquet, du maître américain.

C'est à partir du début des années 90 que Merce Cunningham après avoir exploré la vidéo se lance à l'assaut des nouvelles technologies. A quatre-vingts ans passés, il s'offre un défi périlleux et bosse d'arrache-pied. Curieusement, il mesure aussi parfois l'impossible adaptation aux corps humains d'une danse uniquement pensée sur ordinateur. Certains mouvements se heurtent aux limites anatomiques et doivent être modulés. Déjà mentalement complexe, la danse de Cunningham est devenue de plus en plus difficile à intégrer, exigeant des interprètes concentrés et véloces.

Rebaptisé "l'Einstein de la danse" parce qu'il reprenait à son compte la formule du physicien "iil n'y a pas de points fixes dans l'espace", Cunningham n'a jamais démérité de son surnom pendant plus de cinquante ans de carrière. Innovant dans tous les domaines jusqu'au bout de sa vie, il a sans cesse relancé les dés de son imagination et de sa pratique. Son ultime pièce Nearly 90 a connu deux versions chorégraphiées entre son anniversaire et sa mort, à 90 ans, en juillet 2009. La première, en avril 2009, brillait de mille feux grâce à l'énorme soucoupe volante conçue par l'architecte italienne Benedetta Tagliabue. Retaillée, la seconde version opérait un retour magistral à ses fondamentaux : mouvement pur, scène vide uniquement balayée de lumières colorées, danseurs en justaucorps et musique expérimentale. Tout Cunningham !

Rosita Boisseau

Transcription

Présentatrice
Il s’appelle Merce Cunningham, il a 80 ans, il est furieusement moderne. C’est un chorégraphe, le plus marquant de la modern dance. Sa troupe se produit au Théâtre de la Ville, à Paris, jusqu’au 20 novembre. Nathalie Hayter et Guy Nevers l’ont rencontré.
(Musique)
Journaliste
Cela commence par un solo, puis le solo devient duo et c’est alors qu’ils entrent en scène. Eux, ce sont les autres danseurs de Merce Cunningham, ceux qu’il a créé. Silhouettes de lumière et de couleur, en mouvement permanent, et qui insufflent à cette nouvelle création un étonnant supplément d’énergie.
(Musique)
Merce Cunningham
Dans Biped , on projette sur un écran transparent, devant la scène, de grandes images qui changent tout le temps. Elles apparaissent, puis disparaissent. Elles avancent puis reculent. Elles s’agrandissent puis rétrécissent. C’est ça qui m’intéresse beaucoup, c’est ce mouvement en plus de celui des danseurs.
(Musique)
Jean Freebury
Moi, je ne peux pas regarder, je serai trop perturbée. Je sais que ces images sont là et je sais qu’avec la danse, ça donne quelque chose de très beau. Mais pour moi, ce sont deux éléments distincts qu’on a mis ensemble uniquement pour le public.
Journaliste
Il innove, il étonne, il séduit et cela depuis maintenant un demi-siècle. A 80 ans, Merce Cunningham a toujours des idées plein la tête et une humilité à fleur de peau.
Merce Cunningham
Un jour, un ami m’a demandé si je me considérais comme un patriarche. Et j’ai répondu non, je ne suis qu’un passant qui s’est fait piéger.
(Musique)
Journaliste
Jusqu’à la fin de l’année, Biped sillonne la France. Puis, celui que l’on appelle l’explorateur du mouvement s’attelera, une fois de plus, à la tâche. Ses 15 danseurs suivront car travailler avec Merce Cunningham, c’est être, sans aucun doute, à l’avant-garde de la danse contemporaine.