Création Française d'Outis de Luciano Berio au Théâtre du Châtelet

14 novembre 1999
03m 08s
Réf. 01033

Notice

Résumé :

Entre trois courts extraits d'Outis, présenté en création française sur la scène du Théâtre du Châtelet sous la direction de David Robertson, Yannis Kokkos, le metteur en scène, donne quelques clés du contenu de l'œuvre de Luciano Berio, qui s'exprime sur la façon dont sa musique explore son théâtre.

Date de diffusion :
14 novembre 1999
Source :

Éclairage

C'est sous l'influence de la musique sérielle que Luciano Berio (1925-2003) écrit ses premières œuvres. Créant en 1954 avec Bruno Maderna et Luigi Nono le Studio di fonologia musicale de Milan, il se tourne vers la composition d'œuvres purement électroniques, tout en gardant un certain éclectisme à sa production. Sa créativité, son ouverture, ses recherches sur le matériau sonore font de lui l'un des compositeurs italiens majeurs du moment, fêté aussi bien dans sa patrie qu'à New York, à Donaueschingen, à Paris - où il dirige de 1974 à 1980 le département acoustique de l'IRCAM naissant, créant son équivalent à Florence, le Tempo Reale, en 1987 - qu'à Harvard, où il est compositeur en résidence.

Ses recherches instrumentales se retrouvent dans une série de compositions pour instrument soliste, les Sequenza, dédiées à la harpe, au piano, au trombone, à l'alto, à la clarinette, à la guitare ou l'accordéon, mais aussi à la voix, qui est l'une de ses passions (Sequenza III en 1966 - dédiée à son épouse Cathy Berberian), qu'il traite en petites formes chambristes (Omagio à Joyce, Circles) ou dans de grandes scènes, où il prend comme sujet l'opéra lui-même, avec Passagio (1961), Laborintus II, Recital I (for Cathy) (1972), truffé de 44 citations de Monteverdi à Berio pour décrire la folie d'une cantatrice.

Ses cinq opéras s'attaquent aux conventions du genre, en pleine crise d'identité dans les années soixante, en créant des formes et des moyens de représentation nouveaux. Opera (1970) mélange un livret pensé avec Umberto Eco et Furio Colombo sur le naufrage du Titanic, une pièce de Susan Yankowi, Terminal, se déroulant dans un hôpital pour incurables, et le livret de L'Orfeo de Monteverdi : seule la mise en scène peut donner corps à cette œuvre « ouverte » aux personnages virtuels. En 1982, La vera storia, anti-opéra d'après Italo Calvino, oppose un opéra construit de manière classique à l'acte I, à la même histoire déstructurée, dé-théâtralisée, commentée, parodiée à l'acte II. En 1984, Un re in ascolto, agrégat de The tempest de Shakespeare et de The Sea and the Mirror de W.H. Auden, mélange réalité et théâtre dans une macération sans fin.

Outis, œuvre scénique pour 13 solistes, récitant, mime, chœur, orchestre et électronique, est créée en 1996 à La Scala de Milan sous la direction de David Robertson. Son personnage central, Ulysse, qui se nomme Personne (Outis en grec) pour échapper au titan Polyphème, est tué et renaît au fil des cinq scènes dans des lieux allégoriques, le Titanic, une salle de ventes... que parcourent déportés, soldats, touristes, sans logique apparente, dans un foisonnement d'images aussi étincelant que la partition elle-même.

Enfin, Cronaca del Luogo, en 1999, se penche sur les exils, les barrières, les prisons, témoins de la présence invisible de Dieu : une non-action de plus, disparate et fragmentée.

Parallèlement, Berio s'investit dans l'écriture de l'achèvement, en complétant en 1995 Zaïde de Mozart, et en écrivant en 2001 une nouvelle version du final manquant du Turandot de Puccini.

Au Théâtre du Châtelet, en novembre 1999, c'est Yannis Kokkos qui met en scène Outis, dans des images flamboyantes de mobilité. Français d'origine grecque, né en 1944, il débute comme scénographe en 1966, et travaille bientôt pour Antoine Vitez - avec qui il établit une longue collaboration -, Jean Mercure, Jacques Lassalle... En 1975, il crée la scénographie d'Histoire de Loups de Georges Aperghis, sa première incursion dans le domaine lyrique. Suivent, à l'Opéra de Paris, des décors pour Lohengrin de Wagner et Lear de Reimann avec Jacques Lassalle en 1982, puis en 1984 Macbeth de Verdi avec Antoine Vitez.

À partir de 1987, il réalise ses premières mises en scènes de théâtre, mais c'est bientôt l'opéra qui devient l'objet quasi-unique de son travail. Jean-Pierre Brossmann, le directeur du Châtelet, lui confie plusieurs spectacles emblématiques, comme Outis, Hänsel et Gretel de Humperdinck et Les Troyens de Berlioz en 2003.

Pierre Flinois

Transcription

Présentatrice
La création d’un opéra est toujours un évènement rare dans le monde de l’art lyrique, le Théâtre du Châtelet a décidé de monter pour la première fois en France Outis , une œuvre contemporaine de l’italien Luciano Berio, jouée il y a deux ans à la Scala de Milan. Nous recevons dans quelques instants Jean-Pierre Brossmann, le directeur du théâtre du Châtelet. Il nous expliquera pourquoi il a choisi cet opéra sur le mythe d’Ulysse, un opéra impossible à raconter car le récit échappe à toute logique. Xavier Collombier, Gwenael Rihet.
Inconnu
Votre chemin fait le deuxième et après je fais [inaudible].
(Musique)
Journaliste
Pour suivre l’histoire de Outis, il faut avant tout ne pas essayer de la raconter. Luciano Berio a d’ailleurs choisi d’appeler son épopée du nom de son héros, Personne : Outis . C’est le nom que se donne Ulysse pour échapper au cyclope, histoire donc de Personne, plongé dans mille et une histoires. Les cultivés retrouveront dans le désordre Brecht, Fellini, Joyce, Homère, Beckett, tous se laisseront porter par la mer et le voyage.
Yannis Kokkos
Je pense que ce spectacle devrait être regardé comme on lit un poème, c’est-à-dire comme on se laisse guider par les sonorités, on se laisse guider par l’assemblage d’idées, par l’assemblage de mots qui, peut-être, ne devaient pas se rencontrer. Et il me semble que cette ouverture qui existe dans l’œuvre devrait exister aussi dans le spectateur qui ne devrait absolument pas, qui devra ne pas être du tout intimidé par le fait qu’il s’agit d’un opéra contemporain.
(Musique)
Journaliste
Cette ballade dans l’imaginaire de notre siècle troublé n’est pas une prise de tête. Pas de [incompris], même si les références intellectuelles sont profondes et complexes. Ne pensez donc plus et tout passe comme sur l’eau, et vogue le navire.
Luciano Berio
La caméra, c’est la musique et la musique explore, regarde, filme beaucoup de choses, musicales surtout, et même techniques, de la technique musicale, technique vocale et aussi beaucoup de niveaux de signification qui sont liés à, aux personnages, à la figure d’Ulysse.
(Musique)
Journaliste
Dans ce kaléidoscope d’images, on retiendra donc quelques notes de cette musique qui s’allonge, s’étire pour revenir comme la vague sur la plage, tout est simple au final. Ça ne se raconte pas la naissance d’un opéra. Une émotion réelle est au rendez-vous, elle a été écrite pour vous mais personne ne vous demande de la raconter.