Denise Duval chante un extrait de Dialogues des Carmélites de Poulenc

14 mai 1959
05m 32s
Réf. 01077

Notice

Résumé :

Interrogé par Bernard Gavoty, Francis Poulenc évoque brièvement la création de ses Mamelles de Tirésias, puis de Dialogues des Carmélites. Il laisse la place à Denise Duval, la créatrice de ses opéras en France, qui après que le présentateur ait résumé le début de l'œuvre de Georges Bernanos, chante un extrait du premier acte.

Date de diffusion :
14 mai 1959

Éclairage

Membre du Groupe des Six, Francis Poulenc (1899-1963) en est le plus célèbre représentant, même s'il n'a ni renouvelé l'écriture musicale de son temps, ni théorisé la modernité comme Arthur Honegger et Darius Milhaud. Il a simplement écrit quelques unes des plus belles pages de la musique française du XXe siècle, en choisissant d'y affirmer un style éminemment personnel, à la fois léger et profond. Ses cycles de mélodies montrent très tôt son amour de la voix humaine comme de la poésie, et ses trois opéras sont de même composés sur de grands textes, signés Apollinaire, Bernanos et Cocteau.

Créé à La Scala de Milan le 26 janvier 1957, en italien, et repris le 21 juin à l'Opéra de Paris, avec Denise Duval, Régine Crespin, et Rita Gorr, Dialogues des Carmélites, son deuxième opéra, est une des rares œuvres où la religion n'apparaît pas comme dénaturée par son passage à la scène lyrique. Le texte de Bernanos, adapté d'un roman de Gertrud von Le Fort, lui-même bâti sur l'histoire réelle des Carmélites de Compiègne exécutées sous la Terreur en 1794 - où seul le personnage de Blanche est une invention de l'écrivaine allemand - est d'abord un scénario de film, réalisé bien plus tard, en 1960, puis une pièce adaptée après la mort de l'écrivain et créée au Théâtre Hebertot en 1953. Bernanos axe son drame sur le doute, la peur, et la communion des saints, faisant du sujet un échange libérateur entre les morts des deux personnages principaux que tout oppose.

Poulenc, qui dit de ce sujet qu'il est « la Grâce et le transfert de la Grâce », en offre une transcription d'une émotion infinie et unique, en privilégiant une intelligibilité absolue du texte, servie par des proportions musicales d'une justesse infinie, qui disent combien il est aussi un grand compositeur de musique religieuse, et plus encore un compositeur unique en son genre : on ne sort pas d'une représentation de Dialogues des Carmélites sans être profondément touché.

Pierre Flinois

Transcription

Bernard Gavoty
Cher ami, vous nous avez dit l’autre jour que vous adoriez le théâtre.
Francis Poulenc
J’adore le théâtre.
Bernard Gavoty
Alors je m’étonne que vous ayez attendu votre quarante-huitième année pour l’affirmer !
Francis Poulenc
Pas quarante-huitième année, c’est comme pour ma date de naissance, vous vous trompez. J’ai écrit Les mamelles de Tirésias à quarante-cinq ans. Et depuis toujours, je voulais écrire une œuvre de théâtre, mais je ne trouvais pas de livret qui me plaise. Et tout à coup en 1944, j’étais seul à la campagne. J’ai repris mon Apollinaire, j’ai relu cette pièce que j’avais vu créer en 1917 à Montmartre dans une mémorable soirée. Et il m’a plu, et j’ai fait Les mamelles de Tirésias .
Bernard Gavoty
Vous avez fait en outre Les dialogues des Carmélites et vous avez fait La voix humaine . Nous avons la chance ce soir d’avoir parmi nous Denise Duval qui a été votre triple et en même temps unique interprète.
Francis Poulenc
Et si je fais un nouvel opéra, il y aura un rôle pour elle, je lui ai promis.
Bernard Gavoty
Et bien, nous allons lui demander peut-être de jouer trois scènes extraites des trois opéras dont elle a été la créatrice et la vedette. Chère Denise Duval, je vais vous demander de…
(Bruit)
Bernard Gavoty
Quand vous avez créé Les dialogues des Carmélites à l’opéra, je crois savoir que vous êtes allée vous documenter sur place au Carmel de Compiègne où ont vécu très réellement, avant la Révolution, les seize carmélites qui ont été guillotinées sur la place royale, qui est devenue la Place de la Concorde aujourd’hui. Vous avez fait cette visite, et vous avez été reçue ?
Denise Duval
J’ai fait cette visite et j’ai été reçue grâce à Maurice Jacquemont, notre metteur en scène des Dialogues des Carmélites .
Bernard Gavoty
Qui vous a reçue ?
Denise Duval
La mère supérieure.
Bernard Gavoty
Et vous a-t-elle instruite, enfin, de quelque manière ?
Denise Duval
Moi, je dois dire que j’ai eu un très grand choc personnel. Et je crois que si j’ai joué Le dialogue des Carmélites comme je l’ai joué, enfin ce que j’ai pu faire, ce que j’ai essayé de faire, je crois que c’est grâce à cette visite.
Bernard Gavoty
C’est un rôle très bouleversant, très tendu. Si vous ne l’aviez pas joué sur la scène de l’Opéra, je vous raconterais volontiers ce en quoi il consiste. Vous vous appelez Blanche de la Force, vous êtes née en 1774 après une journée bien troublée qui avait beaucoup effrayé Madame votre mère. Son carrosse avait été pris dans une échauffourée, et vous êtes venue au monde le soir même un peu prématurément. Vous avez 15 ans aujourd’hui, nous sommes en 1789, et votre carrosse de jeune fille a été pris lui aussi mystérieusement dans un mouvement de foule qui vous a épouvantée. Vous avez gardé des circonstances de votre naissance, une sorte de faiblesse de caractère, une sorte de grelottement intérieur, comme le dit si magnifiquement Bernanos, c’est le gel au cœur de l’arbre. Vous rentrez et vous êtes toute effrayée. Votre père, le Marquis de la Force, vous consulte et vous questionne. Et brusquement vous lui dites, je crois mon père que la vérité pour moi serait d’entrer au Carmel. Et il vous dit textuellement cette phrase sur laquelle je vous abandonne car c’est vous qui, en chantant, allez me donner la réplique : Mon enfant, mon enfant chéri, il n’appartient qu’à votre conscience de décider si l’épreuve est au-dessus de vos forces ou non.
(Musique)