Herbert von Karajan à Salzbourg

09 mars 1967
06m 23s
Réf. 01122

Notice

Résumé :

Lors des répétitions de Boris Godounov de Moussorgski au Festival de Salzbourg 1966, dont on entrevoit quelques scènes, Herbert von Karajan évoque dans un entretien avec Bernard Gavoty, l'origine de sa vocation de chef d'orchestre, de son travail de metteur en scène et la genèse du Festival de Pâques qu'il a fondé en 1967 dans sa ville natale.

Date de diffusion :
09 mars 1967
Source :

Éclairage

Salzbourg est bien sûr le berceau de Wolfgang Amadeus Mozart, mais aussi celui de Herbert von Karajan, qui y est né le 15 avril 1908, et qui a rendu son nom indissociable du Festival créé en 1920 par Max Reinhardt, Hugo von Hofmannsthal, Richard Strauss, Franz Schalk et Alfred Roller.

C'est très tôt dans sa carrière que le jeune chef d'orchestre dirige dans sa ville natale : son premier opéra, Fidelio de Beethoven au Landestheater dès 1927, son premier concert au Mozarteum en 1929, puis la musique de scène du Faust de Goethe au Festival en 1933. Sa carrière l'entraîne ensuite dans des postes à Aix-la-Chapelle, Vienne et Berlin, jusqu'à ce qu'il soit interdit de direction pendant 2 ans suite à ses implications dans le nazisme. L'été 1948, il dirige Les Noces de Figaro et l'Orphée de Gluck au Festival, mais n'y est pas réinvité du fait de son antagonisme avec Wilhelm Furtwängler. Il faudra la mort de celui-ci, fin 1954, pour qu'il soit aussitôt nommé directeur à vie du Philharmonique de Berlin - dont il fait le premier orchestre du monde en matière de renom, et pour lequel il suscite la construction de la Philharmonie par Hans Scharoun.

Suit en 1956 la direction artistique du Festival de Salzbourg, poste qu'il occupe jusqu'en 1960. Il y dirige Fidelio, Falstaff, Don Carlos, Orphée, et en 1960 Le Chevalier à la rose et Don Giovanni au nouveau Grosses Festspielhaus dont il est à l'origine de la construction. Membre du directoire du Festival à partir de 1964, il en est en fait le véritable maître jusqu'à sa mort en 1988, modelant à sa façon, très autocratique, le destin de la manifestation et la vie culturelle de la ville de Mozart. Il y dirige chaque été deux concerts avec le Philharmonique de Berlin, et nombre de productions lyriques dont il est aussi le metteur en scène : Carmen, Boris Godounov - dont on suit ici quelques instants de répétitions avec Sena Jurinac en Marina - , Otello, Salomé, Don Carlos, Aïda ... toujours avec le Philharmonique de Vienne dans la fosse.

En 1967, il fonde le Festival de Pâques, afin de diriger à nouveau les opéras de Wagner qu'il ne peut plus réaliser selon ses idées depuis sa rupture avec l'Opéra de Vienne en 1964, dont il assure en parallèle à Salzbourg la direction artistique depuis 1957. Au programme de chaque Festival, un opéra joué 2 ou 3 soirs, très rarement deux, et six concerts symphoniques ou de musique sacrée, tous avec le Philharmonique de Berlin. Après La Walkyrie inaugurale, il y dirige L'Anneau du Nibelung en entier, puis le reste des opéras de Wagner - sauf Tannhäuser - puis quelques opéras du grand répertoire comme Falstaff, Tosca, Turandot, Don Giovanni... jusqu'à sa mort. Il fonde en parallèle le Festival de Pentecôte, consacré à des concerts symphoniques.

Pierre Flinois

Transcription

Bernard Gavoty
Comment êtes-vous devenu chef d’orchestre ?
Herbert (von) Karajan
Sur le conseil de mon dernier professeur de piano qui m’a dit…. Vous savez, j’ai étudié ici, puis je suis allé à Vienne mais en ce temps, je jouais déjà tout le grand répertoire des concertos et tout ça. Au bout d’un an, un professeur à Vienne m’a dit, écoutez, vous n’allez jamais avoir la satisfaction de votre profession parce que pour traduire ce que vous pensez ou ce que vous écoutez, il faut dix mains et vous en avez seulement deux. Je vous conseille de devenir chef d’orchestre si vous le pouvez. Et c’était, je crois, un très bon conseil.
Bernard Gavoty
Je crois. Est-ce que c’est votre vocation musicale qui vous a donné l’idée de devenir en même temps metteur en scène ?
Herbert (von) Karajan
Je vais vous dire, quand j’ai commencé il y a maintenant 35 ans à diriger dans un petit théâtre en Allemagne, la chose qui m’a toujours troublé et choqué, c’était la mise en scène qui allait presque toujours contre la musique. Pour Karajan, mettre en scène, c’est se mettre en scène. Ce n’est pas indiquer, c’est mimer. Ce n’est pas suggérer, c’est donner l’exemple. Tenez, cet épisode de Boris Godounov qui fait s’affronter Marina et un jésuite qui lui montre la croix. Avouez qu’après une telle démonstration, il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas la jouer comme il faut.
(Musique)
(Bruit)
Bernard Gavoty
Et cette autre scène, dite de l’auberge, où le faux prétendant à la couronne est en compagnie de deux moines mendiants. Voici leur croquis vivant dessiné par Karajan.
(Bruit)
Herbert (von) Karajan
Ne faites pas tout le temps du bruit là dehors, compris ? Pas de bruit ! Il faut interpréter cette scène comme ceci.
(Bruit)
Herbert (von) Karajan
La deuxième fois, un peu plus fort.
(Bruit)
Herbert (von) Karajan
Et maintenant, la troisième fois, il faut se gonfler comme ceci.
(Bruit)
Bernard Gavoty
Boris Godounov que vous nous présentez à Salzbourg, c’est une oeuvre que vous dirigez très souvent ?
Herbert (von) Karajan
Non, je l’ai fait pour la première fois.
Bernard Gavoty
C’est une première pour vous ?
Herbert (von) Karajan
Oui, c’est une chose que j’avais toujours envie de faire et premièrement, il n’y avait pas le personnage que je cherchais, que finalement on a trouvé en Ghiaurov et la réalisation scénique.
Bernard Gavoty
Qu’est-ce qui vous a tellement intéressé à mettre en scène dans l’opéra de Moussorgski ?
Herbert (von) Karajan
Le peuple !
Bernard Gavoty
Le peuple, le peuple russe, cette foule immense à l’image de la steppe, et tout comme elle balayé parfois d’orages fulgurants.
(Musique)
Bernard Gavoty
Comment avez-vous eu l’idée d’organiser ce Festival de Pâques à Salzbourg ?
Herbert (von) Karajan
Vous savez, quand j’ai quitté l’Opéra de Vienne, il y a l'oeuvre de Wagner qui, pour moi, est parmi les choses les plus intéressantes de tout mon travail. Donc on a eu certains projets de le faire dans un autre théâtre, et puis ça s’est vu que ni du point de vue technique, ni lumières, les théâtres en question étaient vraiment adaptés. Et un jour, il y avait la deuxième représentation du Boris. Tout d’un coup, je pense, on est fou de ne pas le faire ici parce qu’ici, ce théâtre que vous savez qui est, dans l’ouverture de la scène, deux fois plus grand que la Scala, donc c’est le plus grand théâtre et d’une richesse dans l’équipement, lumières et technique, ça se prête absolument pour ça. Et en plus, on peut prendre l’orchestre qu’on veut. Alors, je me souviens très bien après ça, il y avait un grand orage et je faisais marcher après le Boris, deux heures sous la pluie. Et j’ai pensé développer ce projet le jour après. Je suis allé ici, au gouvernement de la ville, et j’ai dit, écoutez, je vous loue cette maison pour que personne ne puisse faire des difficultés, j’ai dit. Je fais ça et c’est mon organisation et aussi mon financement parce que je suis responsable et je n’ai aucune subvention.
Bernard Gavoty
C’est Wagner qui va être le pivot de votre festival ?
Herbert (von) Karajan
Oui, certainement.
Bernard Gavoty
Et Wagner à Salzbourg, ça ne vous a pas inquiété ?
Herbert (von) Karajan
Non mais pourquoi inquiéter ?
Bernard Gavoty
Parce que c’est la ville de Mozart.
Herbert (von) Karajan
Oui mais vous savez bien qu’il y a le festival d’août où là, naturellement, il y a beaucoup de choses pour Mozart. Donc c’est parfaitement concevable qu’on fasse et quand même pour cette occasion, une chose qui est absolument hors de ça et qui, pour moi vraiment est, comme je le disais, le centre de mon activité pour le théâtre lyrique.