Fin de partie de Beckett par Roger Blin

19 mai 1968
02m 45s
Réf. 00203

Notice

Résumé :

Paul-Louis Mignon présente la mise en scène de Roger Blin, dont il rappelle qu'il est le créateur de la pièce. Il se livre ensuite à une analyse de Fin de partie, et à la présentation des personnages et acteurs en scène. On peut ensuite voir un extrait de la pièce, une conversation entre Hamm et Clov.

Date de diffusion :
19 mai 1968
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )

Éclairage

Samuel Beckett (1906-1989) rencontre, en 1950, Roger Blin, qui s'enthousiasme à la lecture du manuscrit d'En attendant Godot. En 1953 a lieu la première de la pièce au théâtre de Babylone, où elle fait scandale.

Pionnier d'un nouveau style théâtral, Beckett a inspiré nombre de dramaturges. Il a en grande partie contribué avec les auteurs des avant-gardes des années 50, souvent regroupés sous le nom de « théâtre de l'absurde », à une libération du langage théâtral. Les pièces de Beckett mêlent profondément comique et tragique : l'absurdité dénoncée dans ses textes repose sur une confusion ironique entre le tragique et le comique.

Dans Fin de partie, Hamm et son valet Clov habitent une maison perdue au milieu de la lande, avec d'un côté une terre déserte et désolée, et de l'autre, une mer immobile et tout aussi déserte. A côté d'eux vivent Nell et Nagg, les parents de Hamm, relégués dans deux poubelles. Chacun des quatre personnages est atteint d'un handicap particulier : Clov ne peut pas s'assoir, et Hamm, pas se tenir debout. Ce dernier est en outre aveugle, et fait de Clov à la fois ses jambes et ses yeux. Nell et Nagg sont quant à eux cul-de-jatte. Physiquement enfermés – dans leur corps, dans les poubelles, dans une maison perdue au milieu d'une nature hostile – les personnages sont également enfermés, de façon plus métaphysique, dans le vide de leurs vies, qui mène à la répétition, au ressassement.

Fin de Partie révèle l'absurdité de l'existence : comme les personnages le répètent au cours de la pièce, on naît pour mourir, et on accumule au cours de l'existence des joies et des peines sans aucune utilité. Le but ultime de la vie est donc la mort, et on la passe à attendre la fin.

Roger Blin, qui avait créé la première pièce de Beckett, a également mis en scène Fin de Partie pour sa création, au Royal Court de Londres, puis au Studio-théâtre des Champs-Elysées, en 1957. C'est cette mise en scène qui est reprise au Théâtre Alpha 347 en 1968. La mise en scène de Roger Blin suit à la lettre les indications de l'auteur, et s'attache à traduire scéniquement l'atmosphère de la pièce. Le jeu des acteurs insiste sur le silence, le rythme de la parole est lancinant, accentuant cette attente désespérée qui constitue le cœur de la pièce. Blin a travaillé en collaboration avec Beckett, et les images qu'il a créées sont devenues emblématiques de Fin de partie, au point que les metteurs en scène futurs auront souvent du mal à s'en détacher.

Anaïs Bonnier

Transcription

Présentateur
Au théâtre Alpha347, une fable tragique, qui est un classique de la dramaturgie contemporaine. Fin de partie de Samuel Beckett qui est mise en scène et jouée par son créateur Roger Blin, dans un décor de [Mathias]. Cette Fin de partie est celle de la vie. Beckett nous en offre une vision fantastique. Ces héros ne sont parvenus à un point extrême de misère physique, qu’ils vivent ou plutôt ils survivent dans un monde qui est devenu étrangement désertique, privé de toute autre existence. Il y a là, Hamm que joue Roger Blin, aveugle et paralysé, son valet Clove, André Julien qui lui ne peut jamais s’asseoir et les parents de Hamm, Georges Adet et Germaine de France qui, réduits à l’état de cul de jatte, demeurent dans des poubelles.
Comédien 1
Clove !
Comédien 2
Oui ?
Comédien 1
La nature nous a oubliés.
Comédien 2
Il n’y a plus de nature !
Comédien 1
Plus de nature ? Tu vas fort !
Comédien 2
Dans les environs.
Comédien 1
Mais nous respirons, nous changeons, nous perdons nos cheveux nos dents, notre fraicheur ! Nos idéaux.
Comédien 2
Alors, elle ne nous a pas oubliés !
Comédien 1
Mais tu dis qu’il n’y en a plus !
Comédien 2
Personne au monde n’a jamais pensé aussi tordu que nous.
Comédien 1
On fait ce qu’on peut.
Comédien 2
On a tort !
Comédien 1
Tu te crois un morceau hein !
Comédien 2
Mille !
Comédien 1
Han, ça ne va pas vite. Ce n’est pas l’heure de mon calmant ?
Comédien 2
Non ! Je te quitte, j’ai à faire.
Comédien 1
Dans ta cuisine ?
Comédien 2
Oui.
Comédien 1
A faire quoi je me le demande.
Comédien 2
Je regarde le mur.
Comédien 1
Le mur ? Et qu’est ce que tu vois sur ton mur ? [Money ! Money !] des corps nus ?
Comédien 2
Je vois ma lumière qui meurt.
Comédien 1
Ta lumière qui…. Hoho. Qu’est ce qu’il faut entendre, et bien, elle mourra tout aussi bien ici ta lumière. Regarde-moi un peu, et tu m’en diras des nouvelles de ta lumière.
Comédien 2
Tu as tort de me parler comme ça !
Comédien 1
Pardon. J’ai dit pardon !
Comédien 2
Je t’entends !
Comédien 1
Des graines ont levé ?
Comédien 2
Non.
Comédien 1
Tu as gratté un peu voir si elles ont germé ?
Comédien 2
Elles n’ont pas germé !
Comédien 1
C’est peut-être encore trop tôt !
Comédien 2
Si elles devaient germer, elles auraient germé ! Elles ne germeront jamais !
Comédien 1
Haann c’est moins gai que tantôt, mais c’est toujours comme ça en fin de journée, n’est-ce pas Clove ?
Comédien 2
Toujours,
Comédien 1
C’est une fin de journée, comme les autres, n’est-ce pas Clove ?
Comédien 2
On dirait !
Comédien 1
Mais qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce qui se passe ?
Comédien 2
Quelque chose suit son cours.