L'Amante anglaise de Marguerite Duras

14 mars 1982
03m 29s
Réf. 00218

Notice

Résumé :

Les comédiens Pierre Dux et Madeleine Renaud sont interviewés par Michael Lonsdale, qui leur demande de présenter leur personnage, et le sujet de la pièce. Dans un second temps, on peut voir un extrait de cette pièce, et constater que le dispositif de l'interview est totalement semblable au dispositif scénique, où les comédiens, assis face au spectateur devant le rideau de fer du théâtre, sont interrogés par un homme placé dans le public.

Date de diffusion :
14 mars 1982
Source :
TF1 (Collection: Pleins feux )

Éclairage

L'Amante Anglaise raconte l'histoire d'un crime. Celui que Claire Lannes a commis à l'encontre de sa cousine Marie-Thérèse Bousquet. A l'origine traité sous forme d'une pièce de théâtre (Les Viaducs de Seine et Oise), le thème est ensuite repris par Marguerite Duras sous forme de roman (L'Amante Anglaise), roman ensuite adapté au théâtre. De cette dernière adaptation naît un troisième texte, remanié, Le Théâtre de l'Amante Anglaise. Au commencement de ces trois ouvrages, un fait divers découvert par l'auteur : en 1949, à Savigny-sur-Orge, une femme avait assassiné son époux, puis, ayant dépecé le corps, l'avait jeté depuis un viaduc dans des trains de marchandises, pensant ainsi éparpiller les morceaux. Elle a été retrouvée grâce au recoupement ferroviaire, qui a mis en évidence que tous les trains ayant contenu un morceau du corps avaient circulé sur ce viaduc. Ayant découvert ce fait divers dans une chronique journalistique, Duras s'intéresse alors particulièrement au personnage de l'assassin, ayant appris que la criminelle, « inlassablement, posait des questions pour essayer de savoir le pourquoi de ce crime-là, qu'elle, elle avait commis. Et qu'elle n'y était pas parvenue » (Note à l'édition du Théâtre de l'Amante Anglaise, éd. Gallimard, col. L'imaginaire, 1991, p. 11).

L'Amante Anglaise est un roman particulier parce qu'entièrement dialogué, au discours direct. Dans ce roman, trois personnages sont interrogés successivement par un interrogateur, journaliste ou chroniqueur, qui affiche clairement son but : comprendre le geste de Claire. Successivement, le lecteur découvre les versions du cafetier qui les a accueillis le soir de la révélation, la version de l'époux de Claire, Pierre Lannes, et celle de Claire elle-même. Dans Le Théâtre de l'Amante Anglaise ne subsistent que deux versions : celle de Pierre, et celle de Claire. Le dispositif, pourtant, est strictement identique à celui du roman : deux personnes face à un interrogateur relatent les faits qui ont conduit au crime.

La vidéo laisse subsister une interrogation, qui témoigne de la constante évolution des textes de Duras : Pierre Dux parle, au début de l'interview, de trois voix (le cafetier, le mari, la femme). Il n'en subsiste, dans le texte publié longtemps après la création de la pièce, que deux voix. Il est donc probable que, depuis la création de la pièce, le texte ait encore bougé, à moins qu'il n'ait encore bougé au cours des répétitions.

L'identité très forte qui subsiste entre le texte du roman et celui de la pièce de théâtre qui en est tirée, pose la question du genre chez Marguerite Duras. Chez elle, en effet, les genres sont profondément imbriqués. Le théâtre, surtout, conserve une dimension très littéraire et narrative, et lorsque le roman, comme ici, est dialogué, il comporte une théâtralité évidente. Mais, au niveau de la théâtralité, L'Amante Anglaise pose une question et un défi au metteur en scène. En effet, il s'agit d'interrogatoires, de formes essentiellement statiques. Dans l'édition qui relate la mise en scène, Duras décrit un dispositif qui réduit le théâtre à sa plus simple expression : un texte et un comédien. Pas de décor : les acteurs sont assis face au public, à l'avant-scène, à l'extérieur du cadre théâtral qui place la fiction en retrait. L'un des personnages, l'interrogateur, est quant à lui totalement intégré au public, au sein duquel il se place, et peut se déplacer. Pour l'acteur, le texte pose la question de l'incarnation : doit-il réellement incarner le personnage, ou avant tout porter un texte ? On peut voir, dans cette vidéo, qu'ici, l'essentiel est bien le texte, et la façon dont les comédiens lui donnent vie, se laissent traverser par lui dans un jeu minimaliste, très peu incarné.

Anaïs Bonnier

Transcription

Journaliste
Pierre Dux, quel est le titre de la pièce ?
Pierre Dux
L’Amante anglaise de Marguerite Duras.
Michael Lonsdale
Et la mise en scène ?
Pierre Dux
La mise en scène est de Claude Régy.
Michael Lonsdale
Et le personnage interprété ?
Pierre Dux
Le personnage que j’interprète s’appelle Pierre Lannes. C’est le deuxième personnage interrogé dans cette pièce qui se compose de trois interrogatoires, faits par un questionnaire. Mon personnage, c’est celui du mari de la criminelle et ce personnage, au cours de l’interrogatoire qu’il va subir, va se rendre compte petit à petit de sa culpabilité. Mais, je suis le deuxième interrogé, le premier est un cafetier témoin, qui est joué par Jean-Marie Pate, et le troisième interrogé, c’est la criminelle elle-même, Madeleine Renaud.
Michael Lonsdale
Madeleine Renaud, qui interprétez-vous dans l’Amante anglaise ?
Madeleine Renaud
Et bien j’interprète un rôle complexe, si je puis dire. Mais, mon dieu, il y a peut-être beaucoup d’êtres humains comme ça, qui frisent, sans douter, la folie, qui mélangent la folie et l’amour. L’amour qu’elle a eu dans sa vie, l’amour qu’elle est prête à avoir encore maintenant. Et qui commet un crime assez grave.
Michael Lonsdale
Dans la pièce, vous êtes interrogée par quelqu’un, une voix d’interrogateur ?
Madeleine Renaud
Oui, qui est mon adorable ami, qui est justement en face de moi, et qui m’interroge pour de bon, Michael Lonsdale.
Michael Lonsdale
Claire Lannes, vous habitez [Viorne] depuis quand ?
Madeleine Renaud
Depuis que j’ai quitté Cahors, à part 2 ans à Paris.
Michael Lonsdale
Depuis votre mariage avec Pierre Lannes ?
Madeleine Renaud
Oui, c’est ça !
Michael Lonsdale
Vous n’avez pas d’enfant ?
Madeleine Renaud
Non.
Michael Lonsdale
Vous ne travaillez plus ?
Madeleine Renaud
Non !
Michael Lonsdale
Et quel était votre dernier travail ?
Madeleine Renaud
Femme de service à la communale, on rangeait les classes.
Michael Lonsdale
Vous avez reconnu être l’auteur du meurtre de Marie-Thérèse Bousquet, votre cousine ?
Madeleine Renaud
Oui.
Michael Lonsdale
Vous reconnaissez aussi n’avoir eu aucun complice, avoir agi seule ?
Madeleine Renaud
Oui.
Michael Lonsdale
Vous persistez à dire que votre mari ignorait tout de ce que vous avez fait ?
Madeleine Renaud
Il ne s’est jamais réveillé. Mais je ne comprends pas ce que vous voulez ?
Michael Lonsdale
Parler avec vous.
Madeleine Renaud
Du crime ?
Michael Lonsdale
Oui !
Madeleine Renaud
Ah bon !
(Silence)
Michael Lonsdale
Vous voulez bien dire qui vous êtes ?
Pierre Dux
Je m’appelle Pierre Lannes, je suis originaire de Cahors, je suis fonctionnaire au ministère des finances.
Michael Lonsdale
Vous habitez [Viorne] depuis 1944, depuis 22 ans ?
Pierre Dux
Oui ! A part deux ans à Paris, après notre mariage, nous sommes toujours restés ici.
Michael Lonsdale
Vous vous êtes marié à Claire Amélie Bousquet à Cahors en 1942 ?
Pierre Dux
Oui !
Michael Lonsdale
Avant de commencer, je vous rappelle que vous n’êtes pas obligé de répondre aux questions et que vous êtes libre de partir quand vous le voudrez.
Pierre Dux
Oui.
(Silence)