Antigone de Brecht, mis en scène par Jean-Pierre Miquel

23 décembre 1972
03m 19s
Réf. 00311

Notice

Résumé :

Interview du metteur en scène Jean-Pierre Miquel, qui souligne la portée politique de la pièce telle que Brecht la réécrit à partir de Sophocle : Antigone elle-même ne prend conscience des implications politiques de son geste que lors de sa confrontation avec Créon. Extrait du spectacle : confrontation Antigone-Créon.

Date de diffusion :
23 décembre 1972
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Après Cocteau et Anouilh (voir ce document), Bertolt Brecht décide en 1948 de réécrire la tragédie de Sophocle, en s'appuyant pour l'essentiel sur la traduction-adaptation d'Hölderlin. Sa visée n'est pas de restituer l'universalisme du mythe grec, mais de le mettre au service d'un propos politique fortement inscrit dans son époque. Brecht cherche en effet à analyser, à travers les personnages de Sophocle, l'attitude des Allemands sous le IIIe Reich : la résistance de gens ordinaires qui, comme Antigone, y sont poussés par les usages et les circonstances, ou la spirale de la tyrannie où sombrent les détenteurs du pouvoir. Pour resserrer encore l'analogie, Brecht modifie le dénouement en donnant à Argos une victoire écrasante sur Thèbes, et fait précéder le début de la pièce d'une scène-prologue située pendant la Seconde Guerre mondiale.

Si l'action de la pièce de Brecht est inscrite dans un temps et un contexte beaucoup plus familiers que ceux de Sophocle pour son public, il ne cherche pas pour autant à appuyer cette proximité par une esthétique psychologisante : son Antigone, comme la plupart de ses pièces, relève d'un théâtre « épique », où le geste de présentation au spectateur est explicite et où les comédiens abordent leur rôle comme à la troisième personne. Il s'agit, ce faisant, d'empêcher l'illusion et de rappeler au spectateur le jugement actif que l'on attend de lui.

La mise en scène proposée par Jean-Pierre Miquel au Théâtre de l'Odéon au cours de la saison 1972-1973, avec la troupe de la Comédie-Française, assume pleinement la visée politique de l'œuvre de Brecht, tout en élargissant sa portée à des contextes moins ouvertement totalitaires.

Céline Candiard

Transcription

Jean-Pierre Miquel
Brecht, écrit Antigone ou adapte Antigone de Sophocle, en pensant, exclusivement à Hitler, en pensant à l’actualité de son temps, c’est-à-dire justement, à un tyran qui porte la guerre à l'extérieur ; une guerre impérialiste qui vise à la rapine comme dit Brecht, c’est-à-dire une guerre économique.
Journaliste
Et Antigone représente-t-elle la résistance en somme ?
Jean-Pierre Miquel
Non. Non, et ça je crois que c’est tout l’intérêt, toute l’ambiguïté de la pièce, c’est que Antigone accomplit un acte usuel, un acte sacré, qui est d’enterrer son frère et c’est uniquement pour obéir à cet usage qu’elle accomplit cet acte.
François Chaumette
Tu as osé enfreindre mon décret ?
Bérangère Dautun
Parce qu’il était le tien, celui d’un mortel, un mortel peut l’enfreindre. Et je suis simplement un peu plus mortel que toi. Mourir avant l’heure, ce qui je pense va m’arriver. Je dis que j’y gagnerai à ceux qui, comme moi, vivent une vie malheureuse. La mort n’est-elle pas de quelques profits ? Qui plus est quels tourments j’aurais éprouvés si j’avais laissé mon frère sans sépulture. Maintenant, j’attends ce qu’on va faire de moi. Mais rien ne me tourmente, les Dieux ne veulent pas voir le corps déchiqueté que la terre ne recouvre pas. Et s’il te semble que j’ai perdu le sens de craindre leur colère et non la tienne qu’un insensé alors soit maintenant mon juge.
Jean-Pierre Miquel
Et c’est par la suite, pendant la confrontation avec Créon, qu’elle prend conscience qu’il s’agit d’un acte exemplaire et que cet acte peut avoir une portée politique et qu’à ce moment-là, elle peut contribuer à renverser Créon ou en tout cas, à lever une opposition dans la cité contre Créon.
François Chaumette
La dureté du fer le plus dur disparaît dans la chaleur du four. Tu vois ça tous les jours mais elle, elle prend plaisir à troubler les lois établies. Et c’est être deux fois insolente que de faire ce qu’elle a fait puis l’ayant fait, de s’en vanter, d’en rire, qu’on soit pris à commettre le mal et qu’on dise avoir fait une chose admirable. Voilà, ce que je déteste. Et pourtant, elle, qui est de mon sang et qui m’a offensé, je ne veux pas, moi qui suit de son sang, la condamner ainsi. Je te pose une question ce que tu as accompli secrètement, étant devenu public, accepterais-tu de dire ? Tu éviterais alors un châtiment sévère, que tu le regrettes. Dis-moi donc pourquoi tu t’obstines ?
Bérangère Dautun
Disons, pour l’exemple.