Diderot à corps perdu, d'après les écrits et la correspondance de Diderot

03 février 1979
04m 39s
Réf. 00357

Notice

Résumé :

Un spectacle biographique où se mêlent philosophie et propos galants, dans une mise en scène de Jean-Louis Barrault, racontant la relation paradoxale entre Diderot et l'une de ses maîtresses, Sophie Volland. Extraits du spectacle et interview des acteurs.

Date de diffusion :
03 février 1979
Source :

Éclairage

Diderot est un homme aux multiples facettes, auteur, philosophe, critique, il s'intéresse à tous les domaines : arts, politique, sciences. Son regard et son cheminement intellectuel embrassent l'ensemble des grands débats qui agitent le siècle des Lumières : le rapport à la nature, l'évolution des formes artistiques, la morale, la religion, l'éducation... une vaste recherche dont L'Encyclopédie sera la clé de voûte.

En 1979, Jean-Louis Barrault, dans sa mise en scène de Diderot à corps perdu, choisit de se confronter à cette figure exemplaire du XVIIIe siècle mais en exposant le personnage de Diderot dans un aspect sans doute moins connu, plus intimiste. Barrault met l'accent sur la liaison que Diderot entretenait avec Sophie Volland, en se rapportant notamment aux échanges épistoliers et à la correspondance fournie qu'entretenait les deux amants, qui se sont aimés, pendant près de trente ans, à distance. Le texte du spectacle repose sur un montage réalisé par Elisabeth de Fontenay à partir des écrits de Diderot et de ses lettres, celles de Sophie Volland étant à ce jour perdues.

Comme l'indique le titre de la pièce, Diderot à corps perdu, Jean-Louis Barrault balance à la fois entre le portrait et le documentaire ; le spectacle, pour mettre au jour l'un des aspects fondamentaux de la pensée de Diderot, souligne d'un côté la façon dont le philosophe dresse à travers son œuvre une « apologie du corps humain », comment il conçoit le monde à travers les perceptions corporelles, tout en dévoilant pour le spectateur une écriture faite de tendresse ou de fulgurance à travers ses échanges avec Sophie Volland.

Cette percée dans la sphère privée, dans les écrits littéraires et scientifiques de Diderot, laisse un témoignage tout à fait intéressant sur le travail de Jean-Louis Barrault quant à son exploration du XVIIIe siècle (on lui doit notamment un Zadig d'après Voltaire, voir ce document) et signale également une tendance très nette, avec l'avènement et le règne du metteur en scène depuis le début du XXe siècle, à s'emparer de matériaux non théâtraux pour construire la représentation. L'adaptation théâtrale devient d'une certaine façon un champ d'expérimentation où confronter des documents de nature diverse pour faire apparaître la complexité d'une figure comme à travers un prisme et développer sur le plateau l'idée d'un espace critique avec l'invention de formes dramatiques ou narratives composites.

Céline Hersant

Transcription

Journaliste
Heureux public français qui, en quelques mois, aura découvert ou plutôt redécouvert nos plus grands philosophes. Après Voltaire et Rousseau, c’est maintenant Diderot, un Diderot chaleureux et aimant la bonne vie bien différent de celui que nous dépeignait nos livres d’écolier que nous offre Jean-Louis Barrault, encore lui, au petit Orsay.
Catherine Sellers
Le bonheur habitait une fois sur la terre. Soit que ce pauvre séjour ne fut pas fait pour lui, soit qu’il soit léger de sa nature, il s’en alla je ne sais où ; au ciel peut-être ou sous la tombe. Mais en s’en allant, il laissa ses vêtements. Et la peine, qui marchait toujours derrière lui et qui ne trouvait personne qui voulut l’héberger, s’en saisit. Et c’est elle qui se présente sans cesse à nous sous le vêtement du plaisir. Nous courrons l’embrasser, mais nous n’embrassons que la peine sous le vêtement du plaisir.
Pierre Arditi
Et le nom que je porte, Rameau, hum. S’appeler Rameau…, c’est gênant, non ? Pour n’obtenir que la renommée de son père, il faut être beaucoup plus habile que lui, il faut avoir hérité de sa fibre. Et bien moi la fibre m’a manqué. Oui, le poignet s’est dégourdi, l’archet marche, le pot bout. Seulement, j’ai beau frapper et secouer, il ne sort rien, ou il n’y a personne ou l’on ne veut pas répondre.
Jean Topart
Et comment se fait-il qu’avec une sensibilité aussi fine vous soyez si aveugle au charme de la vertu.
Pierre Arditi
C’est apparemment qu’il y a là encore une fibre qui ne m’a point été donnée, ou c’est peut-être que j’ai beaucoup vécu avec de bons musiciens et de méchantes gens. D’où il est arrivé que mon oreille est devenue très fine et que mon cœur est devenu sourd. Mon sang est le même que celui de mon père, mais la molécule paternelle était dure et obtuse. Et à cette maudite molécule première s’est assimilé tout le reste.
Journaliste
Quel est ce Diderot que l’on nous présente ?
Jean Topart
Ah, c’est un personnage débordant de sève, aimant toutes sortes de choses curieuses dans toutes sortes de domaines. Merveilleux à jouer pour un comédien parce qu’il a mille facettes, il a une santé, une verve extraordinaire, et désireux de connaître toutes sortes de choses. Et puis en même temps tout à fait lucide et d’une sensibilité un petit peu féminine.
(Musique)
Journaliste
Qui était donc Sophie Volland ?
Catherine Sellers
C’est un personnage très mystérieux. En fait, on sait très peu de choses d’elle. Ce qu’on sait d’elle, c’est qu’elle a été pendant 30 ans l’amie de Diderot parce qu’il lui a écrit pendant 30 ans des lettres extraordinaires. Mais en fait d’elle, on ne sait rien, même pas... enfin elle ne s’appelait même pas Sophie, c’est lui le philosophe qui l’avait appelée Sophie parce qu’il était l’amant de la sagesse. On sait qu’elle portait des lunettes parce qu’il dit dans ses lettres qu’elle frottait ses lunettes contre sa manche, on sait qu’elle avait une poitrine de chat, et il le dit, et qu’elle avait la main sèche. Donc elle était petite maigre, etc.
Jean Topart
Voilà monsieur [Chistre] qui prend sa mandore.
(Musique)
Catherine Sellers
Tout ce que ces doigts font dire à des cordes !
Jean Topart
Oh, c’est incroyable.
(Musique)
Catherine Sellers
Le joli courroux.
(Musique)
Catherine Sellers
Les voilà qui se raccommodent.
Jean Topart
Il est vrai.
Catherine Sellers
Le moyen de tenir contre un noble qui sait s’excuser ainsi.
(Musique)
Catherine Sellers
La chose importante c’est qu’ils se soient aimés pendant 30 ans, écrits pendant 30 ans, et qu’en fait ils étaient séparés pendant 30 ans ; parce qu’ils n’ont jamais vécu ensemble. Lui était marié, il avait un enfant. Elle était complètement emprisonnée par une mère bourgeoise qui 6 mois de l’année l’emmenait à la campagne. Donc ils ont passé leur amour à s'écrire, à exorciser l’absence par des lettres, vous voyez.
(Musique)