Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux par Alfredo Arias

22 mars 1987
02m 55s
Réf. 00359

Notice

Résumé :

Un extrait du spectacle Le Jeu de l'amour et du hasard, par Alfredo Arias, où l'on voit toute la fantaisie du metteur en scène dans l'utilisation de masques animaliers.

Date de diffusion :
22 mars 1987
Source :
Compagnie :
Fiche CNT :

Éclairage

Le Jeu de l'amour et du hasard est une comédie en 3 actes qui, dès sa première représentation en 1730 par les Italiens, reçoit un accueil favorable et vient davantage asseoir la notoriété de Marivaux, qui a déjà triomphé sur la scène parisienne avec La Surprise de l'amour, La Double inconstance (voir ce document) et L'Ile des esclaves.

Cette pièce, qui est sans doute la plus célèbre et la plus jouée du répertoire de Marivaux, concentre les grandes thématiques et les ressorts auxquels l'auteur a régulièrement recours, tout comme Lesage ou Beaumarchais : on y retrouve les rôles traditionnels de la comédie (Dorante, Silvia, Arlequin...), une exploitation du rapport entre maîtres et valets, la question du mariage et des mésalliances, l'opposition de deux familles, la satire du petit bourgeois de province et du notable parisien. Le mariage arrangé par Orgon entre Silvia et Dorante doit bientôt avoir lieu. Les deux futurs époux, qui ne se sont jamais rencontrés et pour apprendre à se connaître sans dévoiler leur véritable identité, prennent chacun le déguisement de leurs suivants. Ces travestissements génèrent grand nombre de quiproquo entre maîtres et valets : Silvia manque de perdre Dorante, et les couples menacent de ne pas se former. Tout finit par rentrer dans l'ordre quand Silvia avoue sa véritable identité et déclare sa flamme à Dorante.

Marivaux ajoute cependant une dimension originale à ces conventions comiques en plaçant le hasard au centre de son dispositif : alors que les rôles et les prédispositions sociales semblent distribués d'entrée par le sort, un coup de dés, une péripétie, sont à même de tout renverser. L'ordre établi, par une pirouette carnavalesque et un jeu de travestissement complexe entre les maîtres et les valets, se voit ainsi retourné comme un gant : les personnages, confondus, ne savent plus qui aimer, mais au final l'amour triomphe de tous les obstacles dès que les masques sont levés.

Ce spectacle a d'abord été créé au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers en 1986 avant d'être repris, l'année suivante, aux Célestins de Lyon. Le parti pris dans la mise en scène peut paraître étonnant mais rejoint, à travers le jeu de masques - où l'on retrouve l'influence de Grandville, un caricaturiste du XIXe siècle - et le travail sur les postures corporelles, la tradition du théâtre des Italiens pour présenter la pièce de Marivaux comme une farce, « à la manière des singeries du XVIIIe siècle » [1]. Alfredo Arias et le Groupe Tse, par cette approche, offrent une lecture proche du conte et du merveilleux en même temps qu'une vision critique pleine d'humour et de fantaisie autour de l'acte théâtral en faisant de l'acteur un animal et qui plus est, un singe parlant.

[1] Dossier de presse du Théâtre des Célestins de Lyon en 1988 pour Le Jeu de l'amour et du hasard par Alfredo Arias.

Céline Hersant

Transcription

(Musique)
Comédienne 1
J’ai plus d’intérêt à ce serment-là que vous et je le fait de tout mon cœur.
Comédien 1
Votre bonté m’éblouit et je me prosterne devant elle.
Comédienne 1
Arrêtez-vous ! Je ne saurais vous souffrir dans cette posture-là, je serais ridicule de vous y laisser ; levez-vous. Voilà encore quelqu'un. Que voulez-vous Lisette ?
Comédienne 2
J’aurais à vous parler Madame.
Comédien 1
Ne voilà-t-il pas ! Eh ma mie revenez dans un quart d'heure. Allez, les femmes de chambre de mon pays n'entrent point qu’on ne les appelle.
Comédienne 2
Monsieur, il faut que je parle à Madame !
Comédien 1
Mais voyez l’opiniâtre soubrette ! Reine de ma vie renvoyez-la. Retournez-vous-en, ma fille, nous avons ordre de nous aimer avant qu’on nous marie, n’interrompez point nos fonctions
Comédienne 1
Ne pouvez-vous pas revenir dans un moment, Lisette ?
Comédienne 2
Savez-vous bien que vous me charmez Dorante ?
Comédien 2
Ne gênez donc plus votre tendresse, et laissez-la répondre.
Comédienne 2
Enfin, j’en suis venue à bout ; vous, vous ne changerez jamais ?
Comédien 2
Non, ma chère Lisette.
Comédienne 2
Que d’amour.
(Bruit)
Comédienne 2
Ah, mon père vous avez voulu que je fusse à Dorante, venez voir votre fille vous obéir avec plus de joie qu’on n’en eut jamais.
Comédien 2
Qu’entends-je ! Vous son père, Monsieur ?
Comédienne 2
Oui, Dorante, la même idée de nous connaître nous est venue à tous deux. Après cela, je n’ai plus rien à vous dire, vous m’aimez, je n’en saurais douter. Mais à votre tour, jugez de mes sentiments pour vous. Jugez du cas que j’ai fait de votre cœur par la délicatesse avec laquelle j’ai tâché de l’acquérir.
Comédien 3
Connaissez-vous cette lettre-là ? Voilà par où j’ai appris votre déguisement, qu’elle n’a pourtant su que par vous.
Comédien 2
Je ne saurais vous exprimer mon bonheur, Madame. Mais ce qui m’enchante le plus, ce sont les preuves que je vous ai données de ma tendresse.
Comédien 4
Dorante me pardonne-t-il la colère où j’ai mis Bourguignon ?
Comédien 2
Il ne vous la pardonne pas. Il vous en remercie.
Comédien 1
De la joie, Madame ! Vous avez perdu votre rang, mais vous n’êtes point à plaindre, puisque Arlequin vous reste.
Comédienne 1
Belle consolation ! Il n’y a que toi qui gagnes à cela.
Comédien 1
Je n’y perds pas. Avant notre reconnaissance, votre dot valait mieux que vous, à présent vous valez mieux que votre dot. Allons saute Marquis !