Les conditions d'enregistrement des séries « Au théâtre ce soir » à Marigny

26 novembre 1966
10m 27s
Réf. 00373

Notice

Résumé :

Interview de Pierre Sabbagh, expliquant en quoi le Théâtre Marigny est idéalement conçu pour l'enregistrement des émissions « Au Théâtre ce soir ».

Date de diffusion :
26 novembre 1966
Source :
Artistes et personnalités :
Thèmes :

Éclairage

Dans les années 1950, les dramatiques télévisuelles constituent un moment phare des programmations de la télévision publique. On enregistrait alors les pièces de théâtre dans les studios des Buttes-Chaumont, en noir et blanc. Le pouvoir et les pionniers de la télévision prennent rapidement conscience de la capacité de ce média à toucher un large public et, très vite, les institutions et les instances télévisuelles vont s'attacher à promouvoir des émissions culturelles. La télévision permet en effet de démocratiser les objets culturels pour les foyers même modestes et les spectateurs de province, en proposant des événements à la fois pédagogiques et divertissants (information, documentaires, pièces de théâtre, fictions, etc.) qui leur seraient autrement inaccessibles. C'est dans ce contexte que Jacques Santelli créera notamment la série « Le théâtre de la jeunesse » qui donnera lieu à de nombreuses adaptations de romans du XIXe siècle et dont la plus célèbre référence sera Les Mystères de Paris d'après Eugène Sue.

Dans cette aventure didactique, le théâtre n'est pas en reste et Pierre Sabbagh, en créant la série « Au théâtre ce soir », fera de la dramatique théâtrale l'un des fleurons de la télévision française. « Au théâtre ce soir » sera diffusé de 1966 à 1984 sur les deux premières chaînes de l'ORTF (qui deviendront TF1 et Antenne 2) et bénéficiera rapidement du passage à la couleur (le 1er octobre 1967). L'émission qui au total aura permis la diffusion de près de 400 pièces de théâtres a été aussi un tremplin non négligeable pour un grand nombre d'auteurs et de comédiens de théâtre, dont les noms ou les visages étaient inconnus du grand public. La plupart des pièces étaient mises en scène par Jacques Ardouin, Jean-Laurent Cochet, Robert Thomas ou Jean Piat et ont toutes été réalisées soit par Pierre Sabbagh, soit par Georges Folgoas et avec une équipe qui restera inchangée pendant toute la durée de la série (Jean Jacques Bricaire pour les choix littéraires, l'administratif et les cas-tings ; Fred Kiriloff pour les lumières ; Pierre Billard pour la prise de son ; Yvette Boussard pour le script ; Roger Harth pour les décor et Donald Cardwell pour les costumes dont les deux noms étaient toujours cités à la fin des retransmissions).

Comme l'explique Pierre Sabbagh dans le document présenté ici, « Au théâtre ce soir » constitue en soi une véritable gageure, puisque le dispositif hybride, entre l'enregistrement studio et la représen-tation théâtrale, n'autorise pas les ratés. Le risque de la défaillance technique ou d'une erreur sur le plateau sont irréparables. Cependant, il faut considérer le fait que les pièces, même si elles sont fil-mées en direct et en public, ne sont jamais retransmises telles quelles. Sabbagh ou Folgoas réalisent en effet des captations à partir de deux ou trois représentations avant de monter les meilleures prises et de les diffuser.

Cette archive montre également de façon très intéressante les difficultés inhérentes à l'enregistrement de représentations théâtrales pour la télévision et notamment les contraintes impo-sées par la plantation du décor théâtral. Puisque tout est filmé depuis la salle, les comédiens doivent prendre en compte non seulement le public présent mais aussi le téléspectateur et orienter leur jeu pour faciliter les prises de vue et les prises de son. Quelques pièces ont été enregistrées au théâtre Edouard VII mais c'est surtout au théâtre Marigny – inauguré sous la direction d'Offenbach en 1855, et dont l'architecture a été réaménagée à plusieurs reprises, notamment par Charles Garnier en 1880 – que l'essentiel des enregistrements ont eu lieu. Le théâtre Marigny, qui a connu plusieurs rénovations au cours du XXe siècle, se prêtait idéalement, par son aspect circulaire, ses dimensions et la modernité de ses installations, à l'intégration des équipements télévisuels.

Céline Hersant

Transcription

Présentateur
Avant-hier, jeudi, dans la série "Au Théâtre Ce Soir " de Pierre Sabbagh, la télévision vous a présenté une comédie de Michel Fermaud, Les Portes claquent . Micro et caméra s’est rendu au théâtre Marigny et a assisté pour vous aux répétitions et à l’enregistrement de cette émission.
(Bruit)
Intervenant
Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, l’office de radiodiffusion télévision française est heureux, par la bouche de Pierre Sabbagh, de souhaiter la bienvenue au théâtre Marigny. Au théâtre Marigny, vous allez voir cet après-midi, Les Portes Claquent de Michel Fermaud dans une mise en scène de Christian Gérard. Mais si vous êtes confortablement installés dans ce théâtre, il est certain que vous êtes également dans un studio de télévision. Vous voyez des micros, vous voyez des projecteurs, vous en verrez encore plus et bien entendu, vous avez remarqué les caméras. Qui dit studio de télévision, dit émission. En effet, cette émission est enregistrée cet après-midi et nous avons besoin de vous, nous avons besoin de votre collaboration, car vous êtes le public et nous vous demandons instamment de jouer votre rôle de public. Je veux dire par là qu’il faut que vous soyez vous-même. Oh, non, ne craignez rien. Vous n’aurez pas de panneau silence, riez, applaudissez, il n’y en a pas. Si vous avez envie de rire, riez largement, franchement, vous nous rendez service. Si vous désirez applaudir, faites-le librement et franchement. Ne pensez pas aux micros, ne pensez pas aux caméras, faites en abstraction, soyez vous-même.
(Bruit)
(Silence)
Présentateur
Pierre Sabbagh, une émission comme "Au Théâtre Ce Soir" implique trois problèmes, un théâtre, une troupe et les problèmes propres de la télévision. Comment les avez-vous résolus ?
Pierre Sabbagh
Et bien, ça a été assez difficile et d’après les différents problèmes, le premier dans l’ordre c’était d’avoir le théâtre. Et bien, le théâtre que j’ai trouvé, et j’ai bien heureusement trouvé le théâtre Marigny. C’est bien évidemment un théâtre qui permet, par sa construction, beaucoup de choses pour la télévision, car nous pouvons disposer ici d’une cinquantaine de perches sur scène. C’est peut-être un peu technique, mais pour nous c’est indispensable, c’est merveilleux. J’ai trouvé un jeu d’orgue, un jeu d’orgue double sur lequel le chef opérateur peut travailler librement, facilement et peut changer ses éclairages en cours de représentation sans coup férir. J’ai trouvé d’autre part un éclairage, comme il y en a peu je veux dire par-là, que l’éclairage existe partout. Il est pris dans la maçonnerie, l’éclairage à incandescence, les lampes au xénon. Et d’autre part, ça c’est un de mes caprices, la rampe est escamotable. C’est pourquoi dans les émissions "Au Théâtre Ce Soir", il n’y a jamais de rampe, on ne la voit pas car on la fait disparaître. Il y a les herses, il y en a de nombreuses. Bref, sur le plan lumière, on peut travailler et on peut par, encore une fois, parce que ce théâtre est nouveau, propre, neuf, on a des branchements d’EDF qui nous permettent d’avoir une puissance électrique qui permet de rajouter et de faire un éclairage, un éclairage télévision. Et je viens là même d’enchaîner avec le deuxième problème qui est le problème télévision ; car certes, j’ai voulu avoir des caméras, disons qui soient à la hauteur de l’oeil du comédien. C’est-à-dire qu’il faut donner, je crois, la dimension humaine du comédien et de la pièce. Par conséquent, si on se met au balcon, si on pique, on a du plancher et des crânes, mais on n’a pas des hommes et des femmes qui jouent quelque chose. Et d’autre part, j’ai voulu garder le théâtre, je veux dire par-là, le mystère du théâtre, la cérémonie du théâtre, les trois coups du théâtre. Et je veux peut-être un peu aller loin, mais je dirais presque la communion du théâtre entre les comédiens et la salle. Par conséquent, c’est un compromis entre la télévision, son éclairage, ses prises de son, ses caméras sans découpage et le théâtre. Nous... nous oscillons toujours entre les deux, et je crois que c’est ce qui est intéressant, et je crois que c’est ce qui a plu au public. Car quand nous donnons un gros plan, le spectateur n’est plus capable de savoir si nous sommes sur un théâtre ou dans un studio de télévision, mais très vite nous revenons à un plan plus large où on voit le public, et on accroche sur le public. Mais là encore, intervient un autre phénomène, c’est le phénomène de décor, car il nous faut des décors du théâtre et nous avons des décors du théâtre, mais ce sont des décors du théâtre qui ont fait un pas vers la télévision. C’est-à-dire, ce ne sont pas des décors de toile, ce ne sont pas des toiles, ce sont des décors qui sont construits, mais montés avec une technique théâtre, c’est-à-dire qui va vite. Et là encore, je tiens à rendre hommage au théâtre Marigny, à la collaboration de la direction et tout le personnel, car évidemment, le théâtre Marigny qui est un théâtre municipal, a un cahier de charges. Il joue, il joue à l’année et il doit jouer. C’est sa carrière, sa mission, sa raison d’être. Et en plus, il y a la télévision. Alors, il faut des décors qui soient très vite démontés, très vite reconstruits et qu’on puisse travailler sur le plateau librement avec les comédiens. Le problème des comédiens, il n’a pas été simple parce que, était-ce du théâtre ou était-ce de la télévision ? Ben, ce n’est ni du théâtre ni de la télévision, c’est un peu autre chose. Bien sûr en finalité, c’est de la télévision, c’est évidemment de la télévision. Alors cette télévision, eh bien, ils sont engagés par la télévision, mais qui, à vrai dire, les cherche. Et bien, c’est le théâtre Marigny. Le théâtre Marigny propose une distribution, quelle distribution ? Et bien, Hubert de Malet et moi, nous en parlons. C’est en fonction de la création de la pièce, des personnages qui collent avec la pièce, et d’autre part, de ceux qui l’ont déjà jouée, qui peuvent le rejouer. Et d’autre part aussi, la liberté des comédiens, car évidemment, il est évident que les comédiens ne nous attendent pas, les comédiens peuvent travailler ailleurs tant à la radio qu’à la télévision, qu’au théâtre, qu’au cabaret, que pour des galas, qu’à l’étranger, pour des films. Par conséquent, il faut trouver, disons, des passages étroits pour faire des distributions. Et après, ils ne sont plus engagés comme comédien de théâtre, mais engagés comme comédiens de télévision. C’est extraordinairement rapide c’est-à-dire que la pièce est mise en répétition. Elle est jouée à l’italienne par les comédiens.
Présentateur
Qu’est-ce que ça veut dire à l’italienne ?
Pierre Sabbagh
D’abord, autour d’une table, on fait de la lecture. Et après ça, dans un des foyers de Marigny, au bar quelquefois, il n’y a pas de verre, il n’y a pas de bouteille à ce moment-là, rassurez-vous, ne vous inquiétez pas. Et on joue dans une plantation réduite, c’est-à-dire que les mouvements sont déjà indiqués, mais dans une plantation extrêmement réduite avec des chaises, des tabourets, des tables et c’est tout. Je croyais qu’on voit la tortue, on ne la voit pas, car comme elle assise à l’horizontale, on voit un paquet. Moi, je veux voir ce que c’est que ce paquet.
Comédienne 1
Oui, c’est dommage oui.
Pierre Sabbagh
Alors, il faut qu’elle la mette comme ça. Mais elle m’a eu l’air d’en avoir peur.
Comédienne 1
Oui, c’est vrai, elle avait un peu peur.
Comédienne 2
Elle a peur qu’elle fasse pipi sur le truc.
Pierre Sabbagh
Mais les tortues, ça ne fait pas pipi comme ça.
Comédienne 2
Mais si. C'est drôle moi...
Comédienne 1
Mais si ça fait, ça dégage un horrible, un horrible…
Comédienne 2
Tu sais que c’est drôle, je n’aime pas tellement les tortues.
Pierre Sabbagh
Oh par la coquille, enfin, hein.
Comédienne 1
Ce n’est pas la coquille qui soutient si elle la prend comme ça.
Comédienne 2
Corinne.
Comédienne 1
Si, si ça sort un…
Pierre Sabbagh
Corinne, quand vous descendez avec la tortue.
Comédienne 3
Oui.
Pierre Sabbagh
Vous la tenez comme ça.
Comédienne 3
Oui.
Pierre Sabbagh
C’est un horrible paquet, on ne voit pas ce que c’est.
Comédienne 3
Ah, ne me dites pas qu'il va falloir que la tienne autrement.
Pierre Sabbagh
Ha, Ha, Ha ! Mais non, non mais par la coquille ce n’est pas plus grave.
Comédienne 3
Non, non.
Pierre Sabbagh
Et vous la retournez, comme pour la… cette fois dans un plan vertical.
Comédienne 1
Comme un crabe, ma chérie,
Pierre Sabbagh
Les quatre pattes.
Comédienne 3
N’aie pas peur, tu la prends comme un crabe, tu sais comme ça.
Comédienne 1
Oui, oui.
Pierre Sabbagh
Non, non, pas comme ça. Ah, non, non, pas comme ça surtout pas. Surtout pas, au contraire, retournée. Retournez parce que je veux la prendre là, sur cette caméra là et j’aurai l’ovale et j’aurai les quatre pattes et la tête. Bon, on peut ou pas ? Il est certain que je leur demande beaucoup et je voudrais ici les remercier, les remercier parce que je leur demande un travail difficile, car certes Au Théâtre Ce Soir est enregistré, mais pour les comédiens c’est du direct. C’est-à-dire, on lève le rideau et on le baisse à la fin. Jamais, on ne peut recommencer. Si la réplique n’a pas été parfaitement ce qu’elle devait être, tant pis c’est passé. Vous me direz que c’est comme ça dans une salle ? Oui, c’est comme ça dans une salle devant mille personnes, mais là c’est comme ça devant 15 millions de personnes. C’est infiniment plus grave. Pour les entrées, pour la mise en scène, ça doit être extrêmement précis. Et j’ai dit mise en scène, effectivement, car chaque fois, chaque pièce, est mise en scène par un homme de théâtre et ça j’y ai beaucoup tenu, pourquoi ? Pour ne pas faire une mise en scène de télévision, pour faire une mise en scène de théâtre car, encore une fois, nous sommes au théâtre. J’ai voulu que nous soyons au théâtre, il faut que ça soit une mise en scène de théâtre. Quand le metteur en scène a fait son travail, j’interviens en demandant de changer quelque chose en fonction des prises de vue, des angles de caméra, des objectifs qui sont dessus, des lumières, des prises de son. Oui, des prises de son ; car, peut-être avez-vous remarqué qu’à la rampe, il n’y avait pas de micro. Il n’y a plus de rampe, plus d’éclairage, plus de micro. Et les micros sont toujours pendus, et les preneurs de son qui font ce travail sont des preneurs de son de reportage. Des preneurs de son de reportage, je veux dire par-là qu’ils sont habitués à se débrouiller en toutes circonstances pour avoir un son présent, un son qui est bon. Et bien ici, nous avons à peu près 10 micros par pièce, quelquefois 12, quelquefois 8, ça dépend des mouvements et des déplacements. Aujourd’hui, nous en avons 11. Et bien, ce travail exige une très grande présence du comédien. Donc un travail très précis, mais je dis extrêmement précis du preneur de son qui doit suivre exactement les déplacements comme je suis les comédiens avec les caméras. Mais comment est-ce possible ? C’est possible par un assistant au son et la script, Yvette Bouchard, qui suit elle, je dirais la pièce sans regarder une image car elle parle sans arrêt. Elle parle aussi bien au preneur de son qu’à moi-même en donnant les répliques et en donnant le déplacement, car en fin de compte dans le car si nous ne travaillons pas comme une bande perforée, très précisément, la pièce va se dérouler mais le spectateur de télévision n’en aura pas le bénéfice.