Les Boulingrin de Georges Courteline

12 mai 1970
03m 25s
Réf. 00375

Notice

Résumé :

Les premières minutes de la pièce de Courteline, filmée par André Teisseire en 1970.

Date de diffusion :
12 mai 1970
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Éclairage

Les Boulingrin, vaudeville en un acte, a été créé en 1898 au Théâtre du Grand-Guignol (Paris) avec notamment Ellen Andrée dans le rôle de Mme Boulingrin [1]. Des Rillettes entreprend de s'immiscer chez les Boulingrin et de vivre en parfait parasite chez eux. Mais les Boulingrin ne sont pas un couple ordinaire... et Des Rillettes devient rapidement l'objet de toutes les attentions des Boulingrin et un prétexte de chamaillerie supplémentaire jusqu'à devenir, malgré lui, l'arbitre de ces querelles domestiques.

Dans Les Boulingrin la scène de ménage, qui est un des poncifs du vaudeville et de la farce, est portée à son paroxysme par Courteline, qui touche déjà à l'étrangeté de l'absurde : très vite, on brise le mobilier de salon, les coups de revolver, les insultes et les cris fusent de toute part et le tout se clôture dans un incendie. La gradation des effets est telle que l'intérieur bourgeois prend les allures d'une maison de fous. Des Rillettes, pris dans cette violence et ce dérèglement incompréhensible du quotidien devient le double du spectateur, qui a de quoi rester pantois devant cette révolution de l'intérieur bourgeois.

Parmi les mises en scène les plus intéressantes de la pièce, notons celle de 1943, à la Comédie-Française, avec Pierre Dux et Jacques Charon en alternance ainsi que Jean Meyer et, plus récemment, celle de Jérôme Deschamps, sur une musique de Georges Aperghis, à l'Opéra-Comique, en 2010. Pour compléter cette rapide revue, signalons le film Scènes de ménage, réalisé par André Berthomieu en 1954, un montage à partir de trois pièces de Courteline (La peur des coups, La paix chez soi et Les Boulingrin), avec notamment en vedette Louis de Funès, Sophie Desmarets, Bernard Blier, François Perrier, Marthe Mercadier et Jean Richard ; et le téléfilm d'une trentaine de minutes de Paul Vecchiali (1995, collection « Les levers de rideau »), avec des acteurs de la Comédie-Française. Le document vidéo présenté ici est un bon exemple de la façon dont on filme le théâtre dans les années 1970 : décor construit, travellings, gros plans... ; on peut aussi, pour la comparaison, voir la réalisation de Jeannette Hubert, en 1974, avec Jacqueline Maillan, Jacques Charon et Claude Piéplu ou encore, pour la série « Au théâtre ce soir » du 31 août 1973, la réalisation de Georges Folgoas réunissant Jean Richard et Jean Meyer.

[1] Ellen Andrée, une figure féminine important du début du XXe siècle, qui a notamment été modèle pour les impressionnistes (Degas, Renoir, Manet), mime aux Folies Bergères, et comédienne chez Guitry. Elle a joué dans deux autres pièces de Courteline : Les Gaietés de l'escadron en 1899 et Le Commissaire est bon enfant, en 1900, au Théâtre Antoine.

Céline Hersant

Transcription

(Musique)
Michel Aumont
Ces Boulingrin que j’ai rencontrés l’autre jour à la table des Duclou et qui m’ont invité à venir de temps en temps prendre une tasse de thé chez eux, me paraissent de charmantes gens; et je crois que je goûterai en leur compagnie infiniment de satisfaction.
Christiane Muller
Si monsieur veut bien prendre la peine de s’asseoir ? Je vais aller avertir mes maîtres.
Michel Aumont
Je vous remercie.
Christiane Muller
Monsieur ?
Michel Aumont
Et, comment vous appelez-vous, ma belle ?
Christiane Muller
Je m’appelle Félicie, et vous ? Oh, non ce n’est pas par indiscrétion, c’est pour savoir qui je dois annoncer.
Michel Aumont
Trop juste, des Rillettes.
Christiane Muller
Des Rillettes ?
Michel Aumont
Des Rillettes.
Christiane Muller
Ma foi, j’ai connu pire que ça. Ainsi tenez dans mon pays à Saint-Casimir près Amboise, nous avions un voisin qui s’appelait Piédevache.
Michel Aumont
Oui ? Eh bien, allez donc informer de ma visite madame et monsieur Boulingrin.
Christiane Muller
J'y vais !
Michel Aumont
Au fait, non, un moment. Approchez un peu, que je vous parle. Vous n’êtes pas qu’une jolie fille, vous.
Christiane Muller
Bof…
Michel Aumont
Vous êtes aussi une fine mouche.
Christiane Muller
Bof… ça hein.
Michel Aumont
De mon côté, j’ose prétendre que je ne suis pas un imbécile.
Christiane Muller
Bof… oh, pardon, non, je pensais à autre chose.
Michel Aumont
Je crois que nous pourrons nous entendre. Il y a longtemps que vous servez ici ?
Christiane Muller
Bientôt deux ans.
Michel Aumont
À merveille, vous êtes la femme qu’il me faut.
Christiane Muller
Vous voulez m’épouser ?
Michel Aumont
Ne faites pas la bête, ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
Christiane Muller
Oh, ben, excusez. On peut se tromper.
Michel Aumont
Félicie, écoutez-moi bien, et surtout répondez franchement. Si vous mentez, mon petit doigt me le dira. En revanche, si vous êtes sincère, je vous donnerai quarante sous.
Christiane Muller
Ah, c’est trop.
Michel Aumont
Cela ne fait rien ; je vous les donnerai tout de même.
Christiane Muller
Bon alors, allez-y. Questionnez.
Michel Aumont
Entre nous, madame et monsieur Boulingrin sont de fortes aimables personnes ?
Christiane Muller
Oh ben, je vous crois.
Michel Aumont
Je l’aurais parié. Gens simples, n’est-ce pas ?
Christiane Muller
Tout ce qu’il y a de plus.
Michel Aumont
Un peu popote ?
Christiane Muller
Un peu beaucoup, oui.
Michel Aumont
Très bien, ménage très uni au surplus ?
Christiane Muller
Uni, uni ? Mais c’est au point que j’en suis quelquefois gênée. Jamais une discussion, toujours du même avis, deux tourtereaux, monsieur, deux ramiers.
Michel Aumont
Allons, je constate que mon flair aura fait des siennes une fois de plus. Je vais être ici comme dans un bain de sirop de sucre. Tenez, voilà vos deux francs, mon petit chat.
Christiane Muller
Ah, Ça ne vous gêne pas trop non ?
Michel Aumont
Non.
Christiane Muller
Alors… merci, monsieur.
Michel Aumont
Laissez donc,… jamais je n’ai moins regretté mon argent. Salut, demeure calme et tranquille, asile de paix où je me propose de venir trois fois par semaine passer la soirée cet hiver, les pieds chauffés à des brasiers qui ne me coûteront que la fatigue de leur présenter mes semelles, et abreuvé de tasses de thé qui ne me coûteront que la peine de les boire. Agréable perspective, rêve longtemps caressé, vision cent fois douce à l’âme du pauvre pique-assiette qui, sentant la vieillesse prochaine et pensant avec Racan que l’instant est venu de faire la retraite, ne demande pas mieux que de la faire, à l’œil, sous le toit hospitalier d’autrui.