Ariane Mnouchkine à propos de 1789

22 février 1971
05m 14s
Réf. 00405

Notice

Résumé :

1970, entretien avec Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes, en présence de comédiens de la troupe, à propos de la création collective 1789, et extrait du spectacle.

Date de diffusion :
22 février 1971
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Fiche CNT :

Éclairage

1789, premier volet d'un diptyque sur la Révolution française, est créé au Théâtre du Soleil, à la Cartoucherie de Vincennes, dans une mise en scène d'Ariane Mnouchkine, le 26 décembre 1970. Il est suivi deux ans plus tard (mai 1972) par une autre création collective : 1793.

En préface à l'édition du texte dans L'Avant-scène théâtre, Bernard Dort résume son propos sous le titre « L'Histoire jouée » qui traduit de manière pertinente le projet du Théâtre du Soleil avec ce diptyque. En effet, l'ambition de la troupe se concentre avant tout sur la Révolution française en tant qu'événement historique. Ce n'est pas la légende, ni ses héros, qui intéresse le Soleil, mais le quotidien des gens du peuple ou comment « cette Révolution est vue, revécue et jouée par le peuple » [1]. Les spectateurs sont invités à participer à la fête, « où le peuple revit ce qu'il a vécu, ce qu'il a fait et n'a pas fait » [2]. Loin de l'histoire officielle, les spectateurs s'immergent dans le quotidien historique d'un événement peu présent sur les scènes théâtrales à cette époque. Il y a bien eu la mise en scène de La Mort de Danton de Büchner par Jean Vilar au festival d'Avignon mais elle date de 1948 et, là encore, le débat révolutionnaire se cristallise autour de ses acteurs emblématiques (Danton, Robespierre, Saint-Just, Camille Desmoulins).

Bien que les représentations de 1789 aient eu lieu à la Cartoucherie de Vincennes, le spectacle a été conçu avant que la troupe ne s'y installe en août 1970. Auparavant le Théâtre du Soleil s'était installé au Cirque de Montmartre, avant que le lieu ne lui soit retiré en 1968. N'ayant plus d'espace fixe, la scénographie imaginée par Roberto Moscoso devait s'inscrire dans les largeurs d'un terrain de basket-ball afin de pouvoir répondre aux impératifs de tournée. De plus, « le terrain de basket fournit aux « regardés » (joueurs-acteurs) une aire propice aux mouvements d'ensemble tandis qu'il permet aux « regardants » (spectateurs) de ne rien perdre de chaque action individuelle » [3]. L'aire de jeu se trouve en adéquation avec le projet de la troupe de parler de la Révolution du point de vue du peuple, elle vient même renforcer le postulat de départ qui consiste à transmettre l'événement par la voix de bateleurs de 1789. Ainsi résonne à nouveau le théâtre de foire : une multiplicité de tréteaux permet une multiplicité de scènes et de regards, le tout à travers des récits en simultanés. Les acteurs ne sont pas des personnages mais des bateleurs qui viennent nous raconter la Révolution : « Ils restent des comédiens d'aujourd'hui qui jouent des hommes d'autrefois [...] Sans cesse, une distance née du décalage entre le comédien et sa fonction vient rectifier l'illusion. Il s'agit bien d'un groupe actuel, le Théâtre du Soleil, qui représente pour des spectateurs d'aujourd'hui l'histoire d'hier – une histoire qu'ils racontent en la jouant plus qu'ils ne la recréent et l'incarne. » [4]

Avec 1789, puis 1793, l'identité artistique du Théâtre du Soleil s'affirme, à savoir un travail de recherche collectif fondé sur les techniques de l'improvisation, alternant créations de groupe (autour d'un thème, d'une convention) et textes du répertoire (Eschyle, Euripide, Shakespeare ou Molière). Le rôle de metteur d'Ariane Mnouchkine s'impose alors que paradoxalement il consiste justement à ne pas imposer ou diriger mais à absorber, à assimiler ; elle est celle qui « [assure] la fidélité à la lecture politique des événements, [sélectionne] les textes historiques importants, [articule] les improvisations les unes aux autres, et enfin [aide] à s'accomplir tout ce qui n'était parfois qu'ébauché dans les recherches des comédiens. » [5]

[1] Bernard Dort, « L'Histoire jouée », 1789/1793, L'Avant-Scène théâtre, n° 526-527, 1er/15 octobre 1973, p. 9.

[2] Idem.

[3] « 1789-1793 et le Théâtre du Soleil » (article non signé), 1789/1793, L'Avant-Scène théâtre, n° 526-527, 1er/15 octobre 1973, p. 13.

[4] Bernard Dort, Idem.

[5] « 1789-1793 et le Théâtre du Soleil », Idem.

Marie-Aude Hemmerlé

Transcription

Journaliste
Est-ce que 1789 est une reconstitution historique ?
Ariane Mnouchkine
Non, non, je ne pense pas. Non, je pense que même au théâtre il n’y a pas de reconstitutions quelles qu'elles soient, enfin. Je pense qu’il y a une interprétation, il y a un éclaircissement, il y a une image donnée qui est d’ailleurs subjective qui est partiale. Ne me dites pas qu’il y a une reconstitution historique. Je crois qu’alors, s’il y a une volonté de reconstitution, il y a un mensonge immédiat, enfin...
Intervenant
Je crois qu'au départ, on a tout fait pour que ça ne soit pas une reconstitution puisque, on a évité de choisir l’identification aux personnages, le parti pris de faire jouer les événements par des bâteleurs, par des comédiens, déjà ça met toute une distance entre la reconstitution et le spectacle. Et en fait le début, le tout début du spectacle est justement une mise au point à ce sujet. La fuite à Varennes traitée sur le mode d’une reconstitution un peu en fin de compte.
Journaliste
Oui, précisément.
Intervenant 1
C'est-à-dire d’une certaine fidélité à une image, à l’image telle qu’elle est traditionnellement ancrée dans l’esprit des gens.
Ariane Mnouchkine
Ce qu’on a essayé de faire, si vous voulez, c’est exactement le contraire. C'est-à-dire d’utiliser ces images justement pour essayer. Ça semble prétentieux mais c’est ce qu’on voulait faire, le fait d’essayer de s’approcher de la réalité de l’événement tel qu’il avait eu lieu et tel qu’il avait été reçu par la masse des gens, la masse des Français à cette époque. Et alors, à ce moment-là, on se partageait, le matin en arrivant en répétition, on se partageait en petits groupes, 5 ou 6 groupes, et chacun de ces groupes improvisait, c'est-à-dire imaginait des situations et des scènes en essayant de traiter le mieux possible ce moment du spectacle et de l’histoire. Ce qui fait qu’on arrivait avec quelquefois 6 ou 7 ou 10 improvisations sur le même sujet. Alors donc il y a eu aussi quelques fois des improvisations qui étaient épouvantables, et dont on sentait tous que, enfin on sentait confusément qu’il y avait quelque chose, il y avait une idée. Alors à ce moment-là tous les groupes se remettaient à travailler dans cette direction là. Et quelques fois, l’obstacle qui avait fait buter le premier groupe qui avait eu l’idée mais qui n’avait pas réussi à le réaliser, quelques fois un autre groupe le réalisait. C'est... il y a eu une infinité si vous voulez de solutions et chaque jour on ne savait pas très bien ce qui allait se passer. On arrivait avec une idée déterminée, on se disait voilà, aujourd’hui, on trouve la Bastille. Bon et puis en fait, on ne trouvait pas du tout la Bastille et puis après…
Journaliste
Mais la Bastille d'ailleurs, vous ne l’avez pas montrée, vous avez fait le récit de la prise de la Bastille, vous n’avez pas fait la prise de la Bastille.
Ariane Mnouchkine
Oui, si vous voulez mais ça ça a été, parce que ça a été justement un choix de notre part au bout d’un moment de se rendre compte que finalement la prise de la Bastille au théâtre ne pouvait, justement, être qu’une reconstitution ; et que l’intérêt était de montrer, voilà, ce que c’était pour les gens qui l'avaient fait.
Intervenant 1
La prise de la Bastille, ça a été un exemple flagrant. Toutes les improvisations, qui avaient été faites sur la prise de la Bastille, n’ont convaincu personne finalement.
Intervenant 2
Et chaque petite improvisation elle racontait quelque chose. Elle racontait, racontait, racontait. Et à la fin on a trouvé que raconter, pris vraiment dans le sens le plus propre, c’était la solution. Et on a raconté.
(Chuchotements)
Comédien 1
Et on dit que la famine de 88-89 a été la plus terrible de tout le XVIIIème siècle. Et en plus, au printemps, tout le monde mourrait de faim, aussi bien le peuple des campagnes et que celui des villes. En plus, il y a eu l’appel de [inaudible].
Comédienne 1
[inaudible]. Vous vous rendez compte, ils sont à Paris. Alors, il y a eu dans ce climat de tension, de famine, c’était le dimanche 12 on apprend, qu’est-ce qu’on apprend ? 12 juillet, on apprend que Necker a été renvoyé. Et ça a fait comme une… Necker est très populaire et Necker il est populaire parce qu’il y a quelqus temps, il a eu le courage de divulguer les dépenses scandaleuses de la Cour et ça la Cour ne lui a jamais pardonné. La Reine ne lui a jamais pardonné.
Comédien 2
Le 12 juillet au petit matin, la nouvelle est arrivée à Paris. Necker, Necker était renvoyé. Il faut vous expliquer que Necker était l’unique homme de confiance du peuple à la Cour. 10 ans, 10 ans auparavant, il avait publié un livre où il signalait les dépenses monstrueuses de la Cour. Il fallait faire quelque chose, quoi, quoi faire ? On a organisé deux manifestations et ils sont parties du palais royal. Une d’elle, une d’elle s’est heurtée au jardin des Tuileries aux troupes étrangères. La troupe a chargé contre la foule, à cheval. Il y a eu des femmes, des enfants piétinés, on disait même qu’un vieillard…
Comédienne 2
Et dans toutes les églises de Paris, les hommes se sont rassemblés, en compagnonnage pour essayer de s’organiser et de faire quelque chose.