Caractéristiques du théâtre privé

12 juillet 1981
05m 27s
Réf. 00434

Notice

Résumé :

Reportage sur les caractéristiques (signes et symboles) qui fondent l'identité du théâtre privée, avec un entretien de Jean-Michel Rouzière, directeur du Théâtre du Palais Royal et du Théâtre des Variétés.

Date de diffusion :
12 juillet 1981
Source :
TF1 (Collection: Comment )

Éclairage

La division entre un secteur théâtral privé et public est un phénomène propre à la France, et à Paris en particulier. Si, dans les autres pays, il existe des théâtres privés, ceux-ci pratiquent principalement l'accueil de spectacles et non la production et la diffusion comme c'est le cas en France.

En outre, au regard de l'histoire théâtrale, cette distinction entre public et privé est un phénomène récent puisque le théâtre privé est né au XVIIIe siècle « de la convergence entre l'apparition des genres dramatiques nouveaux (le drame et ses avatars) et des conditions politiques et économiques qui vont amener l'existence d'entrepreneurs indépendants et d'un public payant » [1]. La vocation commerciale de ce théâtre constitue sans doute la principale caractéristique de ce secteur. Pour tenter d'atteindre une rentabilité financière, plusieurs stratégies sont mises en œuvre et participent de l'identité du théâtre privé aux côtés d'autres signes et symboles dans l'imaginaire collectif. Il y a d'abord le lieu, l'édifice - bâtiment datant du XIXe siècle ou rappelant ce siècle -, le rouge et or de la salle de spectacle (le rouge du rideau de scène et des fauteuils, les dorures des moulures). Il y a aussi la scénographie, le plus souvent un intérieur bourgeois reproduit dans une boîte scénique avec plus ou moins de vraisemblance. Dans cette conception de l'espace, l'accueil du public prime sur tout autre impératif. Ensuite, le répertoire, le prix des places ou le vedettariat constituent d'autres signes distinctifs. En effet, le vaudeville, dans sa version déformée du théâtre dit de boulevard, apparaît comme le genre le mieux représenté sur les scènes du théâtre privé. Tout comme la présence de personnalités connues du grand public permet d'attirer le chaland et d'élargir les publics. Selon Jean-Michel Rouzière (ancien directeur du Palais Royal et du Théâtre des Variétés), cette velléité d'ouverture des publics est confirmée par le prix des places, un large spectre permet d'accueillir des classes plus populaires, des provinciaux en vacances qui souhaitent se distraire ou encore la classe bourgeoise.

Toutefois, ce rapide panorama du théâtre privé ne prend pas en compte de ce qu'il serait possible d'appeler un théâtre de création, hérité de Dullin, Copeau, Jouvet, voire en remontant encore plus loin d'André Antoine ou d'Aurélien Lugné-Poe

De fait, la principale différence avec le secteur public est d'ordre économique et non juridique (législatif) puisque l'ordonnance du 13 octobre 1945 sur laquelle se basent les salles de spectacle ne distingue pas les secteurs privés et subventionnés.

[1] « Théâtre privé » in Michel Corvin (sld), Dictionnaire encyclopédique du théâtre à travers le monde, Paris, Bordas, 2008, p. 1112.

Marie-Aude Hemmerlé

Transcription

Journaliste 1
Pendant ce temps pour la majorité des gens, l'évocation du spectacle et surtout du théâtre se concrétise dans un cliché tenace hérité du XIXe siècle. D’abord, un certain type d’édifice : façade monumentale, colonnes grecques, masques grimaçants, cariatides joufflues. Voilà pour l’architecture et la décoration extérieure.
(Silence)
Journaliste 2
Ensuite un certain type de répertoire : le vaudeville. Pièce légère, basée sur l’intrigue au ressort comique invariable, aussi nommé théâtre de boulevard puisque c’est là qu’il règne en maître.
Journaliste 1
Réputé typiquement parisien, ce théâtre-là a aussi ses signes et ses symboles. La colonne Morris et ses affiches standard dans leur présentation, criardes et vieillottes. Le prix des places de 95 à 10 francs, selon le confort, l’altitude et la visibilité. Une certaine qualité d’accueil dans les glaces biseautées, les tapis rouges, les vestiaires payants, les ouvreuses à pourboire, les lustres de cristal.
(Silence)
Journaliste 1
Le programme vendu 15 francs avec ses publicités de luxe et la nomenclature détaillée de ce que les acteurs revêtent, mangent, boivent et fument en scène, le décor de la pièce et la disposition répétitive de son mobilier cossu.
Journaliste 2
Et enfin ce que découvre le rideau de velours rouge, la boîte en forme de scène, négation de 40 ans d’invention théâtrale.
Journaliste 1
Entreprise privée réduite à sa seule rentabilité commerciale, si ce théâtre-là se maintient, c’est qu’il a aussi un public. Mais depuis Labiche, Offenbach, Feydeau, à part la mode rien n’a changé.
(Silence)
Journaliste 1
Le théâtre du Palais Royal, le théâtre des Variétés, dont vous êtes le directeur, sont deux salles qui marchent très, très bien est ce qu’il y a une recette ?
Jean-Michel Rouzière
Ah, c’est une question bien perfide que vous me posez là. Vous n’êtes pas la première, non il n’y a pas de recette, bien entendu pas. Il y a simplement beaucoup de chance, une certaine connaissance du métier, une certaine approche des goûts du public et je crois de monter, ce qui est primordial, des pièces dans le cadre où elles sont bien. Il est évident que le Théâtre du Palais Royal comme le Théâtre des Variétés connaissent depuis un certain nombre d’années, un vrai succès. Bon, je ne suis pas glorieux, mais enfin, je suis bien obligé de reconnaître que sans doute, j’y suis pour quelque chose. Mais ces deux salles sont d’abord des salles qui ont un réel passé, ce sont des vrais lieux. En plus, grâce à beaucoup d’efforts matériels, nous avons rendu ces salles accueillantes. Il n’y pleut pas, on est bien assis, on ne tombe pas dans les tapis, on peut y aller faire pipi, tout ça est déjà un lieu accueillant. J’ai souvent pensé que ces théâtres-là étaient des théâtres naturellement ouverts à tout le public, à tout le public sans restriction. Le public populaire, disons. Je dis bien le public populaire, parce qu’il ne faut pas qu’il soit craintif devant des lieux qui sont rouge et or, et il ne faut pas avoir peur d’aller au théâtre. Bon donc, il y a tout le public, il y a aussi une clientèle bourgeoise. Et cette clientèle bourgeoise est heureuse de rentrer dans des salles rénovées disons, un petit peu comme des gastronomes ou des gens qui ont envie de faire un bon dîner, vont dans des beaux restaurants. Il ne faut pas croire que le Palais Royal, c’est Maxim’s mais enfin disons que tout, à qualité égale on est un petit peu dans le haut du panier des salles parisiennes.
Journaliste 1
C’est ça en somme, on mange dans une belle assiette.
Jean-Michel Rouzière
On mange dans une belle assiette. Bon, alors le cuisinier a-t-il une recette, non. Non, d’abord, le cuisinier, il ne fait bien la cuisine que s’il y a de quoi faire bien la cuisine. Ce qu’il faut c’est savoir faire le marché. Alors disons que je sais un peu faire le marché. Souvent, on pourrait dire que je suis partisan du star system. C’est vrai dans un sens, pourquoi le nier, c’est vrai. Et je crois que ça a toujours été vrai, je crois que quelle que soit l’époque à laquelle on vit, quelles que soient les modes de théâtre, je pense que le public va au théâtre, naturellement pour applaudir un spectacle, naturellement pour découvrir une pièce ; mais il y va aussi beaucoup parce qu’il va retrouver les acteurs qu’il aime. Je pense que les acteurs sont les aimants du spectacle. Les acteurs sont indispensables à l’auteur de même que ces grands acteurs sont nécessaires aux directeurs ; car la recette je ne la connais pas, la recette pour faire la bonne pièce, mais la recette, celle de la caisse elle est indispensable à la survie du théâtre. Alors quelles sont les tranches de ce public, je crois que pendant les 100, 150 premières représentations il y a indiscutablement un public parisien, ce que l’on appelle dans le cas disons, un petit peu dans le jargon, même des directeurs, disons les visons. Les visons sont importants parce que c’est la clientèle bourgeoise, c’est la clientèle qui est attachée au spectacle, curieux de voir ce qui se fait et qui vient à Paris pendant les 100, 150 premières. Et puis très, très vite, très, très vite car le public provincial il vient, la province est un énorme creuset avec un très grand public, la province a le goût du théâtre. Ils viennent à Paris pour leurs affaires, pour des salons, pour voir de la famille et venir au théâtre est une joie.