Jean Kergrist, le clown résistant

08 décembre 1984
01m 58s
Réf. 00575

Notice

Résumé :

Clown résistant, Jean Kergrist, avec son personnage le Sous-Secrétaire d'Etables aux colloques agricoles, s'engage de lieux de luttes en manifestations. Les objets dont s'empare ce clown sont glanés dans des décharges, modifiés, manipulés, bricolés ; ils se voient dotés, non seulement d'une seconde vie, mais d'un sens redéfini.

Date de diffusion :
08 décembre 1984
Source :
FR3 (Collection: Normandie soir )
Artistes et personnalités :
Thèmes :

Éclairage

« L'arrêt, fin 2006, de l'ineffable TNP (Théâtre National Portatif) a été répercuté par les médias autorisés et généralement bien informés. Mais des apparitions surprises de Jean Kergrist ne sont pas totalement à exclure, car le matou ne dort que d'un œil et ne renonce pas à jouer les seconds couteaux. Il lui reste encore le cinoche, la radio, la télé et les discours déjantés de son "Sous-Secrétaire d'Étables aux colloques agricoles" lors des manifs... sans oublier l'écriture. » [1]

Jean Kergrist (1940), de son vrai nom Jean Hamon, prend une partie du nom de son village de naissance Kergrist-Moëlou (Côtes-d'Armor) pour sa carrière de comédien, de metteur en scène et d'écrivain. Après des études de philosophie, de théologie et d'histoire de l'art, il travaille dans la troupe de Roger Planchon puis dans celle de Marcel Maréchal. En 1975, il invente le Théâtre National Portatif (en relation avec l'institution officielle), une structure nomade et adaptable à la situation du moment. Il donne naissance au Clown Atomique (1980) en participant aux combats des anti-nucléaires, sur le site nucléaire de Creys-Malville. Puis, en fonction de l'actualité des luttes, de l'urgence des engagements, d'autres héros clownesques voient le jour : avec les travailleurs sociaux, la Fièvre acheteuse ; avec les personnels de santé, le Clown docteur chef ; avec les paysans travailleurs, le Clown agricole ; avec les associations de chômeurs, le Clown chomdu ; avec les militants des droits de l'homme, le Clown perd la boule ; etc... Chacun d'entre eux caricature son aliénation au monde administré en véhiculant de façon outrancière les messages portés par l'idéologie dominante. C'est lors de la confrontation de ces personnages à la réalité, qui est aussi celle vécue par son auditoire, que se réalise la chute propre au clown incitant au rire. Mais Kergrist a pour principe de toujours éviter le ridicule : « mes héros déclenchaient le rire politique, celui qui introduit le spectateur au recul critique sur lui-même ».

Parmi ses spectacles, notons Grand bal à Saint-Lubin (1996), La Gavotte du cochon (2001), et Le fabuleux destin d'Oussama Ben la Poule (2002). Avec Les bagnards (2003), spectacle consacré au bagne militaire de Glomel, il crée, en 2003, avec une troupe de théâtre, un spectacle joué sur une péniche qui parcourt le canal de Nantes à Brest (2005), puis sur la Rance et la Vilaine, l'année suivante. Ce spectacle et ses multiples déclinaisons [2] témoignent de son engagement pour la réhabilitation du canal dont l'usage est entré en concurrence avec le développement du chemin de fer et pour rendre hommage aux bagnards qui l'ont creusé au cours du XIXe siècle.

A l'expression théâtre militant, Jean Kergrist préfère celle de théâtre résistant, comme il l'affirme lors d'un colloque sur ce thème [3]. Dans cette démarche d'analyse théorique de son propre travail, qui le conduit à s'éloigner de l'anecdotique, il propose de prendre pour modèle non pas « la praxis du tonton Karl, mais plus bonnement [sa] maîtresse en philosophie : la vache, celle qui prend le temps de ruminer avant de faire son lait : "je rumine donc je panse". Comme la vache, assumons l'exercice en osant dire "je". L'emploi d'un pronom à la première personne ne veut aucunement introduire à la maîtrise d'une nouvelle gourance. Le gourou souvent se goure. Ce petit "je" subjectif, tarte à la crème dans la figure du grand "jeu" planétaire, ne se réfère donc qu'à la fragilité des ruminations provisoires ».

[1] Note d'introduction du site personnel de Jean Kergrist. Jean Kergrist est l'auteur de plusieurs romans dont Les nouveaux conseils à gogo, La Ligne Pourpre, 2009 ; Grosse déglingue, Editions Des Ragosses, 2012.

[2] Les bagnards du canal de Nantes à Brest, réalisation : Pierre Mathiote, scénario : Jean Kergrist et Pierre Mathiote, docu-fiction, 52 mn, Coproduction : Cinergie Productions, France 3 Ouest,  France 3 national, 2008.

Kergrist, Les Bagnards, histoire, Keltia Graphic, Spézet (29), 2003

[3] Jean Kergrist, « Le rire en bandoulière (De l'artillerie lourde de la décentralisation dramatique à l'infanterie légère des scènes immaginées) », dans Christian Biet et Olivier Neveux (dirs), Une histoire du spectacle militant, théâtre et cinéma militants 1966-1981, Vic la Gardiole, L'Entretemps, 2007, p. 230.

Martine Maleval

Transcription

Présentateur
Autre évènement insolite, le clown Kergrist est ce soir dans la Manche. Il est aux Pieux et demain, il sera à Octeville dans le nord Cotentin. Kergrist est un personnage étonnant. On l’a vu tour à tour en clown agricole, en clown atomique et depuis quelques temps il a trouvé, vous allez le voir, un nouveau créneau.
Kergrist
Cocogema. Cocogema, c’est moi ! Je suis la cococo, je suis la cogema ! Aujourd’hui je vous montre le haut, demain j'enlève le bas ! Je suis la cococo, je suis la cogema ! Le haut , c’est du tout beau quant au bas on ne sait pas !
Journaliste
Alors, c’est quoi Cocogema ?
Kergrist
Le nom ?
Journaliste
Oui, le nom.
Kergrist
Le nom, ça vient d’une société qui ne s’appelle pas la Cocogema mais presque. Je ne veux pas avoir de procès alors je modifie légèrement les noms. Et qui est une société qui, il y a à peu près 2 ans, avait décidé de chercher de l’uranium dans le centre Bretagne et qui avait essayé de faire ça en douce ; mais qui est un peu tombé sur un os dans la mesure où les gens ont réagi plus qu’ils n’espéraient eux. Et ils n’ont pas renoncé, alors, moi je pense que la meilleure réponse c’est …, pas la meilleure réponse, il y en a tout un tas, mais c’est aussi de faire un spectacle là-dessus. Hein ! Alors toi tu vas creuser, tu vois, ça c’est pour creuser. Ça, c’est pour tamiser l’uranium. Tu vas tamiser l’uranium, hein ? Pour creuser. [ … du local …]
Journaliste
Et s’il n’y avait pas de cause qui traînait ou pas d’actualité qui traînait [inaudible]
Kergrist
Houlalà, mon pauvre monsieur ! Je ne risque pas de manquer de boulot. C’est comme les pompiers, ce n’est pas eux qui font les incendies mais c’est eux qui les éteignent. Ils vivent à cause des incendies et les médecins, c’est pareil. C’est des gens qui spéculent sur la maladie des gens quoi, des malades. Moi, c’est pareil, je spécule sur la bêtise de mes contemporains et là je ne manque pas de boulot.