Avec Larbi Cherkaoui, les moines Shaolin s'invitent au Festival d'Avignon

13 juillet 2008
02m 12s
Réf. 00748

Notice

Résumé :

En 2007, le chorégraphe belgo-marocain Sidi Larbi Cherkaoui part en Chine à la rencontre des moines Shaolin. L'année suivante, avec dix-sept d'entre eux, il crée Sutra à Londres, puis au Festival d'Avignon. Une belle confrontation entre l'Occident et l'Orient.

Date de diffusion :
13 juillet 2008
Source :
FR3 (Collection: Soir 3 journal )

Éclairage

« The mind is a muscle », proclamait à la fin des années 1960 Yvonne Rainer, figure de proue du Judson Danse Theater à New York et de la post-modern dance. Par le mot « mind », Yvonne Rainer parlait d'abord et avant tout du cerveau. Mais en trahissant un peu sa pensée, on pourrait aussi traduire ce mot d'ordre par : « l'esprit est un muscle », d'autant que de John Cage à Anna Halprin, une bonne part de l'avant-garde américaine a été séduite par les philosophies orientales et la conception du corps qu'elles véhiculent.

Sidi Larbi Cherkaoui est a priori tout à fait étranger à cette école de pensée de la danse. Autodidacte du mouvement, le chorégraphe belgo-marocain a eu comme première école de danse la télévision, ses émissions de variété et ses vidéo-clips. Il a en outre été marqué par ses années d'enfance passée dans une école coranique où l'avait inscrit son père en Belgique. Passé par le tourbillon créatif et cosmopolite des Ballets C. de la B. d'Alain Platel, il a fait de l'éloge du multiculturalisme et des différences le sel de ses propres créations, depuis Rien de rien, en 2000.

En 2007, Sidi Larbi Cherkaoui part en Chine, à la rencontre du monastère Shaolin, temple bouddhiste Chan situé dans la province du Henan, sur le mont Song, l'une des cinq montagnes sacrées du pays. Fondé au Ve siècle, ce monastère est connu dans le monde entier pour son association avec les arts martiaux chinois, et particulièrement avec le Kung-fu Shaolin. Lao-Tseu résumait ainsi l'art de Shaolin : « L'homme vient au monde tendre et souple ; à sa mort, il est dur et figé. Les plantes fraîches sont délicates et pleines de vie ; mortes, elles sont rêches et desséchées. Le figé et l'inflexible sont l'élève de la mort, tandis que le doux et souple sont l'élève de la vie. Une armée qui ne sait pas s'adapter ne remporte jamais une bataille. Un arbre qui ne plie pas se brise facilement. Ce qui est dur et fort périra ; ce qui est doux et faible durera. »

Avec dix-sept moines Shaolin, Sidi Larbi Cherkaoui crée Sutra (le mot signifie « lien ») en 2008, à Londres. Le spectacle sera présenté la même année au Festival d'Avignon. Selon le chorégraphe, « Le langage des moines Shaolin m'intéressait et j'étais curieux de le combiner avec mes connaissances chorégraphiques. J'ai essayé d'en apprendre le plus possible pour pouvoir reproduire et bien communiquer ce que je voulais, et eux se laissaient guider dans une reconfiguration de leurs mouvements. (...) La pièce met en scène le rapport de l'individu à la communauté. Le petit garçon [un moine de 12 ans] est un peu comme un innocent qui peut faire l'aller-retour constamment parce qu'un enfant fait partie de la communauté, mais qui peut, en même temps, toujours être dans son monde imaginaire. (...) Cette pièce est belle à mes yeux parce qu'elle régénère en montrant que déconstruire, c'est construire et qu'au fond, même la pire action peut être génératrice de quelque chose de positif. Sutra porte cette philosophie-là. » [1]

Accompagné du sculpteur Antony Gormley, qui a conçu une scénographie-décor très étonnante faite de caisses de bois qui se lèvent et s'entrechoquent, et par une partition du compositeur polonais Szymon Brzóska où percussions et cordes se renvoient la balle, « le chorégraphe belge tourne ici une page dans une carrière déjà fertile », écrit François Delétraz pour Le Figaro, qui parle d'« une belle confrontation entre l'Occident et l'Orient, qui nous interroge à la fois sur le conflit des générations et sur le conflit des cultures. Un spectacle qui, outre les prouesses physiques des interprètes, nous interpelle sur notre vision du monde et surtout sur notre vision de l'autre ». [2]

[1] Propos recueillis par Marianne Cabado, Voir, Montréal, 29 octobre 2009.

[2] François Delétraz, lefigaro.fr, 11 juin 2009.

Jean-Marc Adolphe

Transcription

Présentatrice
Allons en Avignon, un spectacle autour des moines shaolin, entre art martial, chorégraphie et exercices spirituels, Dominique Poncet et Nathalie Berthier.
Journaliste
Un espace scénique qui évoque l’abstraction, une musique d’aujourd’hui aux résonances occidentales, et soudain,
(Bruit)
Journaliste
Le surgissement de danseurs pratiquant un art martial millénaire, le Kung Fu.
(Musique)
Journaliste
Mais un Kung Fu réinterprété avec des accélérations fulgurantes,
(Bruit)
Journaliste
Des déplacements d’une virtuosité époustouflante,
(Bruit)
Journaliste
Et puis aussi au ralenti des gestes comme empreints d’une douceur infinie. Le chorégraphe belge d’origine marocaine Sidi Larbi Cherkaoui a rencontré des moines shaolin.
SidiLarbi Cherkaoui
A aucun moment j’ai vraiment essayé de les faire danser à ma façon, c’est plutôt le contraire, j’essayais de, de travailler avec leur propre langage. Et petit à petit, ils se sont découverts acteurs, ils se sont découverts danseurs, ils se sont découverts performers et puis soudain, on voyait que un spectacle se faisait.
(Bruit)
SidiLarbi Cherkaoui
C’est un spectacle dangereux mais c’est, c’est aussi ce qu’on recherche, en tout cas les moines et moi aussi. C’est toujours cette idée de juste au bout de la falaise et comment on peut ressentir cette émotion comme si on allait sauter par, dans le vide.
Journaliste
De doute façon, ces moines qui vivent reclus en communauté n’ont qu’une conscience lointaine du danger. Leur art martial, ils le pratiquent comme un prolongement de leur vie spirituelle.
(Bruit)
Shi Yandong
Vous savez, être moine shaolin, c’est être un pratiquant à la fois du Kung Fu et du bouddhisme. On nourrit notre corps et notre esprit, ça nous rend indifférent aux agressions du monde extérieur.
Journaliste
Recueillement et mouvement, spiritualité et matérialité. Dans ce spectacle, Sidi Larbi Cherkaoui réconcilie l’irréconciliable.